Jérôme Melançon, l’auteur en révolte contre le poids de la langue

Jérôme Melançon, l’auteur en révolte contre le poids de la langue

C’est votre troisième recueil de poésie. En quoi cet ouvrage se distingue-t-il des deux précédents?

Les premiers étaient surtout basés sur la forme et les contraintes liées à l’écriture. Je cherchais encore ce que j’avais à dire sans vraiment avoir trouvé. J’ai décidé de mieux penser à ce que je voulais produire. J’ai commencé à soumettre des poèmes en 2020 pour des révisions, pour finalement arriver à quelque chose d’abouti en 2021.

En d’sous d’la langue, voilà un titre mystérieux. De quoi le recueil parle-t-il?

Il parle de toutes les normes et exigences qu’on impose autour de la langue française, tant au niveau de la langue et du style que de l’identité – cette question d’être francophone et de parler français. Tout cela se place dans l’incertitude, car je n’ai rien à revendiquer en tant que tel. Je voulais ouvrir une brèche, pour voir ce qu’on pouvait dire à propos de cette pluralité linguistique.

En tant qu’intellectuel et Fransaskois d’adoption, vous participez souvent à des tables rondes et à des conférences organisées par l’Université de Regina et les organismes communautaires. Par quoi votre implication est-elle motivée? 

Mon implication dans le milieu communautaire est bien évidemment liée à mes recherches universitaires, mais pas seulement. D’un point de vue personnel, j’essaye de m’impliquer le plus souvent possible auprès de personnes ou d’organismes qui peuvent bénéficier de ma voix pour parler de l’état actuel des choses.

Quels sont justement les sujets qui vous tiennent à cœur? 

Je souhaite avant tout aider. En tant que personne très privilégiée selon les axes sociaux, politiques ou religieux actuels, j’ai la chance de ne pas avoir à changer beaucoup de choses pour que ma vie soit meilleure et je pense que tout le monde devrait avoir cette chance.

Mes travaux les plus récents portent sur ces relations sociales entre les gens et les communautés — francophone ou autochtone — où il reste encore des choses à régler. Mes travaux portent également sur le racisme ou le sexisme, qui sont souvent des sujets oubliés, mais bien présents au sein de la francophonie.

La poésie est-elle présente chez vous depuis toujours ou a-t-elle fait irruption tardivement?

C’est une pratique qui me suit depuis longtemps. J’ai commencé à écrire de la poésie lorsque j’étais au cégep [collège d’enseignement général et professionnel] au Québec, tout à fait par hasard, après avoir lu des poèmes de Baudelaire dans mon cours de littérature. Ça a éveillé quelque chose en moi et, depuis, je n’ai jamais vraiment arrêté d’écrire.

Pour moi, la poésie, c’est pouvoir poser des questions qui sont parfois très similaires à ce que je peux aborder dans mes cours de philosophie ou de sciences sociales. Ce médium me permet de rejoindre différemment les questions qui m’habitent.

Vous êtes récemment devenu chroniqueur pour Francopresse. Ce nouveau rôle comble-t-il un besoin de vous exprimer sur la scène franco-canadienne?

Oui, tout à fait. J’ai écrit plusieurs dizaines de chroniques et articles dans différents médias avant Francopresse. C’est important pour moi, je fais partie d’une tradition philosophique engagée à travers la philosophie existentialiste.

Une grande partie du travail de remise en question se fait dans les médias populaires, dans une tentative de donner aux gens plus d’outils pour comprendre les situations qui les entourent. Je me sens très chanceux de pouvoir maintenant le faire au travers de Francopresse.

Parfois, j’énonce des opinions qui peuvent faire jaser, mais la plupart de mes chroniques sont moins au niveau de l’affirmation que de la proposition. Pour moi, on doit trouver les moyens d’être fidèle à qui on est tout en remettant en question la façon dont on se pense.

Avez-vous d’autres projets?

J’ai toujours trop de projets en même temps! J’ai un projet poétique en cours, qui est en rapport avec la question du territoire, et un autre en anglais qui porte sur le langage. Je travaille également, et ce depuis bien trop longtemps, sur un livre portant sur la réconciliation.

Le recueil de poésie En d’sous d’la langue est publié aux éditions Prise de parole.

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Poème intitulé «Depuis», extrait du recueil En d’sous d’la langue de Jérôme Melançon

y’reste du monde pour peupler

tous les hôtels Capri, tous les Commodore

tous les motels fait’ en coin 

même sans les grosses chaises rondes oranges

même sans pay-per-view

pour abandonner des aires de tabac

trois fois plus grosses qu’eux autres

aussitôt qu’a’ sont créées

pour m’conter des histoires

le long d’la rue Marion

dix minutes après l’ouverture d’la régie des alcools

pour m’donner un conseil 

ferme

dans un grand partage des eaux : 

arrête pas d’aimer

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