Un jeu de nuances dans l’entente entre les libéraux et néodémocrates

Un jeu de nuances dans l’entente entre les libéraux et néodémocrates

L’entente pose une condition au NPD: les questions de confiance et de budget ne seront pas remises en cause, «notamment sur la politique budgétaire, les projets de loi visant l’exécution du budget, les budgets des dépenses et crédits», précise le document de l’entente.

«Le NPD a garanti son soutien au gouvernement, ce qu’il faisait depuis les élections de 2019», assure Félix Mathieu, professeur de science politique à l’Université de Winnipeg.

Mais le but de l’entente va plus loin: à l’exception de la majorité assurée aux libéraux sur les questions de confiance, le NPD obtient un accord pour faire avancer certaines de ses promesses électorales en Chambre.

Le NPD veut s’assurer une position d’influence en Chambre

L’entente contient:

  • la progression vers la mise en place d’un régime d’assurance-médicaments public et universel, à travers un meilleur système de santé ;
  • la révision de plusieurs conditions de vote ;
  • un travail sur la crise climatique ;
  • plus de logements abordables ;
  • l’amélioration de la condition des travailleurs ;
  • un régime fiscal plus équitable ;
  • la réconciliation avec les peuples autochtones.

Ces cinq derniers thèmes se recoupent avec les promesses libérales. «On n’est pas en dehors de la vision libérale, on demeure en cohérence idéologique», assure Félix Mathieu.

«Ainsi, en amont des travaux parlementaires, le NPD va s’assurer d’influencer l’agenda parlementaire présidé par le gouvernement. Jusqu’ici, le NPD tentait de le faire, mais c’était à la pièce, chaque fois qu’il y avait un projet de loi sur la table», affirme le professeur.

Pour ce dernier, le NPD s’assure donc une «prise plus substantielle» sur ces sujets. «Mais c’est une lame à double tranchant. Il court le risque de devenir insignifiant aux yeux de plusieurs électeurs de tendance modérément progressistes, qui pourraient être tentés de voter pour l’un ou l’autre des deux partis aux prochaines élections. À quoi bon accorder sa voix au NPD, pourquoi ne pas voter pour l’original plutôt que la copie ?», ajoute-t-il.

L’autre risque est la dilution de son identité partisane, avance Félix Mathieu. «Le NPD revendiquera certaines victoires législatives, mais il aura aussi les mains liées parce que pour critiquer le gouvernement aux prochaines élections, ils ne pourront pas dire qu’ils pourront faire mieux que les libéraux alors qu’ils ont travaillé avec eux», évalue-t-il.

Des «munitions» aux conservateurs 

Les conservateurs ont déploré un «mauvais jour pour les Canadiens, qui se réveillent aujourd’hui avec un gouvernement libéral-néodémocrate. Ils ont la majorité», a déploré Candice Bergen, cheffe intérim du Parti conservateur, en réaction à l’entente.

Félix Mathieu tempère: «On n’est pas au niveau d’un gouvernement de coalition.» Selon lui, l’entente n’empêche pas le chef du NPD de demeurer une entité distincte.

Un argument répété par le chef néodémocrate: «Ce n’est pas une coalition, nous ne faisons pas partie du gouvernement de Justin Trudeau, il ne nous a jamais fait une telle proposition et franchement, nous n’aurions jamais accepté. Nous restons un parti indépendant, et je resterai critique de son gouvernement», s’est défendu Jagmeet Singh.

Mais cette entente a donné des munitions aux conservateurs, ça va leur permettre de pointer du doigt les libéraux en assurant que ce sont des gauchistes qui s’allient avec le NPD et ainsi se revendiquer comme les seuls capables d’être plus modérés, explique encore Félix Mathieu.

Toutefois, selon lui, les conservateurs doivent être prudents, car ils développent l’argumentaire de «l’affront à la démocratie canadienne», affirmant que ce n’est pas ce pour quoi les gens ont voté.

«Leur base partisane est attachée aux traditions parlementaires britanniques, dans lequel rien n’empêche ce type d’entente. La formation du gouvernement ne relève pas de l’électorat, mais des parlementaires, une fois que les élections sont passées. Si les conservateurs insistent trop sur cette ligne, ils pourraient se le faire reprocher par leur base électorale, mais aussi à l’interne, par des personnes qui y verraient une incompréhension du système qu’ils souhaitent défendre», observe Félix Mathieu.

Les langues officielles hors de l’entente

Alors que le NPD a cherché une «manière d’exister davantage», comme le mentionne le professeur, Justin Trudeau a profité de l’annonce pour rappeler quelques-unes de ses réussites depuis son élection. Il a notamment parlé des ententes conclues avec les provinces pour les services de garde d’enfants, qui fait aussi partie de l’entente entre les deux partis.

Pour les francophones issus des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), il manque toujours des clauses linguistiques ou un flou demeure dans plusieurs provinces.

Interrogé sur l’absence de mention des langues officielles dans l’entente, le chef du NPD Jagmeet Singh précise : «Cette entente est un moment pour utiliser notre pouvoir pour avoir des résultats, mais ça ne reflète pas toutes nos priorités. On va continuer de travailler fort sur les autres enjeux [qui] ne sont pas dans cette entente, comme les langues officielles et l’importance d’améliorer l’accès aux services en français. Ça reste une priorité pour nous, ça ne dit pas que nous laissons ce sujet de côté.»

À la suite de quoi le chef a assuré qu’en cas de désaccord absolu avec le Parti libéral avant juin 2025, date d’expiration de l’entente, il pourra retirer son appui. «Mais je veux commencer dans ce chemin avec une bonne volonté. On veut que ça fonctionne, car c’est une question de livrer la marchandise pour les gens.»

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