Historien de formation et vétéran de la politique, le maire de Caraquet au Nouveau-Brunswick, Bernard Thériault, arrive pourtant à se servir de Facebook à son avantage depuis son élection.
Il y multiplie les interventions personnelles pour saluer le travail des employés de la Ville, pour vanter divers projets locaux ou encore pour contester ouvertement certaines décisions.
Récemment, il a profité de cette tribune pour déplorer la fermeture du palais de justice de la municipalité ou encore pour souhaiter une belle collaboration avec le village de Bas-Caraquet dans le projet de fusion des deux municipalités.
Il y a quelques jours, le maire a même expliqué dans le détail un projet majeur d’une trentaine de logements à proximité du centre-ville.
Pour l’instant, l’exercice lui réussit. Il a obtenu l’appui unanime de son conseil en décembre pour utiliser cette méthode de communication. Les commentaires sur sa page Facebook sont majoritairement favorables.
«Je n’avais pas de compte Facebook il y a deux ans, avoue Bernard Thériault. Je l’ai créé afin de nourrir une réflexion dans le cadre d’une campagne électorale. Mon défi était de savoir si un vieux politicien libéral était capable de se renouveler et de s’actualiser. Les médias sociaux m’ont permis de croire que oui.»
Le maire de Caraquet estime aussi que la grande ouverture d’esprit des conseillers et de la population lui facilite grandement la tâche.
«Les gens adorent. J’ai peur parfois de manquer de gaz et d’être redondant, mais je ne crains pas que ça devienne comme Denis Losier [le maire de Tracadie]. Denis est entré dans une polémique alors que moi, j’ai commencé un mandat avec beaucoup d’humilité avec 32 % des voix. Deux personnes sur trois n’ont pas voté pour moi!»
«Je constate aussi que le milieu municipal est le plus agréable en politique. La politique provinciale est dure et agressive. Ici, c’est respectueux», remarque Bernard Thériault, qui entend bien continuer sur sa lancée en misant sur sa grande expérience d’historien et sur sa «couenne dure», il le dit en riant.
Faire le choix de se retirer des médias sociaux
À l’inverse de Bernard Thériault, Denis Losier, lui, s’est totalement retiré des réseaux sociaux après quelques années très difficiles. Le maire de Tracadie y a en effet essuyé plus que sa part de critiques, notamment durant son dernier mandat.
De son propre aveu, il pouvait passer de deux à trois heures par jour à répondre à ses détracteurs. Ce temps précieux et gaspillé aurait dû être consacré à faire avancer les dossiers de la ville fusionnée, regrette-t-il.
«Ç’a été une aventure particulière. C’est très facile de te contester à travers les médias sociaux. Les gens peuvent y dire ce qu’ils pensent et t’attaquer. Il y a des hauts et des bas. Même si la majorité des commentaires sont positifs, il y a ce faible pourcentage d’interventions qui sont difficiles à gérer», avoue-t-il au sujet de ses deux mandats à la mairie.
M. Losier a appris un peu à ses dépens qu’il n’incombait pas au maire de gérer ce qui se dit dans les réseaux sociaux, au point où il a craint un temps pour sa santé mentale. Maintenant, Tracadie a embauché un agent des communications qui s’occupe de toutes les interventions.
«Ces commentaires négatifs affectent une vie personnelle, confie Denis Losier. Moi, ça me dérangeait. On est sorti d’une campagne électorale où les propos étaient virulents avec des attaques pointues. Des gens s’en sont donné à cœur joie pour me dénigrer. Après cinq ans sur les réseaux sociaux, je n’avais plus l’énergie de continuer par rapport aux bénéfices que cela a pu apporter. J’ai payé le prix fort et j’ai assez donné.»
«Il faut vivre avec son temps»
Pour l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB), il n’est pas question de gérer ce que les élus publient sur les réseaux sociaux. De toute façon, elle n’a pas le pouvoir de réprimander quelqu’un qui serait jugé fautif.
Cependant, l’analyse de ce qui s’est passé à Tracadie et la réforme de la gouvernance locale du ministre néobrunswickois Daniel Allain ont fait ressortir la pertinence de créer des postes d’agent des communications.
«La réforme va nous amener à nous pencher sur le côté des communications et la manière de publier nos bons coups, intervient le directeur général de l’AFMNB, Pascal Reboul. Les réseaux sociaux sont un outil de conscientisation citoyenne important. Il faut vivre avec son temps et les utiliser à bon escient.»
Selon lui, l’important est de trouver un sain équilibre entre ce qui est publiable et ce qui ne l’est pas. Il est conscient qu’un élu qui exprime ses pensées sur ces plateformes publiques court des risques. Ces propos peuvent enflammer certains citoyens mécontents ou encore devenir de la propagande politique pure.
«Tout se gère par les réseaux sociaux aujourd’hui, peu importe la réforme municipale ou encore la COVID-19. Ça ne changera pas même si une municipalité devient plus grosse, mais ça accorde des responsabilités plus grandes, d’où la présence d’une personne qui va gérer les communications», avance M. Reboul.
«Un bon réseau de communications est un grand avantage pour une municipalité. Ça donne de bons outils, de bons angles d’approche et de bonnes stratégies. On ne peut plus se passer des réseaux sociaux», conclut-il.
«Un mal nécessaire»
Les médias sociaux sont un mal nécessaire d’après l’ancien maire de Bathurst Paolo Fongemie. Mais pour que le mal soit moins aigu, ça prend plus que deux comprimés de Tylenol ; ça prend une stratégie, estime-t-il.
Fort présent sur les réseaux sociaux pendant ses mandats, M. Fongemie a en quelque sorte ouvert le bal avec son homologue Cyrille Simard, ancien maire d’Edmundston. La Ville de Bathurst a d’ailleurs confié à son directeur des communications le mandat de s’occuper précisément de ce qui allait être publié sur ses plateformes sociales.
«On se met à nu et on devient une cible. On a eu notre part de commentaires négatifs avec le dossier des motards, le conflit de travail avec les employés municipaux ou encore les éoliennes à Anse-Bleue [Bathurst avait appuyé un promoteur, NDLR]. Mais on n’a jamais eu besoin de réévaluer notre politique, même si ça peut être difficile à lire parfois», soutient-il.
Mais selon lui, il ne fait aucun doute que Bathurst a utilisé les médias sociaux de manière stratégique.
«C’est une façon de communiquer, de prendre position et d’être stratégique pour sonder l’opinion publique et pour nourrir l’opinion publique. En autant qu’il n’y ait rien d’émotionnel, on peut adopter une approche posée et atteindre nos objectifs», avance Paolo Fongemie.
«Nous n’avons jamais bloqué des gens, même si parfois cela a pu déborder en carnaval d’insultes dans le conflit de travail ou de menaces avec les motards. Ces opinions, parfois maladroites, démontrent aussi l’envers de la médaille», poursuit-il.
Si les élus comme lui arrivent souvent à se faire une carapace, il en va autrement pour leurs proches. La conjointe ou encore la famille immédiate peuvent être blessées par ces interventions, précise-t-il. À son avis, la solution consiste à toujours garder une certaine retenue par rapport aux propos exprimés.
«Ce n’est pas évident pour un élu de naviguer dans ça. C’est parfois très émotionnel, surtout avec la pandémie. On doit faire attention de ne pas contribuer à la polarisation du discours. Aujourd’hui, les médias sociaux sont un mal nécessaire. On n’a pas le choix. On doit composer avec et y gérer sa propre santé mentale», pense Paolo Fongemie.
Le maire de Shippagan, Kassim Doumbia, croit pour sa part que les médias sociaux sont devenus un incontournable de la politique municipale, mais qu’il y a toujours moyen de contrôler efficacement le message.
La Ville de Shippagan a aussi eu sa part d’ennuis à cause de propos tenus en ligne par un conseiller mécontent, ce qui a mené à l’élaboration d’une politique d’utilisation des médias sociaux comme source d’informations et non comme outil de débats publics.
«Ce ne sont pas tous les maires qui ont l’approche du maire de Caraquet. Il est actif, car il a le temps de le faire puisqu’il est à la retraite. Les médias sociaux peuvent rejoindre une certaine tranche de la population qui n’a pas le loisir d’assister aux réunions publiques. C’est un bon outil, sauf que ça ne doit pas devenir un outil de division et de négativisme sur la place publique», observe Kassim Doumbia.
Un outil pour joindre les citoyens et incarner la municipalité
Cyrille Simard juge quant à lui que sa présence sur les réseaux sociaux lorsqu’il était maire d’Edmundston n’était qu’une continuité de ce qu’il avait toujours fait dans sa vie professionnelle et personnelle.
Il avoue que sa maitrise de Twitter et de Facebook l’a aidé à faire passer ses messages de façon efficace. Mais cela n’explique pas tout du virage numérique qu’a fait Edmundston pendant son mandat.
«J’ai compris assez tôt que, dans la fonction de maire et de représentant d’un gouvernement municipal, l’aspect de la communication était un élément central. C’était particulièrement important, dans le genre de fonctions que j’avais, d’être le raconteur d’histoires en chef. Celui qui allait incarner la municipalité, la promouvoir et, en même temps, qui allait avoir une conversation authentique et directe avec les citoyens.»
M. Simard s’est aussi rendu compte que chaque plateforme avait son utilité. Si Facebook a été jugé comme l’outil de choix pour communiquer avec les citoyens, Twitter a été désigné pour transmettre des messages à l’extérieur de la région d’Edmundston et du comté de Madawaska.
À cela s’est ajouté un blogue, la diffusion des réunions publiques sur Facebook et une amélioration du site Web de la Ville d’Edmundston pour véritablement faire entrer la municipalité dans l’ère du numérique et susciter une participation citoyenne accrue.
«Plus ça avançait, plus on voyait ces opportunités. Dans le cas des réunions du conseil, quand tu te rends compte qu’il n’y a pas grand monde qui y participe en personne, ça devient plate pour les élus […] J’ai finalement proposé l’idée de Facebook Live et ç’a fait ses preuves, car on a souvent eu une quarantaine de personnes par réunion et parfois même plus.»
Les incidences de ce changement des façons de faire ont été considérables, avance Cyrille Simard : «Je me rappelle un moment où Mychèle Poitras [coordonnatrice des communications à la Ville d’Edmundston] me montrait un document qui parlait des villes les plus actives sur les réseaux au Québec, et on était, toutes proportions gardées, en avance sur bien des villes à bien des niveaux.»
Selon M. Simard, la transparence accrue qu’offrent les réseaux sociaux est parvenue à convaincre certaines personnes que les élus municipaux ne prennent toutes leurs décisions dans l’ombre, à l’abri du regard du citoyen ordinaire.
Contrairement à d’autres élus qui ont été attaqués de façon virulente et qui ont dû prendre du recul par rapport aux réseaux sociaux, M. Simard estime qu’il a été chanceux de ne pas avoir subi le même sort.
Comprendre les règles du jeu
Selon Cyrille Simard, «si tu es sur les réseaux sociaux, il faut que tu t’attendes qu’il y ait une réaction et qu’elle ne soit pas toujours positive. Il faut apprendre à être diplomate ou tout simplement se taire si on n’apporte rien au débat».
«Quand je me mets dans les souliers des élus qui ont reçu des attaques très personnelles et qui ont été victime de bassesses incroyables, je pourrais comprendre qu’ils voudraient se retirer de cet environnement qui peut devenir toxique.»
M. Simard admet néanmoins qu’il a connu des moments difficiles, notamment lors des quelques mois supplémentaires durant lesquels son mandat de maire a été prolongé à cause de l’annulation des élections municipales au printemps de 2020.
«La pandémie m’a forcé à prendre un certain recul, car je me suis aperçu que je m’autorisais à aller plus loin que ce je faisais normalement dans certaines interactions. Sans vouloir me justifier, toute la campagne de désinformation et les regroupements obscurs qui avaient des gens de la région comme partisans sont venus me chercher. Dans ces circonstances et avec la fatigue de la COVID, je suis allé assez loin dans certains cas», observe l’ancien maire d’Edmundston.
«Je reconnais que ç’a été contreproductif quand je l’ai fait», conclut-il.
Une arme à double tranchant
Les réseaux sociaux et la politique municipale ne font pas toujours bon ménage, précise le chercheur universitaire Gilbert McLaughlin.
D’un côté, les médias sociaux ont l’avantage d’offrir un outil de communication très large qui surpasse les moyens traditionnels et qui touche directement les citoyens, constate-t-il. Mais ses recherches ont montré que, de l’autre, ils peuvent devenir une bombe à retardement à cause de la prolifération et de la polarisation des commentaires haineux.
«Il faut avoir une carapace épaisse. Ici, on est encore chanceux, car les sujets qui mettent le feu se limitent aux attaques verbales de la part de minigroupes qui font des dommages. Ce sont les minorités qui font l’histoire, qui sont les plus bruyantes, alors que la majorité silencieuse est assise dans son sofa. Mais en France ou en Angleterre, par exemple, ça va jusqu’à des attaques physiques», explique le chercheur.
Gilbert McLaughlin a récemment livré une conférence rapportant que deux candidats sur trois avaient été la cible de propos injurieux dans les réseaux sociaux pendant la campagne électorale provinciale de 2020 au Nouveau-Brunswick.
«Les gens semblent plus en confiance de dire ce qu’ils veulent en ligne, même si ce n’est pas anonyme. Ils ne sont pas en face de la personne. On remarque aussi que plusieurs commentaires ne viennent pas de leur circonscription, de leur quartier ou même de leur ville. Il n’y a pas de frontière sur Internet», signale le chercheur, selon qui la situation réelle est probablement pire parce que plusieurs élus éliminent rapidement ces commentaires ou refusent carrément de s’afficher sur les réseaux sociaux.
M. McLaughlin félicite le gouvernement Trudeau de vouloir légiférer en matière d’utilisation des réseaux sociaux afin de contrer la haine et les menaces en ligne. Il se demande cependant comment sera tracée la ligne entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas en ligne et comment s’appliquera cette éventuelle mesure législative.
Avec la collaboration du journaliste Bobby Therrien.