Pour la Nouvelle-Écosse, c’était une douce revanche, car l’année précédente une goélette américaine avait remporté le trophée de cette course à deux.
Il était un petit navire…
Le Bluenose a été construit au chantier naval Smith & Rhuland à Lunenburg, à l’ouest d’Halifax, au cout de 35 000$ en dollars de l’époque – environ 515 000$ aujourd’hui.
Il a été conçu par l’architecte naval haligonien William James Roué (1879-1970), un autodidacte dont c’était le premier projet de goélette de pêche. Pour un premier essai, c’était plutôt réussi!
Le navire était entièrement fait de chêne, de pin, de bouleau et d’épinette de la Nouvelle-Écosse, à l’exception des mâts qui provenaient de grands pins de l’Oregon.
Après son lancement à la fin mars 1921, le Bluenose a entrepris sa première saison de pêche sur les Grands Bancs, au large de l’ile de Terre-Neuve et du Cap-Breton. Même si plusieurs navires de ce type étaient toujours utilisés pour la pêche à l’époque, «c’était presque la fin de l’ère des goélettes sur les Grands Bancs», souligne Emily Sollows, chargée de communication et assistante des opérations à Bluenose II et au comité Bluenose 100.
C’était une pêche rude et périlleuse : «On ne pêchait pas du pont du navire, explique Emily Sollows. On envoyait les pêcheurs sur de petites embarcations, des dories. C’était assez dangereux ; les pêcheurs devaient débarquer du navire sur ces petits bateaux, aller chercher le poisson et le ramener à bord.»
La domination du Bluenose
Il existait depuis longtemps une compétition de grands voiliers : la Coupe de l’America (America’s Cup), qui se déroulait dans le havre de New York.
En Nouvelle-Écosse et en Nouvelle-Angleterre, on s’en moquait un peu, car il s’agissait de navires tellement fragiles et instables qu’on devait annuler la course si les vents étaient un peu trop forts.
Des Néoécossais ont alors décidé, en 1920, de créer l’International Fishermen’s Race afin d’opposer les meilleurs navires de Lunenburg et de Gloucester, au Massachusetts. Les goélettes participantes devaient avoir connu une saison de pêche au préalable.
Des courses éliminatoires avaient d’abord lieu aux deux endroits afin de désigner les navires qui allaient s’affronter. Le parcours était d’entre 35 à 40 milles marins (65 à 75 kilomètres).
C’est un navire américain, l’Esperanto, qui rafle le trophée la première année. Mais cette victoire sera de courte durée puisque le Bluenose allait remporter la course de 1921 et n’allait perdre aucune des autres éditions de cette compétition, soit en 1922, 1923, 1931 et 1938.
L’édition de 1922 sera controversée alors que, contestant sa défaite face au Columbia à la deuxième course, le capitaine Angus Walters, qui était passé du mauvais côté d’une bouée, a refusé de mener la troisième et décisive course.
Bluenose, l’ambassadeur
Dans les années 1930, la renommée du Bluenose dépasse largement les frontières de la Nouvelle-Écosse.
En 1933, le navire devient un ambassadeur et entreprend une tournée de l’Est canadien, remonte le fleuve Saint-Laurent jusqu’au Grands Lacs et se rend jusqu’à Chicago pour représenter le Canada à l’Exposition universelle. Le navire en profite pour participer à la course Mackinac, dont le prix était un fromage de 135 kilogrammes.
Deux ans plus tard, en 1935, le Bluenose représente à nouveau le Canada, cette fois-ci en Angleterre à l’occasion du 25e anniversaire du couronnement de George V.
Après la dernière International Fishermen’s Race de 1938, le Bluenose est un vieux navire mal entretenu. Alors qu’il doit être mis à l’encan en 1939, le capitaine Walters, qui vient de se retirer de la pêche, l’achète pour la somme de 7 000 $ – qui provient de sa victoire de l’année précédente.
Mais l’entretien de la goélette est trop onéreux et il finit par la vendre en 1942 à la West Indian Trading Company. Le Bluenose entreprend une nouvelle carrière comme navire de transport dans les Caraïbes ; il n’a plus de voiles ni de mâts, mais est muni de moteurs.
Son nouveau rôle pouvait parfois occasionner autant de dangers que la pêche en haute mer. Alors qu’il était près des côtes de Cuba, chargé de dynamite et de carburant pour avion, le Bluenose a frisé la catastrophe.
Un sous-marin allemand a repéré la goélette. Une seule torpille l’aurait fait voler en éclat. Mais, miracle : «Le sous-marin s’est approché du navire», raconte Monica Graham, autrice du livre Bluenose.
«Le capitaine a demandé: “Êtes-vous le Bluenose?” On lui dit oui. Et il répond: “Si ce n’était que j’aime le Bluenose, je vous aurais abattu. Mais ne revenez plus.”»
La célèbre goélette n’a pas survécu longtemps à cette rencontre ; quelques années plus tard, le 28 janvier 1946, avec une cargaison de bananes, le Bluenose frappe un récif près de l’Île-à-Vache, dans le sud-ouest d’Haïti, et sombre.
La naissance du Bluenose II
C’était la fin du Bluenose, mais pas celle de la légende. Au début des années 1960, le même chantier naval de Lunenberg qui avait bâti l’orignal construit une réplique: le Bluenose II.
Il a été financé par la brasserie Oland d’Halifax comme outil promotionnel pour l’une de leurs bières, la Schooner, mais aussi comme attraction touristique.
Le Bluenose II devient, encore plus que son prédécesseur, l’ambassadeur par excellence de la Nouvelle-Écosse, visitant de multiples ports et accueillant des milliers d’apprentis marins. En 2012, on le démantèle complètement pour rebâtir un nouveau Bluenose II avec certains matériaux de la première réplique.
Après toutes ces années, sa popularité ne se dément pas, tout comme la légende du premier Bluenose. «On s’est beaucoup demandés cette année – célèbrerait-on le centenaire du Bluenose si le Bluenose II n’avait pas été construit? Probablement pas», souligne Emily Sollows.
À l’occasion du centenaire, la Monnaie royale canadienne et Postes Canada ont à nouveau immortalisé la goélette.
En 1937, la pièce canadienne de 10 cents arborait pour la première fois la goélette, mais sans l’identifier. Curieusement, ce n’est qu’en 2002 que la Monnaie royale confirmera qu’il s’agissait bel et bien du Bluenose.
Postes Canada a pour sa part émis deux nouveaux timbres: l’un présentant le Bluenose en expédition de pêche et l’autre lors de sa première course, en 1921. La goélette a fait une première apparition sur un timbre canadien en 1929, puis en 1982, 1988 et 1998.
Cent ans plus tard, pourquoi cette histoire fascine-t-elle encore? «C’est une histoire formidable. L’Homme contre les éléments», soutient Alan Creaser, président de l’organisme Bluenose 100.
Il ajoute: «C’est une histoire du Canada contre les États-Unis ; c’est une histoire de pêcheurs qui avaient la vie dure, mais qui ont vécu la gloire en menant des courses avec ces goélettes. Cette histoire du Bluenose rejoint les Canadiens jusqu’à ce jour. Et d’avoir le Bluenose II comme ambassadeur, cela garde la légende vivante.»