Ce constat provient d’un projet pilote complété en 2021 par le chercheur Laurent Cammarata, également professeur titulaire en éducation à la Faculté Saint-Jean de l’Université d’Alberta.
En mars 2021, il obtenu du financement de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) pour élargir son projet de recherche, qui visait exclusivement les programmes d’immersion de Alberta.
L’étude pancanadienne RÉCIF-SRIFS sur la rétention scolaire en immersion française et en milieu minoritaire francophone vise désormais l’ensemble du Canada et inclut les écoles francophones en milieu minoritaire.
De 50 000 à 13 000 élèves
«Quand on commence à regarder les chiffres, ils sont extrêmement beaux quand on regarde au niveau des inscriptions. […] En immersion, on a une augmentation d’à peu près 75 % en 20 ans, on a de quoi se réjouir!» lance Laurent Cammarata, qui tire ces données de son projet pilote en Alberta.
Il note également qu’entre 2015 et 2020, le nombre d’écoles francophones en Alberta est passé de 37 à 42, une hausse de 27%.
«Évidemment, il y a toujours un revers à la médaille. Quand on commence à se pencher sur le phénomène de la rétention des élèves […] on n’a pas de données sur les pertes. Très, très peu de conseils scolaires collectent des statistiques sur les gens qui partent ou ont des entrevues avec les parents qui décident de retirer leurs enfants», déplore le chercheur.
Au Canada en 2016-2017, près de 50 000 élèves fréquentaient la maternelle en immersion. Pour chaque année scolaire, ce nombre diminue, pour finir avec à peine plus de 13 000 élèves en 12e année.
«Il y a des choses qui sont normales, explicables […], mais il y a aussi toute une partie qui n’est pas explicable», constate Laurent Cammarata. Il note que la tendance est similaire d’une province ou territoire à un autre.
À travers l’étude RÉCIF, le chercheur espère pouvoir identifier certaines des raisons qui poussent les parents à retirer leurs enfants de ces programmes: «Ma question personnelle, c’est qu’est-ce qui se passe lorsqu’on a des parents qui ont fait le choix de l’immersion — qui est déjà quelque chose de très courageux —, qui étaient au départ très motivés, pour qu’à un moment donné ils décident de les retirer […] Tant qu’on ne sait pas, on ne pourra pas résoudre les problèmes.»
Des problèmes aux solutions
L’équipe de recherche a donc décidé de sonder les parents sur leur propre expérience avec le français, sur les motivations qui les ont amenés à choisir l’immersion ou l’école francophone pour leur enfant ainsi que sur leur perception actuelle du programme – s’ils pensent à retirer leur enfant, par exemple.
Un suivi avec des entrevues et des groupes de discussion est également prévu.
L’étude RÉCIF s’adresse également aux enseignants et aux administrateurs. «On veut voir aussi comment les perceptions et motivations des parents sont comprises ou interprétées par les autres acteurs du milieu, comment les enseignants et les administrateurs accompagnent ces familles-là», résume Laurent Cammarata.
«Le but ultime, c’est vraiment d’identifier des problématiques particulières, des manques ou des choses sur lesquelles on devrait travailler, pour pouvoir ensuite apporter des propositions pour améliorer la situation», ajoute-t-il.
Quelques réponses préliminaires
Laurent Cammarata note que «d’après les données qu’on a, beaucoup de parents mettent leurs enfants dans un programme d’immersion sans s’être vraiment préoccupés de poser des questions ou sans avoir eu accès à beaucoup d’information. Beaucoup d’entre eux ne savent pas vraiment ce que c’est, les programmes d’immersion».
Il observe aussi un manque de connaissances par rapport à l’apprentissage d’une langue seconde, ce qui soulève éventuellement des inquiétudes : «En immersion, on a souvent un délai naturel au niveau de la lecture et de l’écriture en anglais puisqu’on apprend à lire et à écrire exclusivement en français jusqu’à la troisième année. Beaucoup de parents s’inquiètent alors lorsqu’ils voient leur enfant avoir un petit retard», constate le chercheur.
Une autre raison évoquée par les parents est un manque de soutien pour des problèmes d’apprentissage. «C’est vrai que, dans la situation actuelle de l’Alberta, il y a des coupures assez incroyables, on se retrouve avec des enfants qui ont des besoins particuliers en salle de classe et qui n’ont pas le soutien nécessaire […] Dans les écoles anglophones, en général il y a plus d’argent», évoque Laurent Cammarata.
Enfin, beaucoup de parents s’inquiètent de ne pas pouvoir accompagner leur enfant dans les devoirs. «Le gros problème ici, c’est qu’on fait la promesse au départ que les parents n’auraient pas besoin de parler français [dans le cas des programmes d’immersion]. C’est vrai pour certains enfants, mais pour celui qui a par exemple des problèmes d’attention, cet enfant-là va avoir besoin de soutien à la maison», relève le chercheur.
Un partenariat avec Canadian Parents for French
L’étude doit se conclure au mois de mars. Laurent Cammarata voit toutefois cette recherche comme «le début d’une aventure […] La deuxième étape, ça va être d’approfondir tout ça et de faire des études ciblées sur des choses que l’on aura remarquées».
«Si on veut vraiment que tout le Canada soit bilingue, il faut que les enfants se retrouvent dans des programmes bilingues, donc il faut se préoccuper des gens qui sortent de ces programmes», souligne le chercheur.
L’équipe s’est d’ailleurs associée dès le début du projet à la branche albertaine de Canadian Parents for French (CPF), «un réseau national de parents, de bénévoles et de sympathisants qui se consacre à la promotion et à la création d’occasions d’apprentissage du français langue seconde (FLS) pour les jeunes Canadiens».
Son directeur général, Michael Tryon, note qu’il s’agit d’une «opportunité de parler ensemble de ce qu’on va faire pour améliorer les programmes d’immersion francophone et supporter les étudiants, les enseignants et les parents».
«En ce moment, le gouvernement albertain n’écoute pas les enseignants, n’écoute pas les conseils scolaires et les universités. Il écoute plus les parents – les électeurs […]», observe Michael Tryon. Il estime donc que son organisme peut porter la voix des parents jusqu’au gouvernement et exiger de meilleures conditions pour les programmes d’immersion et les écoles francophones.