Francopresse: Avec un taux de 1,95% d’immigration francophone hors Québec en 2021, que prévoit faire la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, qui porte le dossier de l’immigration francophone depuis des années?
Patrick Naud: On est très loin de la cible de 4,4% fixée en 2003. La moyenne de l’immigration francophone en dehors du Québec est environ de 2% environ. Ça s’explique en partie par la pandémie, mais il est certain qu’il faut une cible de réparation puisque celle de 4,4 % est désuète, vu qu’elle est basée sur le recensement des francophones hors Québec de 2001.
Aujourd’hui, la proportion des francophones hors Québec est d’environ 3,8% selon les chiffres du recensement de Statistique Canada de 2016. C’est même fort probable que ce soit inférieur à 3,8%; on va avoir les chiffres [du recensement de 2021] concernant les communautés de langues officielles en situation minoritaire un peu plus tard [le 17 aout 2022 selon le calendrier fourni par Statistique Canada, NDLR].
Vous évoquez une «cible de réparation». Que va faire la FCFA pour l’obtenir?
On a commandé une étude pour avoir une meilleure idée de [ce que devrait être] la prochaine cible. Le rapport devrait être disponible dans la prochaine année, mais je n’ai pas de date précise à vous fournir. On espère que ce sera d’ici la fin du printemps ou au début de l’été. Mais il est certain que la FCFA souhaite que la cible soit supérieure à 4,4 % [d’immigration francophone hors Québec].
Est-ce que la FCFA a des stratégies particulières auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour cela?
Après la publication d’une étude du commissaire [aux langues officielles] en novembre dernier, on a rencontré le ministre [d’IRCC] Sean Fraser et on lui a demandé trois choses.
La première est d’augmenter les niveaux d’immigration francophone. La seconde, c’est de mettre en œuvre une politique avec des mesures faites typiquement pour favoriser l’immigration francophone plutôt que d’adapter les programmes généraux du ministère, car présentement, c’est l’approche d’IRCC depuis 20 ans.
Il s’agirait de faire en sorte que les immigrants francophones ne fassent pas partie d’un tout, mais qu’ils soient considérés avec des ressources adaptées à eux, avec une lentille francophone.
Notre troisième demande est qu’IRCC s’assure que la communauté [franco-canadienne] ait les moyens de faire de la promotion à l’étranger pour le recrutement, l’accueil et l’établissement des immigrants et immigrantes francophones.
On prévoit aussi de demander au ministre Fraser le prolongement de la passerelle accélérée vers la résidence permanente, qui était disponible en 2021 sur une période de six mois et qui a connu pas mal de succès. Cette passerelle permet aux résidents temporaires d’obtenir la résidence permanente. On aimerait que ce soit prolongé au moins jusqu’en 2023.
Que voulez-vous dire quand vous demandez au ministère d’«adapter les programmes généraux»?
[Dans les dernières années] le gouvernement a fait des ajustements à des programmes généraux en immigration, comme Entrée express, plutôt que de créer des outils ou des mécanismes spécifiques à l’immigration francophone.
Il y a certaines pratiques en contradiction même avec les objectifs du Canada : par exemple, on a beaucoup parlé des refus de visas d’étudiants internationaux, notamment africains, parce qu’ils n’ont pas démontré qu’ils retourneront dans leur pays après leurs études.
C’est le genre de choses qu’IRCC devrait regarder. Les étudiants internationaux qui sont déjà ici ont fait un bout de chemin en termes de connaissances et d’intégration au Canada. Il y a toutes sortes de choses à faire pour s’assurer qu’on atteigne les cibles fixées en 2003, et les nouvelles qu’on espère que le ministère fixera.
S’assurer que l’étudiant reparte dans son pays après les études
Il s’agit d’un critère appliqué par IRCC aux étudiants internationaux, car ils ont des visas temporaires pour étudier en sol canadien.
Ce critère a été largement critiqué ces derniers mois alors qu’un taux record de refus d’étudiants africains, notamment francophones, a été observé fin 2021. Paulin Mulatris, vice-recteur de l’Université de l’Ontario français (UOF), a témoigné devant le Comité permanent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada de la Chambre des communes et dénoncé une discrimination envers ces étudiants.
Que faire d’autre pour rétablir la situation, pour ces étudiants?
Deux choses: d’abord le recrutement, qui est la base. Puis, au sein même du ministère, il faut s’assurer qu’il y ait assez de personnel formé, qui a de bonnes connaissances des pays francophones, mais aussi des établissements francophones au Canada. Mais à la FCFA, nous n’avons pas la prétention de dire à IRCC quoi faire.
Paulin Mulatris, vice-recteur de l’UOF, a dit en entrevue qu’«il manque la volonté au gouvernement» quand il s’agit de recruter davantage d’immigrants francophones. Êtes-vous d’accord?
On n’est pas en désaccord, mais il faut aussi comprendre que le ministre Fraser est en poste seulement depuis novembre. Il faut quand même lui laisser le temps de bien connaitre son ministère, de comprendre là où le bât blesse. On a eu des contacts positifs avec lui.
Il a dit que les solutions viendront de la communauté [francophone en situation minoritaire] elle-même, on est très heureux de l’entendre dire ça.
Je pense qu’en général il y a une certaine volonté au gouvernement en matière d’immigration francophone, mais qu’il faut trouver les façons d’atteindre les objectifs établis. C’est là qu’il y a un écart qui doit être comblé.
L’entrevue a été éditée et condensée pour des raisons de longueur et de cohérence.