En ce Mois de l’histoire des Noirs, la question de l’accessibilité équitable à l’emploi pour les personnes racisées se pose toujours avec acuité au Canada.
Selon Statistique Canada, le taux d’emploi des hommes noirs de 25 à 54 ans au Canada en 2021 était de 3,3% inférieur à celui des autres hommes, qui est établi à 86,4%. Chez les femmes noires, le taux d’emploi était comparable à celui des autres femmes en 2021.
Des «estimations expérimentales» de l’Enquête sur la population active (EPA), publiées dans l’Aperçu de l’expérience des Canadiens noirs sur le marché du travail pendant la pandémie de 2021, «laissent supposer que, de janvier 2020 à janvier 2021, le taux de chômage a augmenté davantage chez les Canadiens noirs (+5,3 points de pourcentage) que chez les Canadiens n’appartenant pas à une minorité visible (+3,7 points de pourcentage) dans le contexte de la pandémie (estimations mensuelles)».
Au cours de la période de trois mois ayant pris fin en janvier 2021, selon toujours les mêmes statistiques, «le taux de chômage des Canadiens noirs (13,1%) était environ 70% plus élevé que celui des Canadiens n’appartenant pas à une minorité visible (7,7%)».
Les répercussions financières, qui sont ainsi plus importantes sur les groupes de minorités visibles, «pourraient nuire à une reprise plus inclusive» selon le point fait sur les répercussions sociales et économiques un an après la pandémie, publié par le gouvernement fédéral en mars 2021.
«Les groupes de minorités visibles continuent d’afficher des taux de chômage plus élevés ; de plus grandes difficultés financières ; une plus grande représentation dans les emplois faiblement rémunérés», indique le même rapport.
En décembre, le taux d’emploi était en hausse chez les Canadiens appartenant à des groupes de population désignés comme minorités visibles (+4,0 points de pourcentage pour atteindre 70,9%) comparativement aux chiffres de l’année précédente.
Le taux d’emploi a augmenté pour la plupart des principaux groupes de minorités visibles, y compris les Canadiens asiatiques du Sud-Est (+8,3 points de pourcentage pour atteindre 68,7%), les Canadiens noirs (+4,5 points de pourcentage pour atteindre 72,1%), et les Canadiens d’origine philippine (+4,0 points de pourcentage pour atteindre 77,7%).
Le taux a peu varié au cours de l’année pour les Canadiens d’origine chinoise (66,5%) (population âgée de 15 à 69 ans; données non désaisonnalisées).
(Source : Le Mois de l’histoire des Noirs 2022… en chiffres, Statistique Canada)
Bilans d’initiatives ontariennes
En janvier dernier, l’Ontario estimait le taux de chômage à 9,3% chez les groupes de la population désignés comme des minorités visibles comparativement à 6,2% pour les autres groupes et les personnes ne s’identifiant pas comme Autochtones
Afin de favoriser l’inclusion des personnes racisées au marché de l’emploi, le gouvernement ontarien a lancé, en 2021, une série d’initiatives avec l’organisme CivicAction dont une table ronde virtuelle sur l’inclusion économique au travail réunissant plus de 100 leadeurs établis et émergents de tous les secteurs, les communautés et les expériences.
Selon Shannon Whitteker, porte-parole du ministre des Affaires civiques et du multiculturalisme de l’Ontario, Parm Gill, «le gouvernement a investi 10 millions$ sur deux ans dans des initiatives nouvelles et améliorées», pour répondre aux mesures identifiées lors de la table ronde.
Cela comprend le fait de «doubler les investissements dans le programme de subventions contre le racisme et la haine (PSRH) et l’introduction d’une nouvelle subvention pour le soutien aux entrepreneurs racisés et autochtones (SERA) qui fournira 5 millions$ en soutien aux femmes entrepreneures et aux Autochtones, aux Noirs et aux autres personnes racisées», précise-t-elle.
De l’avis de Leslie Woo, PDG de CivicAction, «la pandémie de COVID-19 a révélé les disparités existantes dans notre économie et notre société, en particulier pour les personnes autochtones, noires et racialisées».
«Notre travail avec la Direction de l’action contre le racisme du gouvernement de l’Ontario vise à combler cet écart en donnant aux propriétaires d’entreprises et aux employés les outils dont ils ont besoin pour accéder aux talents», explique-t-elle, notant au passage que «l’économie canadienne ne peut être forte que si elle est inclusive».
Selon Shannon Whitteker, le gouvernement de l’Ontario laisse entendre avec satisfaction qu’il est «fier» du travail qu’il accomplit pour «faire progresser l’équité dans la province» et qu’«un changement systémique ne peut se produire du jour au lendemain». Cependant, des experts universitaires semblent avoir un tout autre avis sur la question et demeurent néanmoins sceptiques.
C’est le cas de Mélissa Villella, professeure adjointe en administration scolaire à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) spécialisée dans les communautés minorisées. Elle estime que «de manière générale, les subventions en provenance du gouvernement provincial ou fédéral sont rarement représentatives des besoins réels des organismes à but non lucratif (OBNL)».
«Trop souvent, ce sont des bénévoles ou encore des employés travaillant au sein du secteur communautaire qui travaillent aussi bénévolement pour leur organisme et leur communauté afin de combler le manque à gagner puisque la subvention n’est pas adéquate», note Mélissa Villella.
Elle cite comme exemple «le contexte francophone minorisé de l’Ontario», où «certaines subventions servent à financer des initiatives par des organismes à but non lucratif qui desservent aussi des personnes noires et de couleur».
Ces subventions, affirme l’experte, «couvrent les salaires et les frais d’un nombre très limité d’employés, avec l’exigence, dans ces conditions, que l’OBNL utilise des bénévoles pour offrir un service essentiel à ces populations marginalisées, tel que l’apprentissage d’une langue seconde nécessaire pour pouvoir accéder à un meilleur travail».
Mélissa Villella pense que «cette dernière condition crée des racismes systémiques envers des populations historiquement marginalisées en Ontario, au Canada et ailleurs dans le monde».
Racisme systémique
Mélissa Villella tient à préciser la façon dont elle définit le racisme systémique, en tant que «chercheure blanche d’expression française née au Canada, qui étudie le leadeurship éducatif et le racisme systémique antiNoir en contextes minorisés».
Elle privilégie la définition de Carl James, un chercheur noir et canadien, professeur à l’Université York, pour qui «le racisme systémique est composé de trois niveaux de racisme interreliés et interconnectés, c’est-à-dire que le racisme individuel, le racisme institutionnel et le racisme sociétal forment ensemble le racisme systémique».