En vertu d’une promesse électorale des libéraux, le ministre du Patrimoine canadien avait 100 jours pour déposer son projet de loi sur la radiodiffusion à la Chambre des Communes, un délai qu’il a respecté le 2 février.
C-11 reprend le flambeau de son prédécesseur, le projet de loi C-10, porté lors de la dernière législature par l’ancien ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault. Le projet est mort au feuilleton à la dissolution du Parlement l’été dernier après avoir suscité de vives critiques quant à la protection des contenus francophones.
De manière générale, le projet de loi C-11 a pour objectif de faire contribuer les plateformes comme Netflix, YouTube ou Spotify à la création de contenu canadien. Ce serait au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de veiller à négocier avec chaque plateforme le montant de leur contribution, selon le modèle d’affaires.
La grande nouveauté du projet de loi est qu’il se destine exclusivement aux plateformes et aux entreprises en lignes, et non aux utilisateurs.
Les CLOSM «nommées et visées spécifiquement»
Dans la forme actuelle de C-11, l’obligation pour les plateformes de diffuser du contenu musical et cinématographique créé et produit par des francophones en situation minoritaire dépendra beaucoup des négociations menées individuellement.
Aucun fonds spécifique n’est actuellement prévu pour les créateurs francophones hors Québec, mais Pablo Rodriguez a nuancé en conférence de presse que cela «dépendra de la plateforme […] parce que le modèle d’affaires est différent. Certaines pourraient avoir des pourcentages de contribution, d’autres pourraient investir dans un fonds».
«Ce qui est clair, c’est qu’il va y avoir plus d’argent dans le système pour de la création [canadienne], auquel auront accès des producteurs francophones, qu’ils soient du Québec ou d’une tout autre région au Canada», a indiqué le ministre.
Pour Carol Ann Pilon, directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), ce projet de loi «est une très grande avancée, d’autant plus que des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) sont maintenant nommées et visées spécifiquement […] ce qui n’était pas le cas dans l’ancienne loi de 1991, ni dans [le projet de loi] C-10».
Le CRTC obligé de consulter les communautés francophones
C-11 prévoit que le CRTC «réglemente et surveille le système canadien de radiodiffusion d’une manière qui […] favorise la présentation aux Canadiens d’émissions canadiennes dans les deux langues officielles — notamment celles créées et produites par les minorités francophones et anglophones du Canada — de même qu’en langues autochtones».
«Dans la Loi de 1991, on parle de dualité linguistique, mais aucun objectif dans la Loi ne mentionne les communautés linguistiques en situation minoritaire. Seul le mandat de Radio-Canada faisait référence à la dualité linguistique et aux régions», rappelle Carol Ann Pilon.
Cette fois, les francophones en situation minoritaire sont nommés dans les obligations du CRTC. Le projet de loi précise que «le Conseil [doit consulter] les minorités francophones et anglophones du Canada lorsqu’il prend toute décision susceptible d’avoir sur elles un effet préjudiciable».
Pour la directrice de l’APFC, «on n’était pas là avant, la considération n’était pas automatique, il fallait défendre tout le temps nos droits et [veiller] à ce que nos communautés soient vues. Là, c’est un gain historique, d’autant que s’ils prennent des décisions qui pourraient avoir un impact sur nous, ils [auront] l’obligation de nous consulter».
Carol Ann Pilon assure qu’elle suivra attentivement ce que fera le CRTC. «Ce sont eux qui vont prendre la décision en bout de ligne sur le niveau et le type de contribution qu’ils vont exiger des nouveaux joueurs pour soutenir la production indépendante, mais on a bon espoir qu’un projet de loi fort et bien articulé permettra à du contenu créé par et pour nos communautés d’être soutenu par la Loi.»
Des sanctions administratives pécuniaires sont également ajoutées pour les entreprises qui enfreindraient la loi, souligne Carol Ann Pilon.
Clotilde Heibing, directrice générale de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), se réjouit que C-11 contribue à «la mise en avant de cette francophonie minoritaire, vraiment diverse d’est en ouest et qu’on ne peut pas réduire à une seule province».
Elle assure qu’avec la pandémie, le gouvernement fédéral a «pris conscience» que le monde de la culture avait besoin d’être protégé et aidé.
Clotilde Heibing tient toutefois à souligner toutefois que la détresse des artistes reste bien réelle après deux ans de coups durs : «Certains vivent sous le seuil de pauvreté, d’autres abandonnent leurs projets artistiques pour faire un tout autre travail», décrit-elle avec tristesse.
Une composante communautaire absente pour les radios
Pour Simon Forgues, directeur des communications de l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARC du Canada), la reconnaissance des communautés linguistiques minoritaires est un vrai pas en avant, mais le projet de loi présente des lacunes au niveau du secteur communautaire.
«On fait de la représentation auprès de la députation et des ministres concernés pour que l’importance communautaire dans le secteur des radios communautaires et de campus soit davantage clarifiée dans la Loi, au même titre que le diffuseur public Radio-Canada est présent dans la Loi sur la radiodiffusion», souligne-t-il.
Simon Forgues souligne aussi que Radio-Canada reçoit chaque année des millions de dollars de la part du gouvernement – près de 1,4 milliard$ en financement public en 2020-2021.
Le directeur des communications déplore que l’aspect communautaire n’ait pas véritablement été bonifié dans C-11 comparativement à C-10. «C’est surtout le fait d’avoir les minorités linguistiques en situation minoritaire qui est apparu et qui était absent dans C-10», indique-t-il.
En tant qu’organisation représentant les radios communautaires en milieu minoritaire francophone, l’ARC du Canada se réjouit tout de même que les composantes «francophone hors Québec» et «anglophone au Québec» aient été intégrées.
«Mais est-ce qu’il y aurait moyen d’aller encore plus loin que ça, puis de mettre une composante “médias communautaires”?» s’interroge Simon Forgues.
«Si c’était écrit clairement dans la Loi sur la radiodiffusion que la composante communautaire fait partie du système de radiodiffusion, ce serait tellement plus facile d’aller faire des représentations auprès du gouvernement en disant: “On a besoin de financement pour faire fonctionner nos radios et besoin d’un certain quota de publicités du gouvernement”! Mais ce n’est pas écrit», pointe-t-il.
Les balises financières ne sont pas claires non plus d’après le directeur des communications. «Quand ils disent qu’il y aura plus d’argent [qui servira notamment à] financer les produits de langue française en situation minoritaire et de langue anglaise au Québec, quelle forme ça va prendre? Je ne sais pas trop, c’est encore nébuleux», déplore Simon Forgues.
Pour le moment, l’ARC du Canada continue de défendre les intérêts de ses membres auprès du gouvernement et de suivre de près le projet de loi, qui devra passer en seconde lecture puis devant le comité de la Chambre des Communes avant d’en arriver à une version finale.