L’histoire de cette région est d’une grande complexité étant donné sa position centrale sur l’échiquier eurasiatique. Il faut néanmoins en rappeler quelques éléments.
Tout d’abord, la Russie actuelle est l’émanation de la Rus’ kiévienne, une fédération de principautés au rôle commercial prépondérant qui a existé du 9e au 13e siècle. Le territoire ukrainien actuel est donc le berceau de la Russie et cela constitue une pierre angulaire de l’imaginaire russe.
L’Ukraine actuelle a connu une construction étatique erratique. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il y a eu la formation d’une République populaire ukrainienne (qui ne recouvrait pas les territoires séparatistes du Donbass d’aujourd’hui), qui disparait de la carte en 1921.
Le gros du territoire forme alors la République soviétique d’Ukraine, unité fédérée à l’URSS. Un territoire assez large à l’Ouest est rattaché à la Pologne, de plus petits territoires sont donnés à la Roumanie et à la Tchécoslovaquie.
Tout cela est important dans la mesure où cela explique les pratiques linguistiques variées des Ukrainiens, de même que leurs aspirations démocratiques et leur ancrage dans une identité plus ou moins européenne.
Dernier élément historique essentiel à la compréhension des évènements actuels: l’OTAN.
Après la chute de l’URSS en 1991, les Américains, contre l’avis de nombreux Européens, ont décidé d’un élargissement toujours plus poussé vers l’est en intégrant les trois ex-républiques soviétiques baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), de même que les pays d’Europe centrale et orientale. Cela s’est fait au détriment du sentiment de sécurité des Russes.
Le point de vue de Moscou quant à l’OTAN
Les élargissements successifs de l’OTAN font que l’Alliance atlantique et ses forces se trouvent désormais aux portes de la Russie. La zone entre la mer Noire et la mer Baltique n’est plus la zone tampon historique qu’elle fut, ce qui représente un problème de sécurité légitime pour Moscou.
Certains d’entre vous se rappelleront peut-être la crise des missiles de Cuba en 1962 : les États-Unis ne voulaient pas de missiles soviétiques dans leur arrière-cour et étaient prêts à déclencher une troisième guerre mondiale.
Et bien, il en va exactement de même aujourd’hui de la Russie. C’est la raison pour laquelle Moscou demande une assurance, sous forme de traité, stipulant que l’Ukraine ne deviendra pas membre de l’OTAN.
Moscou exige donc un statuquo et non un retour en arrière. Le gouvernement russe ne demande pas, par exemple, que l’on retire le statut de membre de l’OTAN aux pays baltes.
Bien entendu, le problème avec cette exigence, c’est qu’elle enfreint le droit souverain de l’Ukraine d’entrer dans les traités de son choix. C’est un fait juridique. Dans les faits politiques, les grandes puissances ont de tout temps limité ce droit à certains pays.
Pour Kyiv, abandonner son droit souverain à contracter un traité n’est peut-être pas cher payé pour maintenir l’intégrité territoriale qui lui reste, voire se mettre en meilleure position de négocier le retrait du soutien russe aux séparatistes des régions de Donetsk et de Louhansk.
Une bonne occasion de s’interroger sur la pertinence de l’OTAN
L’OTAN est un héritage de la Guerre froide qui a pris fin en 1989.
Dans les années 1990, il y a eu des discussions sérieuses sur l’avenir de l’Alliance atlantique. Alors que les Russes, les Français et les Allemands voyaient là une chance d’unifier le continent, de bâtir une «maison commune» en intégrant les anciens pays communistes et la Russie à l’OTAN, les précurseurs du néoconservatisme américain craignaient cet axe continental France-Allemagne-Russie.
Un des penseurs les plus influents de l’époque, Zbigniew Brzezinski, dans son livre Le grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde (1997) — devenu la source première d’inspiration de la politique étrangère américaine depuis — voyait l’Ukraine comme un pivot géopolitique.
Autrement dit, si l’Ukraine est dans le giron américain, la Russie perd automatiquement son statut de grande puissance, alors que si l’Ukraine est sous l’influence de Moscou, la Russie s’assure son statut de superpuissance.
On comprend mieux dès lors le ton guerrier employé par Washington. Il apparait également que l’administration Biden ne s’intéresse pas tant au sort de l’Ukraine, à son indépendance ou son intégrité territoriale, qu’aux intérêts mêmes des États-Unis et à leur domination sur le continent européen.
D’ailleurs, les Américains ne s’en cachent pas puisque Joe Biden a déclaré qu’il n’entrerait pas en guerre si l’Ukraine était attaquée. Le message est on ne peut plus clair et il serait temps que tous les Européens l’entendent.
L’OTAN est effectivement en état «de mort cérébrale» comme l’a crument, mais honnêtement dit le président français, Emmanuel Macron. L’OTAN, dirigée par les Américains, n’est pas faite pour assurer la sécurité et la stabilité des États européens, mais pour maintenir la puissance américaine.
Donner une chance à la diplomatie
Le président ukrainien, Volodymir Zelensky, est un modéré qui s’est fait élire sur une volonté affirmée de régler la question du Donbass en établissant un dialogue avec le Kremlin.
Les Français et les Allemands sont sur la même longueur d’onde et ont favorisé le maintien des canaux de communication, notamment sous le format Normandie (des pourparlers diplomatiques entre l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France), dont les discussions sont ancrées non seulement dans la réalité du terrain, mais aussi et surtout les Accords de Minsk, qui ont permis une cessation des hostilités dans le Donbass.
Soit, les accords ne sont pas toujours respectés, mais pour dialoguer et espérer trouver une solution, il vaut mieux partir d’un mauvais accord que de s’attarder sur les chimères de grandeur et de toute-puissance des Américains.
On critique souvent l’Allemagne, si dépendante du gaz russe, et la France, si russophile, mais on oublie que Vladimir Poutine a aussi besoin d’exporter son gaz et que toute sa politique étrangère vise à restaurer la place de la Russie dans le monde et à se refaire du capital politique dans son pays.
Autrement dit, du point de vue des Européens, y compris des Ukrainiens et des Russes, personne ne veut d’une guerre à grande échelle. En revanche, l’attitude belliqueuse de Washington et de ses inféodés risque bien de mettre le feu aux poudres, d’où les appels répétés du gouvernement de Kyiv à ne pas paniquer.
Aurélie Lacassagne est politologue de formation et professeure invitée à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales (ÉSAPI) de l’Université d’Ottawa.