En moins de sept mois, l’ancien député Paul Lefebvre et la sénatrice Lucie Moncion ont déposé à deux reprises un projet de loi pour empêcher les établissements postsecondaires du pays de se prévaloir de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
Une manœuvre effectuée dans un premier temps par Paul Lefebvre — le projet de loi C-288 — en réaction aux coupes effectuées à la Laurentienne le 12 avril 2021. Son projet est cependant mort au feuilleton avec les élections fédérales.
Le projet de loi S-215, déposé au Sénat par Lucie Moncion dès les premiers jours de reprise des travaux parlementaires, vient achever ce travail, explique-t-elle. Il démontre également le caractère urgent de prévenir d’autre cas comme la Laurentienne, «notamment dans les communautés de langues officielles en milieu minoritaire», précise-t-elle.
La sénatrice estime que tous les établissements d’enseignement postsecondaire au pays «sont en train de regarder comment la situation à la Laurentienne va se résoudre. On veut éviter que ça devienne un exemple».
Aux gouvernements provinciaux et fédéral d’assumer le financement
La LACC et la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ont permis la restructuration de la Laurentienne au printemps dernier, entrainant par le fait même l’élimination de nombreux programmes et forçant des étudiants du Nord de l’Ontario à l’exode.
«Ce n’était pas attendu qu’un établissement d’éducation postsecondaire puisse utiliser la LACC ou la Loi sur l’insolvabilité puisqu’ils sont financés par nos gouvernements», rappelle la sénatrice indépendante franco-ontarienne Lucie Moncion.
Son projet de loi vise donc à établir «la responsabilité du gouvernement fédéral dans la recherche de solutions. Ce dernier doit consulter des acteurs clés dans les communautés, les établissements postsecondaires et les gouvernements provinciaux», revendique Lucie Moncion.
«Depuis plusieurs années, il y a un sous-financement chronique de la part des provinces et le financement du gouvernement fédéral stagne depuis les années 2000. Les universités et collèges sont au bord du gouffre», analyse-t-elle.
Elle assure que la pandémie a exacerbé une situation déjà précaire pour les établissements postsecondaires.
«Le gouvernement provincial ne l’avait pas anticipé»
Paul Lefebvre, ancien député libéral de Sudbury, a commencé à travailler sur ce projet de loi en avril dernier. Il rejoint Lucie Moncion: «Les sociétés comme les universités, les collèges ou les hôpitaux ne devraient pas se prévaloir de cette loi [la LACC].»
«J’ai vu l’effet que ça a sur les gens. Les banques pensaient que ce genre de restructuration [n’arriverait jamais] vu que l’université est une entité gouvernementale, créée par une loi gouvernementale. Personne ne pensait que l’université pouvait se prévaloir d’une restructuration. On était tous sous le choc lorsque c’est arrivé à la Laurentienne», reprend Paul Lefebvre.
Pour lui, tout l’aspect économique de la question a «peu été analysé. Les banques avaient l’impression que le gouvernement surveillait les universités sur la question de leur rendement, fiscal et financier».
Lucie Moncion souligne qu’en plus d’avoir échoué à anticiper la situation, le gouvernement provincial n’est pas venu en aide à la Laurentienne: «Tant que l’université est sous la protection de la LACC, ils attendent de voir les résultats», commente-t-elle.
La sénatrice rappelle que dans les années 90, le gouvernement de l’Ontario était pourtant intervenu auprès des conseils scolaires francophones: le gouvernement provincial avait mis le Conseil francophone de planification scolaire d’Ottawa-Carleton sous tutelle et avait réglé les problèmes en collaboration avec les conseils scolaires.
«Dans le cas de la Laurentienne, c’est comme si le gouvernement provincial ne l’avait pas anticipé, comme s’il n’était pas au courant des problèmes», regrette encore Lucie Moncion.
La politicienne s’appuie sur un autre exemple bien connu: le Campus Saint-Jean (CSJ). «L’Université de l’Alberta est très au courant des problèmes financiers du campus, mais n’intervient pas. Il y a une précarité continue. C’est la même chose au Nouveau-Brunswick. Où sont les gouvernements? Où est l’argent du gouvernement fédéral qui doit être utilisé pour le campus, pour les communautés de langues officielles en situation minoritaire? Qu’est-ce qu’on fait avec cet argent?»
C’est pour cette raison que la sénatrice tient à voir si, en modifiant les deux lois, il sera possible de «responsabiliser les gouvernements provinciaux et fédéral» pour protéger l’éducation dans les communautés en situation minoritaire.
Quant à Paul Lefebvre, il se dit «confiant» sur les chances d’adoption du projet de loi. «Il faudrait que ça se fasse rapidement, maintenant», presse-t-il.