Ginette Petitpas Taylor est la première ministre des Langues officielles acadienne. Celle qui a succédé à Mélanie Joly en octobre dernier a chaleureusement salué le travail «colossal» de sa collègue, promue au ministère des Affaires étrangères.
Elle assure avoir passé une «grosse semaine, très émotionnelle», mais présente une fierté visible pour le travail qu’elle a effectué d’arrachepied avec son équipe. «Je me sens choyée de les avoir», affirme-t-elle en souriant.
Dans les heures qui ont suivi le dépôt du projet de loi, plusieurs organismes ont souligné l’absence de référence aux clauses linguistiques dans les transferts de fonds entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires.
La ministre a répondu à l’absence de clauses linguistiques en mettant l’accent sur l’importance des mesures positives. C’était en effet l’une des attentes majeures des francophones dans ce projet de loi. Mais, sur les clauses linguistiques, la seule réponse de la ministre est : le Conseil du Trésor surveillera les décisions.
C’est quoi, les mesures positives?
Les mesures positives, établies par les institutions fédérales, servent à promouvoir et appuyer l’apprentissage du français et de l’anglais au Canada et doivent notamment «appuyer des secteurs essentiels à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones et pour protéger et promouvoir la présence d’institutions fortes qui desservent ces minorités».
Les organismes francophones reprochaient le manque de clarté de ces mesures au gouvernement fédéral. La Fédération des communautés francophone et acadienne (FCFA) du Canada s’est montrée satisfaite du «travail fait pour préciser et détailler» ces mesures dans le nouveau projet de loi.
Bilinguisme à la Cour suprême: un «danger» subsiste pour les francophones
En 2016, Justin Trudeau s’était engagé à ne nommer que des juges bilingues. Dans la Loi sur les langues officielles actuellement en vigueur, la Cour suprême est le seul tribunal qui n’est pas soumis à l’obligation d’avoir des juges qui comprennent les causes en français ou en anglais, sans interprète.
Le projet de loi C-13 porté par Ginette Petitpas Taylor modifie cet article de la loi, en exigeant que l’article 16 de la Loi actuelle s’applique à la Cour suprême du Canada. Autrement dit, la nouvelle Loi exigera le bilinguisme des juges.
Toutefois, cette modification ne suffirait pas selon Michel Doucet, professeur émérite en droit à l’Université de Moncton. Il serait «préférable» de modifier aussi la Loi sur la Cour suprême du Canada pour que le bilinguisme soit une exigence dans la nomination d’un ou d’une juge à la Cour suprême.
Ce dernier précise: «Ce n’est pas une obligation, mais il [subsiste] un danger. Si on modifie juste l’article 16 [de la Loi sur les langues officielles], ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de juge unilingue [anglophone]. En d’autres termes, les francophones pourraient se retrouver avec un banc de juges incomplet, car certains ne seraient pas en mesure d’entendre la cause en français.»
Réponse à la loi 101 au Québec: pas d’ingérence de la part du fédéral, assure la ministre
Le projet de loi C-13, en plus de modifier la Loi sur les langues officielles, crée aussi une nouvelle loi dédiée aux entreprises privées de compétence fédérale.
La ministre a eu à faire face à une autre critique, virulente, de la part du Bloc québécois cette fois, se disait déçu du projet de loi [C-13] déposé par la ministre.
«Alors qu’il s’agit d’une requête du gouvernement du Québec bénéficiant d’un appui unanime de l’Assemblée nationale et que, même à Ottawa, le principe en avait été accepté, ce gouvernement refuse toujours que la Charte de la langue française s’applique aux entreprises sous juridiction fédérale au Québec», a précisé Mario Beaulieu, député bloquiste porte-parole en matière de langues officielles.
De son côté, Joël Godin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de langues officielles, s’interroge sur les avantages d’une loi distincte.
La ministre a répondu: «On a créé de nouveaux droits pour les Québécois et les francophones […] pour qu’ils puissent travailler et se faire servir dans leur langue. Ce sont les mêmes obligations pour les entreprises en question, mais c’est tout simplement un autre véhicule législatif.»
C’est par décret que cette nouvelle loi sera activée, d’abord au Québec, puis dans le reste du pays deux ans plus tard. Interrogée sur ce délai, Ginette Petitpas Taylor a justifié : «C’est une question de mise en œuvre. Et on n’a pas encore déterminé la définition d’une communauté à forte présence francophone. Dès que l’on reçoit la sanction royale du projet de loi, je vais commencer ces consultations.»
L’immigration francophone: «c’est sérieux, notre affaire»
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada «aurait aimé voir un objectif plus précis de rétablissement et d’augmentation du poids démographique de la communauté francophone en situation minoritaire».
«Je cite souvent un chiffre pour que les gens comprennent que c’est sérieux notre affaire», assure la ministre. «En 1971, les francophones [à l’extérieur du Québec] représentaient 6% de la population. D’ici 2036, la projection est de 3%. On a beaucoup de travail, alors la collaboration avec le ministère de l’Immigration va être une clé.»
La mise en œuvre de la loi n’est pas partagée
«Il semble y avoir une confusion autour de la mise en œuvre», observe Ginette Petitpas Taylor. Elle explique que «seul le Conseil du Trésor va agir comme agence centrale en mettant en œuvre la Loi sur les langues officielles, en la coordonnant [dans l’appareil fédéral] et en l’évaluant. On lui donne plus de pouvoir. Et Patrimoine canadien est un bailleur de fonds.»