Le 8 mars est une journée de célébration, de réflexion et de visibilité pour les organismes de défense des droits des femmes, mais également une source de frustration pour beaucoup.
Entre les mauvaises blagues — «j’aimerais, mesdames, vous rendre hommage en ratant tous mes parkings en parallèle» —, les entreprises qui en profitent pour essayer de nous vendre un nouveau mascara, les remarques sexistes et les attaques misogynes à peine voilées, nous sommes nombreuses à n’avoir qu’une envie: que cette journée en finisse pour que nous puissions retourner à nos combats, les vrais, ceux qui nous animent 365 jours par année.
L’épuisement des militantes
Tous les ans, nous le savons, nous serons de corvée. Nous devrons expliquer, encore et encore, que c’est bien gentil de nous offrir une rose, mais que ce geste ne nous aidera pas à faire respecter nos droits. Que c’est bien beau d’organiser un évènement célébrant la «féminité», mais que si cette féminité est réductrice et stéréotypée, cela ne fera pas progresser l’égalité des genres.
Chaque année, nous serons sur le pont, prêtes à répondre aux demandes des médias qui se souviennent soudainement de notre existence et veulent une liste de dix noms de cheffes d’entreprise de la région pour ce matin à 9 heures. Nous serons polies, souriantes, affables. Nous partagerons le fruit de nos recherches avec diligence et bonne humeur.
Patiemment, nous corrigerons «Journée de la femme» par «Journée internationale des droits des femmes». Nous participerons à des tables rondes, des conférences, des débats sur des thématiques qui ne sont pas les nôtres, mais qui intéressent le public. Tout cela gratuitement, bien sûr : ne sommes-nous pas des militantes investies et engagées?
Nous ne serons pas exaspérées par Jean-Jacques, 58 ans, qui s’étonne de l’absence d’une journée des droits des hommes. Ni par Hervé qui en profite pour nous parler de sa virilité mise à mal par les avancées féministes de la dernière décennie. Ni par ce journaliste qui ne connait manifestement rien au sujet, mais qui nous donne quand même son avis.
Nous serons patientes, drôles, indulgentes. Nous ne voudrions certainement pas être perçues comme ces vilaines harpies de féministes toujours mécontentes.
Nous cacherons notre épuisement, notre colère et notre frustration. Nous jouerons le jeu pour grappiller quelques miettes d’attention, au détriment de notre santé mentale pour certaines.
Jamais contentes
Bien sûr que non, nous ne sommes pas contentes. Nous ne nous satisferons jamais d’une journée de strass et de paillettes, de coupons de réduction et de plateaux télé. Ce que nous voulons, c’est que nos combats soient reconnus, que nos voix soient entendues tout au long de l’année.
Nous voulons des actions et des résultats. Nous voulons tenir nos gouvernements responsables de leurs promesses trahies. Nous voulons de la diversité et de la visibilité pour toutes. Combien de médias feront l’effort ce mardi de passer en entrevue une travailleuse du sexe, une personne transgenre, une femme voilée, racisée ou handicapée pour écouter ce qu’elle a à dire sur l’égalité des genres et les moyens de l’atteindre?
Selon le dernier rapport du Forum économique mondial, le temps nécessaire pour combler les inégalités de genre dans le monde est passé de 99 à 135 ans à cause des crises sanitaire, sociale, économique, environnementale et politique que nous vivons. Au Canada, en moyenne, tous les six jours, une femme est tuée par son partenaire intime. Parmi les femmes à la tête d’une famille monoparentale, 30% sont contraintes d’élever leurs enfants dans la pauvreté.
Nos combats sont réels. Les injustices et les discriminations que nous vivons sont réelles. Nous n’avons pas envie de sourire pour vous en convaincre. Nous sommes fatiguées. Alors, ne nous en voulez pas si nous éteignons nos téléphones, ce mardi. Nous reviendrons quand vous aurez vraiment envie de nous écouter.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.