En pleine mutation, le postsecondaire franco-ontarien cherche son avenir

En pleine mutation, le postsecondaire franco-ontarien cherche son avenir

Marie-Pierre Héroux, étudiante de 4e année à l’Université d’Ottawa, a animé le 15 février le forum citoyen de l’Ontario, le troisième des quatre organisés par la Fédération des communautés francophone et acadienne (FCFA) du Canada en marge des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire.

Les quatre panélistes ont discuté des défis auxquels font face les établissements postsecondaires francophones en milieu minoritaire et de potentielles solutions.

Interrompu par des commentaires «haineux et racistes»

Le panel a été interrompu à plusieurs reprises par des individus non identifiés qui ont commenté au sujet de l’écriture inclusive ainsi que sur le port du voile d’une participante. Ils ont utilisé des termes racistes en commentaire et ont parlé à voix haute pour dénoncer les «sales gauchistes».

La FCFA a réagi le soir même via sa page Facebook, indiquant qu’«il s’est produit un incident cet avant-midi lors du forum citoyen de l’Ontario. La rencontre a été infiltrée par des individus qui ont délibérément proféré des propos haineux et racistes dans le clavardage et au micro. Leur objectif, clairement, était de saboter l’événement.

Ces individus ont échoué. Les participants et les participantes n’ont pas été intimidés. Les discussions se sont poursuivies, le forum citoyen de l’Ontario s’est poursuivi jusqu’à la fin. Le respect, l’inclusion et la tolérance l’ont emporté sur la haine.

La FCFA condamne dans les termes les plus catégoriques les propos exprimés par ces intrus. La Fédération remercie l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) d’avoir agi rapidement et fermement pour éjecter les intrus de la rencontre et rétablir un espace sécuritaire.»

L’organisme conclut en indiquant qu’à l’instar du Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO), il ne rendra pas la vidéo du forum citoyen disponible publiquement «afin d’éviter de donner de la visibilité à ces propos».

Le REFO a également condamné via sa page Facebook les commentaires «à caractère haineux et racistes […] qui ne représentent en rien notre communauté francophone ou nos organisations, qui se font un devoir d’être accueillants et inclusifs [sic]».

Une année mouvementée en Ontario

Carol Jolin, président de l’AFO, a résumé les derniers mois vécus par les Franco-Ontariens: «Alors que l’Université de Hearst obtenait sa gouvernance [le 15 avril 2021, NDLR], un nuage sombre est apparu. Le 1er février 2021, la Laurentian University se plaçait sous la Loi avec les arrangements créanciers des [compagnies]. La Laurentian est le deuxième fournisseur de programmes universitaires de langue française en Ontario. La débâcle commençait…»

Le 12 avril dernier, l’Université Laurentienne annonçait l’abolition de 24 programmes de premier cycle en français et 32 programmes en anglais, en plus de 11 programmes de maitrise. Plus d’une centaine de professeurs ont également été licenciés.

Dans ces circonstances, l’ouverture des portes de l’Université de l’Ontario français (UOF) en septembre 2021 est venue souffler un vent d’espoir pour l’éducation postsecondaire francophone en Ontario. Son recteur, Pierre Ouellette, a toutefois dû rappeler l’importance de demeurer patients alors que seulement 117 étudiants y étaient inscrits à un mois de la rentrée.

Selon le président de l’AFO, «l’éducation universitaire de langue française en Ontario est présentement dans sa phase de mutation la plus importante depuis l’établissement des universités bilingues».

Par et pour les communautés francophones

La présidente de la FCFA, Liane Roy, a rappelé lors du panel que «nous avons tous et toutes à l’esprit les coupes majeures dans les programmes universitaires de langue française dans le Nord de l’Ontario. [Cette crise] a relancé l’idée d’institutions gérées par et pour la communauté francophone».

L’étudiant au programme de Droit et justice de l’Université Laurentienne Mohammed El Mendri, natif du Maroc, a souligné que «le Canada est un pays officiellement bilingue et que les minorités linguistiques [..] possèdent un certain nombre de garanties et de droits juridiques. […] Comme le disait Victor Hugo, les deux institutions capitales de l’État, c’est l’école et la famille».

L’étudiant rappelle le poids de l’Ontario dans l’établissement d’un bilinguisme institutionnel au Canada : après le Québec, c’est la province qui accueille le plus de francophones – 744 000 d’après l’AFO –, d’où l’importance que les Franco-Ontariens gouvernent leurs propres institutions.

«Assurer une gouvernance par et pour les francophones en contexte minoritaire, c’est participer officiellement à l’essor du Canada [et c’est] une garantie que les fonds désignés pour les francophones soient mis à leur profit», ajoute Mohammed El Mendri.

«D’autre part, une université par et pour est un témoignage d’une assistance à la minorité, que ce soit au niveau linguistique ou au niveau des droits de cette minorité. C’est une université qui se retrouve enracinée dans son milieu et qui ressent directement le pouls de sa communauté dans le but de la servir», conclut l’étudiant.

Un choix influencé par plusieurs facteurs

Mélina Leroux, directrice générale de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), explique que certains étudiants se dirigent vers des domaines qui demandent une certaine connaissance de l’anglais, les poussant directement vers le postsecondaire anglophone.

Elle assure toutefois que «pour plusieurs, s’ils ont l’opportunité [d’étudier] en français, c’est ce qu’ils vont faire».

Andrew Pennant, en première année d’histoire à l’Université d’Ottawa, a choisi cet établissement pour plusieurs raisons. Il est natif de Chatham, dans le sud de la province, où l’absence d’établissement postsecondaire francophone oblige le déménagement.

L’étudiant explique que pendant ses études secondaires, il a eu la chance de visiter Ottawa plusieurs fois, se familiarisant ainsi avec la capitale. Il note aussi que la bonne réputation de l’établissement a joué un rôle dans sa décision.

«Je reconnais la réputation de l’Université d’Ottawa et je savais que j’allais chercher une éducation de qualité avec de bons professeurs. Je voulais [une université] qui a une bonne réputation, où je savais que je pouvais grandir dans ma francophonie», explique Andrew Pennant.

Mohammed El Mendri explique pour sa part que «le choix d’étudier dans une université en milieu minoritaire se retrouve intimement lié à ses propres antécédents académiques et surtout à l’aspiration professionnelle. Pour ma part, j’étais désintéressé d’étudier dans un milieu parfaitement homogène – il n’était pas question d’étudier dans un pays entièrement francophone ou anglophone, autrement je serais parti aux États-Unis ou en France».

Mélina Leroux énumère, elle, certaines des préoccupations des jeunes qui réfléchissent au postsecondaire, dont les programmes offerts et le cout de la vie. «Il ne faut jamais oublier qu’au bout de la ligne, pour eux, c’est de savoir “est-ce que je vais avoir un emploi dans ce domaine si je fais ces études?” Sinon, il y en a qui iront directement sur le marché du travail.»

«À compétence égale, un candidat bilingue va toujours se démarquer»

Geneviève Grenier, vice-présidente du service aux membres chez Comptables professionnels agréés du Canada (CPA Canada), assure que les travailleurs bilingues sont très recherchés sur le marché du travail. Elle insiste sur le fait qu’«à compétence égale, un candidat bilingue va toujours se démarquer».

Native du Québec, Geneviève Grenier habite à Toronto depuis près de 20 ans et se considère aujourd’hui comme une fière Franco-Ontarienne.

«Si on regarde la liste des meilleurs employeurs au Canada ou la liste des plus gros employeurs au Canada, on peut voir que plusieurs organisations sont bilingues par nature ou ont des places d’affaires au Québec», note la vice-présidente en ajoutant qu’«en ce moment, c’est un marché d’employés et non d’employeurs».

Elle nuance cependant: «Oui, on apprécie les candidats bilingues, mais rappelez-vous toutefois qu’un résumé doit être bien garni. […] Il faut aussi prouver qu’on s’implique dans la communauté et qu’on est à jour avec les tendances technologiques.»

Lorsqu’un candidat n’a pas encore d’expérience de travail, les employeurs comme Geneviève Grenier vont regarder son cheminement scolaire: «Je vais chercher des expériences au niveau de la participation à des comités étudiants et des associations parce que, comme employeur, on veut voir un peu de compétences habilitantes.»

Le dernier forum citoyen, celui sur le Nord, aura lieu le 23 février.

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