Pour moi, petit monstre à batterie au bec sale du petit Canada, ce magasin était le summum du summum. C’était mon Walt-Disney. J’étais convaincu que si le paradis existait, il y aurait sûrement là-bas un Rossy deux étages. Je me rappelle très bien de l’année 1983 et pour cause. C’est l’année où mon père a perdu son emploi de vidangeur et son truck, la grosse Berta. En 1982, ma famille est devenue une statistique de l’aide sociale dans le comté d’Argenteuil. Fini les magazines de lutte, fini les magazines de Marvel, Spider-Man, Capitaine America, etc. Pour moi, 1983 c’est le début de la fin de notre petite famille. Ce temps des fêtes là, je me rappelle de voir ma vieille mère pleurer en silence parce qu’elle n’avait pas une cenne pour nous acheter des cadeaux de Noël. Comment elle a fait? Je n’en ai aucune idée. Sûrement, avec du recul, un emprunt d’argent avec pourcentage d’un bonhomme Untel.
Je ne sais pas pour vous, mais ma vieille mère à moi n’a pas inventé la subtilité. Elle me montrait le catalogue Sears de chez ma tante Loulou et me demandait ce que le père Noël pourrait choisir pour moi. Elle m’apportait aussi au Rossy deux étages de la rue principale et on faisait la même chose qu’avec le catalogue de ma tante Loulou. Au sous-sol du Rossy, il y avait un restaurant. Oui, un resto au Rossy! C’était l’époque comme au Zeller et ‘’su’’ Sears! J’ai encore aujourd’hui en mémoire l’odeur de «pétaque sauce», de «steamé», de hamburger steak. C’était de la bouffe réconfortante ou comme disent les hipsters aujourd’hui du «comfort food».
Cette fois-là, ma mère Mado avait gagné à la loterie du bonhomme Untel, je crois. En plein cœur de décembre, musique dans les hautparleurs accrochés au poteau, guirlandes de circonstance à la grandeur de la rue principale et décoration partout où il était possible de décorer faisaient notre joie. De bonnes bordées de neige dans mes souvenirs…
Au resto du Rossy, j’avais mangé un excellent hamburger steak et j’avais bu un petit coke en bouteille. J’étais choyé, heureux, rempli jusqu’au bouchon. Ma mère souriait en fumant une cigarette Markten; la boucane se mélangeait à l’odeur de la friture. Une fois le ventre plein et la tête pleine de souvenirs, j’allais voir la fameuse section de bébelles, cette section qui a fait rêver tant d’enfants. J’imaginais qu’on fermait les portes du magasin et qu’on m’avait oublié à l’intérieur. Ne pas dormir de la nuit et jouer avec toutes les bébelles, même celles pour les filles. Section inventée au paradis c’est certain, Tonka, Slinky, Perfection, Big Wheel, opération, GI Joe, le bonhomme élastique qui était un genre de bonhomme Untel, mais plus drôle.
Cette journée-là, une révélation devant moi, une illumination, un mirage dans le désert pourtant je n’étais pas sur la côte de sable. J’étais devant la section figurine de lutte et je manquais de souffle. Il y avait même un ring de lutte, mais déjà ma mère m’avait avertie qu’elle n’avait pas assez d’argent pour acheter le ring qui j’imagine à l’époque coûtait à lui seule une petite fortune. Subtilement, elle m’a dit que le père Noël pourrait m’apporter quatre lutteurs cette année! Je savais donc qu’en 1983 mon cadeau de Noël serait quatre bonshommes de lutte et j’en étais très heureux. J’ai choisi le nouveau champion du monde Hulk Hogan qui venait de remporter la ceinture au Madison square garden de New York contre Iron Sheik. Il avait autour de la taille la ceinture de champion, petit objet facile à perdre, mais pas dans mon cas, car je n’étais pas un enfant brise-fer. Je faisais attention à mes bébelles. Mon deuxième choix justement était Iron Sheik et ses drôles de bottes aux bouts retroussées, suivi par André le géant dans ses belles culottes bleues. Mon dernier choix, un autre géant dans ses culottes blanches avec des étoiles bleues, Big John Studd. J’ai usé ces bonhommes comme jamais j’ai usé des jouets. Mes bébelles préférées à vie, davantage que ma table de hockey du Canadien contre les champions de la coupe Stanley Les Islanders de New York.
Iron Sheik, Hulk Hogan, le Rossy deux étages, la neige, le Madison square Garden sont emmitouflés dans mes beaux souvenirs comme ces boules de noël en verre qu’on brasse une fois de temps en temps.
P.S. Fait à noter, l’année suivante, j’ai reçu le fameux «ring».
Merci Mado!