Le président ukrainien demande «plus d’efforts» au Parlement canadien

Le président ukrainien demande «plus d’efforts» au Parlement canadien

C’est un Parlement comble qui a écouté le président Volodymyr Zelensky discourir du quotidien de la guerre en Ukraine. Le président a demandé aux Canadiens d’«imaginer» que Vancouver soit assiégée, que la «célèbre tour CN de Toronto soit frappée par des bombes russes».

«Je sais que vous soutenez l’Ukraine. Nous sommes amis. Mais j’aimerais aussi que vous compreniez, que vous ressentiez ce que nous ressentons tous les jours», a plaidé Zelensky.

Il a ainsi réitéré sa demande d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, ce que l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), dont le Canada est membre fondateur, se refuse à faire depuis des semaines.

Le président ukrainien continue de demander «plus d’efforts». Le lendemain de son allocution devant le Parlement canadien, il s’adressait au Congrès américain avec le même but. Il a toutefois assuré avoir «tempéré» ses demandes d’adhésion à l’OTAN face au manque d’action de la part des pays membres de l’organisation.

La «démagogie» de l’Occident

Les conservateurs plaident que le Canada devrait accéder à la demande ukrainienne. Les autres partis sont plus réservés. 

«Nous devons faire davantage avec nos alliés pour assurer l’espace aérien de l’Ukraine, le protéger au-dessus des corridors humanitaires afin que les Ukrainiens puissent s’éloigner des zones de guerre en toute sécurité et afin que l’aide humanitaire puisse atteindre les régions assiégées», martèle Candice Bergen, cheffe intérimaire du Parti conservateur.

Une position contraire à celle de Justin Trudeau, qui d’après le professeur de science politique à l’École des hautes études publiques à l’Université de Moncton Roromme Chantal fait plutôt un éloge «touchant du président Zelensky. Il l’a tutoyé pour marquer la familiarité et a qualifié M. Zelensky de “champion de la démocratie”». Le premier ministre canadien a également réitéré le soutien du Canada à l’Ukraine.

Au-delà du soutien financier, en armes et humanitaire «inébranlable du Canada» qu’a souligné le président ukrainien, le professeur Chantal estime que «les médias n’ont pas assez souligné la responsabilité de l’Occident dans la crise ukrainienne».

Cette crise découle de trois choses, selon lui. Premièrement, de la volonté de l’OTAN se s’élargir à l’Est, «alors que Vladimir Poutine avait prévenu en 2008 qu’il s’y opposait», précise le professeur Chantal. Ensuite, il pointe du doigt la volonté de l’Union européenne de s’élargir à l’Est ainsi que la stratégie de promotion de la démocratie mise de l’avant par les États-Unis en Ukraine comme autant d’éléments déclencheurs qui ont entrainé la Russie à envahir le pays.

«Aujourd’hui, quand l’Occident refuse la demande de M. Zelensky, c’est une attitude irresponsable. C’est de la démagogie vu que ces pays ont contribué à cette crise», appuie-t-il.

Trouver un compromis

Interrogée sur la demande de M. Zelensky au Parlement canadien, la ministre des Affaires étrangères canadienne, Mélanie Joly, a insisté sur l’aide financière et humanitaire et les armes envoyées par le Canada, qui «aident l’Ukraine à s’étendre, mais l’aident aussi à la table de négociations».

Le professeur Chantal assure que ces aides servent plutôt «à retarder l’échéance, qui consiste ultimement à ce que Moscou finisse par prendre le contrôle du territoire. La question est de savoir l’utilité de cette aide face à une armée beaucoup plus puissante que l’armée ukrainienne».

Le professeur concède que comme Moscou est une puissance nucléaire «presque égale» avec les États-Unis, l’équilibre est «difficile puisque l’intervention de l’OTAN pourrait signifier une Troisième Guerre mondiale».

Pour lui, une solution existe : «Au lieu de continuer à pousser pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, n’aurait-il pas fallu que les dirigeants occidentaux envisagent un certain compromis avec Vladimir Poutine pour que l’Ukraine accepte un statut de neutralité sans renoncer au choix de la démocratie de l’Ukraine?»

Au matin du mercredi 16 mars, l’Ukraine a refusé un tel compromis lors de négociations avec la Russie.

«Deux poids, deux mesures» avec les réfugiés d’autres crises

L’autre question posée à répétition aux responsables canadiens et ravivée par le discours de M. Zelensky est celle des réfugiés ukrainiens, dont le nombre a dépassé le seuil des 3 millions le 16 mars selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Le Canada comptait en 2016 plus de 1,3 million de Canadiens d’origine ukrainienne. Le gouvernement n’a pas précisé combien de réfugiés il prévoit accueillir, mais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a créé une Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine qui sera accessible dès le 17 mars, plus de 20 jours après le début du conflit. Elle nécessite cependant un visa.

Des procédures d’accélération pour les rapprochements familiaux sont aussi mises en place, mais les dossiers traités prioritairement sont ceux des citoyens et des résidents permanents. IRCC fait encore l’objet de critiques sur les délais de traitement des dossiers de résidence permanente.

Le professeur Roromme Chantal critique surtout l’impression du «deux poids, deux mesures» au Canada «et [dans] d’autres pays occidentaux».

«Ça fait seulement quelques mois que les Haïtiens ont été accueillis avec des chevaux de façon inhumaine à la frontière des États-Unis avec le Mexique. Ils ont essayé de fuir un pays où les États-Unis ont mis en place des dirigeants illégitimes et corrompus. Je n’ai pas entendu un tel élan de solidarité vis-à-vis des Haïtiens, qui sont pourtant un peuple voisin avec une très forte diaspora au Canada. Mélanie Joly a plutôt appuyé le gouvernement d’Ariel Henry, qui n’a aucune légitimité», déplore M. Chantal.

Pour le professeur canadien, lui-même d’origine haïtienne, «c’est une grande hypocrisie des dirigeants européens. Le droit humanitaire voudrait qu’on aide les gens en difficulté. Je vois une mobilisation exceptionnelle autour de l’Ukraine et c’est à féliciter. Mais ça nous amène à poser la question: pourquoi n’y a-t-il pas une telle mobilisation pour d’autres populations qui ont besoin d’une aide similaire?»

Le professeur pointe le «racisme, qui est à l’origine des politiques étrangères des puissances occidentales».

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