Un discours du Trône en demi-teinte pour les francophones

Un discours du Trône en demi-teinte pour les francophones

Mary May Simon a livré le discours en anglais, en inuktitut — fait historique — et à 18% en français.

Lors de sa nomination l’été dernier, les communautés francophones avaient vivement critiqué le fait qu’elle ne parle pas français. La plupart des organismes francophones ont toutefois salué son effort de livrer une partie du discours du Trône en français.

«Initialement, nous n’étions pas contents de cette nomination. Son discours en français hier est un signal qu’elle le travaille, qu’elle prend des cours. On salue cela. Avec le temps, ça va s’améliorer», affirme Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

Du côté de l’Atlantique, le ton est plus dur: «On veut la réconciliation, on veut qu’une représentante des Premières Nations soit gouverneure générale. Mais on pourrait penser qu’il y a surement beaucoup de membres des Premières Nations au pays, et surtout au Québec, qui auraient pu occuper ce poste et parler le français», suggère Roger Ouellette, professeur à l’École des hautes études publiques (HEP) à l’Université de Moncton, qui souligne que le discours a été livré «péniblement» dans cette langue.

Alexandre Cédric Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) qui est actuellement devant les tribunaux au sujet de l’unilinguisme anglophone de leur lieutenante-gouverneure, Brenda Murphy, assure qu’il y a «des comparaisons à faire» entre les deux représentantes de la reine.

Encore des points d’interrogation pour les langues officielles

Pour Roger Ouellette, si le discours du Trône ne va pas en profondeur, car ce n’est pas sa nature, les lettres de mandat [des ministres fédéraux] seront plus explicites.

Alexandre Cédric Doucet souligne pourtant un manque de détails: «Vu que le projet de loi [visant à moderniser la Loi sur les langues officielles] risque de jouer un grand rôle au nom de l’unité nationale, nous sommes un peu déçus.»

Le fait que le projet ne fasse pas partie des priorités avant Noël constitue une déception pour la SANB. «Pour être cohérents avec leurs promesses électorales, il aurait été bon que les libéraux précisent la date de dépôt, vu que c’est une demande des communautés francophones depuis six ans, et précisent si le projet sera déposé dans son état actuel ou non», indique Alexandre Cédric Doucet.

La SANB demande notamment que ce soit uniquement le Conseil du Trésor qui surveille le respect de la partie 7 de la Loi. Actuellement, le rôle est partagé entre le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien dans le projet de loi.

En Ontario, l’AFO aussi aurait aimé savoir si le projet sera redéposé tel quel ou non. Pour Carol Jolin, «il manque encore des éléments extrêmement importants sans lesquels la Loi aura des trous et ne sera pas plus respectée qu’elle ne l’est présentement».

Ces «trous» seraient comblés par les quatre amendements réclamés par la FCFA à la fin octobre, selon le président de l’AFO.

Lynn Brouillette, présidente-directrice générale de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), assure pour sa part être «enchantée» de voir que le gouvernement juge «crucial» l’appui aux communautés francophones en situation minoritaire.

«Ça vient renforcer le discours sur l’asymétrie des langues, en rappelant que le français est la langue qui doit être protégée et promue au pays», indique-t-elle. 

Extrait du discours du Trône:

Les deux langues officielles font partie de notre identité.

Il est crucial d’appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire et de protéger et promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec.

Le gouvernement déposera sa proposition de Loi visant l’égalité réelle du français et de l’anglais et le renforcement de la Loi sur les langues officielles.

Et l’éducation?

Malgré l’intention du gouvernement de redéposer un projet de modernisation, la PDG de l’ACUFC considère qu’«il aurait à gagner à prendre en considération les modifications, notamment sur la question des mesures positives. On veut s’assurer que cette partie appuie le réseau postsecondaire. Présentement, la façon dont c’est écrit [dans le projet de loi], c’est comme si le postsecondaire était exclu des mesures positives».

L’ACUFC salue également la mise en place d’un «tout premier système d’apprentissage et de garde d’enfants pancanadien» dans le discours.

«Pour nous, c’est d’autant plus intéressant vu que la garde d’enfants est le début du continuum d’éducation qui mène jusqu’au postsecondaire», assure Lynn Brouillette.

L’éducation en général et en français est pourtant la grande absente du discours du Trône, estime de son côté Lily Crist, présidente de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB).

«Je comprends que les sujets de société abordés soient très importants, évidemment, mais des institutions francophones manquent de moyens et d’indépendance adéquats et vivotent».

Il aurait été bon d’avoir une vision ou un plan à ce sujet, appuie-t-elle, en soulignant les cas de l’Université Laurentienne et du Campus Saint-Jean. 

Une cible pour l’immigration

Sur l’immigration, les communautés francophones veulent une cible claire à atteindre.

La PDG de l’ACUFC a été «agréablement surprise» de l’intention du gouvernement de réduire les temps d’attente pour immigrer. Mais «la question d’atteindre la cible est importante pour nous, précise Lynn Brouillette. Notre réseau d’établissements postsecondaires est un allié du fédéral parce que nous accueillons des étudiants qui arrivent de pays francophones et qui souvent veulent rester au Canada».

Une étude menée par l’ACUFC démontre que «la plupart des participants à l’enquête des étudiants internationaux francophones (91%) ont l’intention de chercher un emploi au Canada après avoir terminé leur programme d’études» et que «(92%) habitent toujours au pays après avoir terminé leur programme d’études».

Côté ontarien, Carol Jolin rappelle que la cible en immigration francophone de la province, fixée à 5% depuis 2012, n’a pas été atteinte avant cette année, et que la cible fédérale de 4,4% ne l’a jamais été.

«Il faut que gouvernement fédéral mette en branle ces cibles pour les dépasser et être capable de rattraper le temps perdu, car notre poids démographique ne cesse de descendre. C’est un consensus de tous les partis, il ne manque que la décision de la ministre Ginette Petitpas Taylor sur ce point», explique-t-il.

Partager cet article