L’évènement avait lieu à l’occasion de la première de trois journées d’étude sur l’immigration et les communautés francophones minoritaires, orchestrées par le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) et la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes.
Les experts ont entre autres souligné l’importance de créer des espaces physiques ou virtuels pour la francophonie et de s’assurer que les immigrants y aient une place.
«Ces espaces agissent un peu comme des phares dans un océan anglophone, pour que les francophones puissent se retrouver. Les lieux de travail francophones, les écoles primaires, secondaires et les établissements postsecondaires, les espaces communautaires ainsi que les lieux de culte permettent aux gens de partager non seulement une langue, mais aussi certaines valeurs communes», a indiqué Suzanne Huot, professeure au Département de science de l’activité humaine et ergothérapie de l’Université de la Colombie-Britannique.
Celle qui a coréalisé l’étude ayant mené au rapport Favoriser la cohésion communautaire dans un contexte de diversité (2020) note toutefois que ces espaces se retrouvent souvent dans les centres-villes, ce qui complique l’accès pour certaines personnes – notamment les personnes immigrantes qui n’ont pas forcément de voiture. «Ces défis peuvent vraiment entraver le développement d’un sentiment d’appartenance», observe-t-elle.
Des définitions identitaires «inclusives»
Kimberly Jean Pharuns, nouvelle directrice de l’immigration francophone à la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, a pour sa part souligné que «le principe de par et pour est très important pour les communautés francophones […] La question qu’il faut se poser c’est : est-ce que ce principe de par et pour comprend les personnes issues de l’immigration et de la diversité?»
«La définition identitaire des communautés francophones n’est pas toujours inclusive, ce qui contribue à ce que les personnes issues de l’immigration n’aient pas nécessairement un sentiment d’appartenance à leur communauté», a enchainé Mme Jean Pharuns. Elle-même immigrante, elle s’identifie comme «fière Franco-Ontarienne justement parce que je me sens incluse dans la définition de Franco-Ontarienne, avec les spécificités de ma personne et de mon bagage».
«La cohésion communautaire doit être l’affaire de tous et le fruit d’un travail collaboratif. Ça nécessite un engagement individuel, personnel : ce projet de société requiert de chacun de l’empathie et une certaine tolérance à la vulnérabilité», a ajouté par la suite la panéliste.
«Par exemple, l’ouverture à la diversité est un facteur important de cohésion communautaire, car elle facilite la participation sociale. Mais cette ouverture peut causer un sentiment de vulnérabilité et, à mon avis, les communautés francophones ont besoin d’un modèle social qui reconnait et aborde cette vulnérabilité. Un modèle basé à la fois sur l’acquisition de compétences interculturelles, mais également sur des principes d’humilité culturelle», a-t-elle conclu en mentionnant comme exemple à suivre l’Initiative des communautés francophones accueillantes.
Le panéliste Ibrahima Diallo, professeur titulaire à l’Université de Saint-Boniface, a été l’un des premiers immigrants francophones de l’Afrique subsaharienne à s’installer à Winnipeg, au Manitoba, en 1984. Il a donc été témoin de près de 30 ans d’évolution au sein de la francophonie canadienne.
«Les communautés d’accueil ont été, à un certain moment, contraintes de s’ouvrir […] Aujourd’hui, il y a des ingrédients qui sont là qui nous permettent de construire notre avenir en commun, lié par la langue et dans la diversité. Ce n’est pas incompatible», a-t-il assuré.
Il a enchainé en identifiant qu’«attirer et retenir, c’est un élément fondamental; il ne faut pas amener des gens ici, qui ont des tas de qualifications, et les jeter à la merci des organismes professionnels et leur dire “épanouissez-vous”. Il faut qu’on leur laisse de la place pour comprendre la communauté d’accueil et contribuer».
Pour y arriver, la chercheuse Suzanne Huot invite à «éviter la dynamique TLM: toujours les mêmes. On doit vraiment agrandir les voix qui sont incluses aux tables décisionnelles».
Aller vers l’autre
Les communautés francophones étant aussi uniques et diverses que ceux qui les composent, les experts avertissent qu’il sera impossible de développer une «recette unique», mais que favoriser la cohésion sociale dans un contexte de diversité passera plutôt par des modèles flexibles et adaptables.
«Comment est-ce qu’on peut délibérément participer à ce projet de communauté qu’est la communauté francophone? […] Il faut que la communauté comme telle soit au centre de l’action, c’est-à-dire que ses membres doivent coapprendre pour cocréer cette cohésion communautaire», suggère Kimberly Jean Pharuns.
Et pour y arriver, la professeure de l’Université Sainte-Anne, Judith Patouma, suggère de mettre en place des structures pérennes, comme des centres de rencontre qui pourront accueillir des activités diverses. «Par exemple, il y a différentes communautés dans la région de Clare, mais je ne les vois pas souvent parce qu’il n’y a pas ces activités de rencontre de manière régulière», souligne-t-elle.
«Je préconiserais aussi cette volonté d’intégrer les immigrants, mais aussi d’aller vers les immigrants, ne pas juste attendre qu’ils viennent parce qu’ils sont déjà en terrain inconnu. Ces structures d’accueil permettant d’aller vers l’autre seraient vraiment bénéfiques en milieu minoritaire et surtout au niveau rural», ajoute la professeure agrégée au Département des sciences de l’éducation, elle-même immigrante.
Enfin, les panélistes n’ont pu passer sous silence l’aspect économique.
«Le système canadien est très compliqué : nous avons un gouvernement fédéral qui donne de l’argent à des provinces, et ces provinces font ce qu’elles veulent. Pour développer des institutions, projets et autres, ce qui se passe c’est qu’il n’y a pas de clauses linguistiques associées au financement, ce qui fait que des institutions sont en train de péricliter. On ne peut pas avoir des communautés immigrantes qui s’épanouissent si la communauté d’accueil périclite», a martelé Ibrahima Diallo.
Le professeur dit espérer que la modernisation de la Loi sur les langues officielles clarifiera les niveaux de gouvernance, car «les communautés francophones sont extrêmement fragiles […] Avec un changement de gouvernement, le sort des communautés francophones peut basculer dans un abime. On ne pèse pas lourd sur l’échiquier national».