«Pratiquement toutes les instances dans notre société ont cerné, à un moment ou à un autre, la santé mentale comme étant un enjeu dans la pandémie», affirme Geneviève Fecteau, directrice générale de la Division du Québec et de la Filiale de Montréal de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM).
«Je ne saurais vous dire si le tabou s’est estompé, mais ce que je peux affirmer, selon des observations, c’est que la santé mentale est davantage discutée et mentionnée. Elle est sur les lèvres de gens qui, d’habitude, n’en parlent pas», explique-t-elle.
Selon une étude menée conjointement par l’ACSM et l’Université de la Colombie-Britannique, 41% de la population canadienne a observé un déclin de sa santé mentale dans la première année de la pandémie. Les personnes les plus touchées sont celles qui se sont retrouvées au chômage en raison de la pandémie, les celles avec un trouble de santé mentale préexistant à la pandémie, les adultes les plus jeunes, les personnes en situation de handicap, les personnes LGBTQ2+ et les étudiants.
En tout, 79% des Canadiens ont indiqué s’adapter à la pandémie et au stress qu’elle impose. Pour cela, ils ont développé plusieurs stratégies :
Stratégie mise en place |
Pourcentage de répondants |
Augmentation du temps d’écran |
57% |
Marche ou activité physique à l’extérieur |
51% |
Communications virtuelles avec la famille ou les amis |
43% |
Maintien de saines habitudes de vie (équilibre, sommeil, alimentation, etc.) |
40% |
Source: Résumé des conclusions: Les conséquences de la COVID-19 sur la santé mentale (ACSM) |
«Beaucoup de personnes ne pensaient pas être concernées»
«On a remarqué qu’il y a une augmentation au niveau des symptômes d’anxiété et de dépression», précise Geneviève Fecteau.
«Il est certain que l’on ne peut pas l’attribuer à 100% à la pandémie. Il y a des gens qui avaient des fragilités avant la pandémie, dont les problèmes ont été exacerbés. Ce que nous pouvons remarquer par contre, c’est qu’il y a beaucoup de personnes qui n’avaient jamais expérimenté un trouble de santé mentale, ou du moins une inquiétude au niveau de sa santé mentale avant la pandémie. Cela est très significatif, car beaucoup de personnes ne pensaient pas être concernées.»
Elle note aussi une tendance chez les gens à être plus ouverts quant à leur état de santé mentale, mais que tous n’en sont pas au point de demander de l’aide. «Je trouve que l’augmentation de demandes d’aide n’est peut-être pas proportionnelle à l’augmentation des besoins. C’est là où on devrait porter notre attention.»
Ce à quoi Anne Gadermann, coresponsable de la recherche et professeure à l’École de santé publique de l’Université de Colombie-Britannique (SPPH), apporte une mesure d’autoévaluation des besoins. «Si des émotions comme l’inquiétude, la colère, la tristesse ou le désespoir vous submergent et persistent sur une longue période, il est temps d’aller chercher de l’aide.»
Des situations précédentes qui indiquent des tendances à long terme
Danielle Maltais, professeure au Département des sciences humaines et sociales à l’Université de Chicoutimi mène actuellement une étude sur l’impact de la pandémie sur les jeunes. Au fil des ans, elle s’est intéressée aux répercussions à long terme sur la santé mentale des victimes du glissement de terrain de Saint-Jean-Vianney en 1971 où en quelques heures, plusieurs maisons du village ont été englouties dans un glissement de terrain.
Dans une étude qu’elle a publiée au début des années 2000, elle constate que, près de 30 ans après les évènements, les victimes ressentaient toujours les impacts du traumatisme.
«Lorsque les gens sont exposés à une catastrophe, ils n’oublient pas ce qu’ils ont vécu […], mais on peut dire que la majorité des gens s’adapte aux situations qu’ils ont vécues, même sur le long terme. On peut lister des conséquences positives, du fait d’avoir été capable de développer des bonnes stratégies d’adaptation pour faire face à la situation. Ce qu’on s’est rendu compte, c’est que ces impacts sont surtout dans la vie personnelle, la vie conjugale, familiale ou sociale», indique la chercheuse.
Elle voit des aspects positifs à tirer de l’expérience pandémique. «Des jeunes nous ont dit : « Moi, je vais pouvoir en parler à mes petits enfants de la pandémie ». Déjà, ils sont marqués», précise-t-elle.
«La pandémie, c’est un cumul de stresseurs», explique Danielle Maltais. «Ce n’est pas la pandémie comme telle, mais les stress qu’on va avoir vécus pendant la pandémie qui vont probablement marquer.»
Selon elle, plusieurs recherches démontrent que l’accumulation des pertes, qu’elles soient humaines ou matérielles, et la durée de la période difficile, alourdissent les conséquences. «[La pandémie], c’est un terrain dangereux pour développer des séquelles à long terme», assure-t-elle.
La mise en lumière de problèmes sociaux existants
Geneviève Fecteau abonde dans le même sens. «Avec l’ampleur de la pandémie, c’est certain qu’on va ressentir les contrecoups au niveau de la santé mentale pendant longtemps […] et ça ne prendra pas quelques mois pour que ça reprenne son cours normal. Donc on va encore en souffrir longtemps».
Geneviève Fecteau explique ce phénomène en se questionnant sur les effets de la pandémie sur des problèmes sociaux préexistants. «Que ce soit au niveau de la violence [cojugale] ou de l’aidant naturel qui vivait avec des personnes qui avaient une maladie incurable […]. Après la pandémie, l’impact […] va demeurer.»
Elle-même a pu observer des enfants qui ont vécu un déficit de socialisation ou des étudiants qui étaient moins confiants dans leurs capacités.
La pandémie, selon elle, a confronté la société à certaines réalités plus difficiles comme les conditions de vie dans les maisons d’hébergement, la violence conjugale et l’itinérance.
«C’est également un reality check pour tous ceux qui se sentaient épargnés par les troubles de santé mentale. Ils se sont rendus compte qu’à tout niveau et à tout moment dans notre vie, on peut vivre une situation difficile qui ébranle notre équilibre.»