Viola Desmond aurait été un modèle pour bien des jeunes femmes de la communauté noire de la Nouvelle-Écosse avant même que des pratiques ségrégationnistes n’entrainent son arrestation, le 8 novembre 1946.
Elle-même avait étudié chez Madam C. J. Walker, la première femme noire millionnaire des États-Unis.
À l’occasion du 75e anniversaire de son arrestation, Francopresse donne la parole à cinq personnalités publiques noires, des femmes vivant ici et là au Canada. Madam C. J. Walker et Viola Desmond ont été des modèles pour plusieurs jeunes femmes au fil des ans – qu’en est-il des modèles pour les femmes d’aujourd’hui?
Viola Desmond, une influence
Rappelons d’abord l’histoire de Viola Desmond, née dans la région d’Halifax en 1914.
Jeune, elle s’intéresse aux produits capillaires et aux produits de beauté pour les Noires. Elle enseigne deux ans dans une école réservée aux Noirs, puis décide d’aller étudier l’esthétique – notamment à l’école fondée par Madam C. J. Walker, première millionnaire noire américaine, qui a inspiré la série Self-Made produite par Netflix.
De retour dans la région d’Halifax, Viola Desmond ouvre son propre salon de beauté, fabrique ses produits de beauté et lance une école, la Desmond School of Beauty Culture. Elle forme chaque année d’autres jeunes Noires, qui deviendront des porte-étendards de sa marque. Son influence s’étend.
Mais le 8 novembre 1946, Viola Desmond est arrêtée au cinéma Roseland, à New Glasgow parce qu’elle s’est assise au parterre, réservé aux Blancs. Ce même cinéma avait déjà expulsé, quelques années plus tôt, la journaliste Carrie Best et des élèves noirs.
Viola Desmond est trouvée coupable d’évasion fiscale, même si elle a offert de payer la surtaxe pour avoir accès au cinéma, et devra payer une amende de 26$. Sa demande d’appel sera refusée.
Après ses démêlés avec la justice, Viola Desmond finit par quitter la Nouvelle-Écosse et s’éteint à New York à l’âge de 51 ans.
Mais sa cause confirme la fondation d’un journal par Carrie Best, The Clarion, qui passera d’un feuillet à un journal qui suivra la cause, et mobilise la communauté noire de la Nouvelle-Écosse. En 1954, la ségrégation y prend officiellement fin.
Sur le plan personnel, Viola Desmond se voit accorder un pardon absolu par le gouvernement néoécossais en 2010 et sa sœur, Wanda Robson, reçoit un remboursement de l’amende payée, ajustée à 1000$.
Entre le pardon et le remboursement, Viola Desmond est désignée personnage historique national en juillet 2017 et devient la première Canadienne à apparaitre sur un billet de banque du Canada.
Michaëlle Jean
Le nom de Michaëlle Jean, ex-journaliste, cheffe d’antenne, gouverneure générale du Canada (2005-2010) et secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), aujourd’hui à la barre de la Fondation Michaëlle Jean, s’impose auprès des femmes approchées.
«Si on parle de femmes noires canadiennes, le premier nom qui me vient en tête est Michaëlle Jean», indique l’éducatrice et conférencière Paula Alphonse, établie à Gatineau.
Elsie Miclisse, animatrice à ICI Radio-Canada Saskatchewan, abonde. Elle a suivi Mme Jean à la télévision alors que cette dernière était journaliste et cheffe d’antenne. Michaëlle Jean aurait été un des modèles qui ont permis à Elsie Miclisse de rêver, «d’oser croire qu’il est possible d’atteindre des sommets».
L’animatrice et productrice Mathilde Hountchégnon s’est établie au Canada alors que Michaëlle Jean était gouverneure générale : «J’avais cette notion qu’il y avait beaucoup de possibilités [au Canada] […] mais le fait de le voir dans le parcours de quelqu’un comme ça, c’était quelque chose de complètement nouveau et d’un peu merveilleux.»
Se reconnaitre physiquement dans une personne qui occupe une telle fonction, «ça veut dire qu’il y a beaucoup de choses qui sont possibles», estime-t-elle.
Trouver ses propres modèles
Le constat a été d’autant plus important pour Mathilde Hountchégnon puisqu’elle s’est rendu compte qu’à un moment, elle n’avait aucun modèle.
«Ça fait une grande différence de rencontrer des femmes noires influentes», croit la Franco-Ontarienne qui a grandi en France et qui a des racines béninoises. «Il y a quelques années, je n’aurais pas pu répondre à cette question-là.»
C’est également le cas pour Paula Alphonse; si elle identifie Michaëlle Jean comme modèle public, elle n’y voit pas une source d’influence pour elle-même. «Comme la visibilité accordée à la communauté noire au Canada était limitée dans mon jeune âge, les femmes qui m’ont influencé vraiment seraient de l’extérieur», dit-elle.
Elle nomme la Française Maryse Condé et les Américaines Joséphine Baker, Maya Angelou, Toni Morrison, l’ex-première dame Michelle Obama et l’animatrice et productrice Oprah Winfrey.
Cette dernière, «c’est une femme qui est partie du néant», renchérit Phylomène Zangio, la première femme noire à siéger au Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick depuis mars 2021.
Si cette dernière met du temps à trouver une personnalité publique, femme, Noire, ayant marqué son parcours, c’est qu’elle pense plus spontanément aux femmes très fortes qui l’ont entourée.
Au sommet de la liste, il y a la tante qui l’a accueillie à Moncton il y a une trentaine d’années, alors qu’elle venait poursuivre des études universitaires. «Je l’ai vue faire. J’ai vu sa détermination. Elle avait six enfants, elle était impliquée dans la communauté», relate Phylomène Zangio.
La famille où elle a grandi, en République démocratique du Congo, a aussi laissé une marque importante : elle vient d’une famille dirigée par cinq mères. «Une famille polygame, c’est un minigouvernement. Il faut trouver sa place. Ma force de caractère me vient de mon héritage familial. Je suis issue de la polygamie et j’en suis fière!»
Pour elle, donc, les personnalités publiques sont accessoires : «On a besoin de modèles locaux», mais aussi de femmes blanches solidaires, souligne-t-elle.
Bernadette Clement
Mathilde Hountchégnon, elle, aime suivre les politiciennes. C’est pourquoi elle nomme aussi comme modèle Bernadette Clement, nommée sénatrice en juin dernier après un parcours en politique municipale à Cornwall de 2008 à 2021. «C’était la première mairesse francophone, femme et noire, en Ontario. C’était impressionnant.»
Au-delà du plafond de verre éclaté, Mathilde Hountchégnon se dit inspirée par la personnalité, le charisme et l’engagement de la nouvelle sénatrice : «Le fait d’avoir une femme qui me ressemble, qui occupe des postes importants, qui continue à rester elle-même dans ce qu’on peut percevoir et qui continue à être proche des gens; elle donne beaucoup d’espoir.»
Les parcours comme ceux de Mme Clement et de Mme Jean rappellent qu’il existe un univers de possibles et qu’on peut faire les choses «à sa propre façon, dans un milieu plutôt masculin ou dans un milieu où les gens ne nous ressemblent pas forcément. Il n’y a pas vraiment de limite», ajoute l’animatrice-productrice.
Avant de briser des plafonds de verre, il faut savoir prendre sa place, témoigne enfin Djennie Laguerre. L’autrice, actrice et conteuse, active dans l’univers théâtral ontarien depuis plus de 15 ans, a appris de la dramaturge et professeure d’université Djanet Sears, pionnière dans le monde du théâtre canadien, à s’exprimer, qu’importe la langue : «C’est elle qui m’a encouragé à écrire dans ma voix.»
C’est de telles voix dont plusieurs ont besoin, estime Mathilde Hountchégnon. «C’est important, la représentation. Ces femmes pavent leur chemin pour les autres», et ce, au-delà des idées politiques. «C’est trop important […] Je ne sais pas si elles se rendent compte à quel point elles peuvent marquer les autres. Le rôle est énorme, au-delà de leur personne.»