L’année 2021 a été marquée par plusieurs crises sans précédent pour de nombreux pays francophones. Pensons par exemple à l’assassinat du président haïtien, Jovenel Moïse; au coup d’État du 24 mai 2021 au Mali — le deuxième en moins d’un an — ou encore au renversement du président Alpha Condé par des militaires en septembre en Guinée.
Pour la nouvelle ministre des Affaires étrangères canadienne, Mélanie Joly, 2022 sera donc l’occasion de démontrer que le Canada suit de près ce qui se passe dans l’espace francophone mondial et, pourquoi pas, de proposer ses services de médiation.
Il s’agit d’un exercice obligé si le Canada souhaite un jour retrouver un fauteuil au Conseil de sécurité de l’ONU.
Deux pays à surveiller: le Burkina Faso et la République démocratique du Congo
Si une grande partie de l’actualité burkinabè est présentement occupée par le procès historique des personnes inculpées pour l’assassinat du président et héros révolutionnaire Thomas Sankara en 1987, le Burkina Faso fera sans nul doute parler de lui cette année puisque le pays semble être en passe de devenir la cible privilégiée des groupes terroristes.
C’est du moins ce que laisse présager la recrudescence d’attaques dans les dernières semaines de 2021.
Cette situation précaire a de nombreuses répercussions : personnes déplacées, privation du droit à l’éducation et état d’urgence limitant par principe l’exercice des libertés fondamentales.
Voici un cocktail explosif dans un pays qui peine, depuis désormais six ans, à lutter contre ce fléau de la violence aveugle et qui apparait bien isolé dans la région. Cette instabilité sécuritaire qui perdure pourrait bien entrainer une révolte populaire qui pourrait à son tour emporter le président.
La situation n’est guère plus reluisante dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) aux prises avec une violence inouïe depuis 25 ans maintenant. Des groupes sèment la désolation au Nord-Kivu et en Ituri, deux provinces en état de siège depuis mai 2021.
Parmi ces groupes, Forces démocratiques alliées (ADF), qui ont prêté allégeance à Daesch pour recevoir plus d’armes – ce qui signifie plus de violences meurtrières contre les populations locales.
L’incapacité de l’armée congolaise (et des forces onusiennes) à assurer un minimum de sécurité a permis, une fois encore, à Museveni, l’indéboulonnable dictateur ougandais, d’interférer dans les affaires congolaises.
L’autorisation donnée par le président congolais, Félix Tshisekedi, à l’armée ougandaise d’entrer sur le territoire congolais inquiète aussi bien les observateurs que les populations de l’est du pays.
Si cette situation se veut provisoire, selon Kinshasa, elle représente néanmoins un pari très risqué au regard de l’Histoire. L’Ouganda, tout comme le Rwanda, n’ont eu de cesse de déstabiliser leur grand voisin; ils n’ont jamais eu besoin d’invitation pour ce faire.
Dans ces conditions, on peut s’attendre à ce que la RDC s’enfonce dans la crise et l’instabilité au cours des prochains mois.
Deux pays en crise à l’avenir plus qu’incertain: Haïti et le Liban
Haïti et le Liban sont également traversés par une profonde crise, mais cette dernière est existentielle. Il ne s’agit pas d’une situation qui pourrait s’aggraver ou dégénérer; nous sommes déjà arrivés à un point de non-retour.
Les élections législatives en mars prochain au Liban ne décideront pas des nouvelles couleurs de la Chambre — le jeu politique libanais étant de toute façon bloqué par des élites corrompues et un système archaïque de partage consociationaliste* des fonctions politiques — ; elles décideront ni plus ni moins de la paix dans le pays et de la concorde civile.
Soyons clairs: en aucun cas le Liban n’a les moyens de se relever de la crise financière, économique, sociale et politique sans précédent qu’il traverse.
Pour éviter une nouvelle guerre, il faut une transformation politique en profondeur. La question est de savoir si cette transformation pourra se réaliser à la suite des élections ou si les Libanais·es devront réinvestir la rue comme ils l’ont fait en 2019. Réponse ce printemps.
Théoriquement, Haïti devrait également connaitre des élections en 2022 pour se choisir un nouveau président, une nouvelle Chambre des députés, 19 nouveaux sénateurs et une nouvelle constitution – sauf que la date n’est pas encore déterminée et qu’on les attend depuis 2019.
De plus, les conditions minimales permettant l’organisation de ces élections ne sont pas réunies et ne sont pas près de l’être: les gangs armés sèment la terreur à travers le pays et la situation humanitaire est des plus précaires.
On sait le peuple haïtien résistant, résilient et combattif. Pourra-t-il collectivement reprendre en main son destin en 2022? C’est tout ce qu’on peut lui souhaiter.
Les élections présidentielles françaises
Pour citer l’humoriste français Coluche: «Pas du choix, que de l’embarras».
Comme quasiment à chaque élection présidentielle depuis 2002, chacun retiendra son souffle le soir des élections printanières devant le spectacle peu ragoutant de la politique française, qui a mené ces dernières décennies à ce que l’extrême droite, antiparlementaire et antidémocratique, se trouve en position de ravir le pouvoir.
Si le candidat d’extrême droite Éric Zemmour n’a vraisemblablement plus de chance de se retrouver au second tour, Marine Le Pen, candidate connue de l’extrême droite, conserve toutes ses chances.
Les deux candidats auront en tout cas gagné à imposer leurs thèmes privilégiés : la chimère du «grand remplacement», l’obsession migratoire et la sécurité.
La candidate de la droite classique, Valérie Pécresse, se positionne plutôt bien dans les sondages, à la surprise générale, mais à cause d’une droitisation de son discours.
Quant à la gauche, elle continue de s’enfoncer dans ses divisions idéologiques de pacotille et s’avère incapable de proposer un programme répondant aux préoccupations des Français, de plus en plus vulnérables et menacés par la précarité.
Tout cela laisse un grand boulevard plein centre pour le président sortant, Emmanuel Macron. Si la tendance se maintient, on peut déjà annoncer que le grand vainqueur de cette élection sera l’abstention.
Mali et Guinée: minces espoirs d’un retour du pouvoir aux civils
Au Mali, la perspective d’un transfert du pouvoir aux civils s’amenuise de jour en jour.
Le cadeau empoisonné des Assises nationales de la refondation, qui ont eu lieu pendant les Fêtes, a été un nouveau chronogramme prolongeant ainsi la transition de six mois à cinq ans. Autant oublier tout de suite l’idée d’une transition et de la tenue d’élections démocratiques dans le pays.
Le message envoyé par le colonel Assimi Goïta, chef de la junte et putschiste récidiviste, est clair: il a la ferme intention de s’accrocher au pouvoir. Reste à savoir maintenant comment les Maliens réagiront face à cette usurpation.
En Guinée, la situation semble un tant soit peu différente et peut être plus optimiste, notamment parce qu’ont été mis en place une Charte de la transition et des organes plus inclusifs pour mener à bien la prochaine étape.
Si on n’a pas encore de date pour des élections, c’est parce qu’une nouvelle constitution doit être rédigée. Le nouveau gouvernement mis en place semble aussi de bon augure : aucun ancien ministre, sept femmes, seulement deux militaires et des experts.
Il n’est pas interdit d’espérer qu’au fil de cette année 2022, le dialogue national cordial continue pour déboucher sur un nouveau texte constitutionnel qui ouvrirait la voie à des élections en 2023.
*Consociationalisme: Le consociationalisme est une variante démocratique, adoptée par des pays aux populations hétérogènes dans lesquels des clivages ont tendance à engendrer des divisions profondes, susceptibles de renverser la structure étatique. Le partage du pouvoir dans différentes institutions entre les différents segments de la société est ainsi prévu par la Constitution ou une loi afin de s’assurer de la représentativité et de la participation au processus politique de tous les groupes. (Source : La démocratie consociative, Julien Lacabanne)