En matière de défense, l’avenir est morose pour le Canada

En matière de défense, l’avenir est morose pour le Canada

Commençons par réaffirmer l’évidence: le Canada est une puissance militaire faible et la défense de son territoire repose entièrement sur un système d’alliances en trois axes, soit une alliance avec notre voisin du Sud, une entente avec l’OTAN et une coopération, principalement en matière de renseignements, avec l’Alliance des Cinq yeux (Five Eyes), qui rassemble l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Dans tous les cas de figure, le Canada se trouve dans une relation de dépendance asymétrique en raison, d’une part, de la présence de grandes puissances dans nos alliances, et d’autres part, du faible investissement en matière de défense et politique étrangère au Canada.

Et le nouvel accord de sécurité dans la zone indopacifique (AUKUS), récemment signé entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, n’est certainement pas une bonne nouvelle.

Qu’est-ce que l’AUKUS?

Il s’agit d’un partenariat de sécurité signé entre les trois États précités qui vise à renforcer la coopération dans les domaines militaire, industriel et technologique afin de faire contrepoids à la Chine dans la région indopacifique. Les négociations — secrètes — ont été finalisées en marge du sommet du G7 en Cornouailles en juin 2021.

La première victime collatérale de cet accord est la France. Après une promesse faite par Joe Biden au premier ministre australien de livrer des sous-marins nucléaires, la France a vu son contrat de construction et de livraison de sous-marins à l’Australie tout bonnement annulé, après cinq années de travail commun.

Cet affront diplomatique a provoqué le rappel des ambassadeurs français de Canberra et de Washington pendant quelques jours. Du jamais vu dans le monde occidental!

La deuxième victime collatérale est l’Union européenne (UE), qui a rendu publique sa Stratégie de coopération dans la région indopacifique le lendemain de l’annonce de l’AUKUS.

Peine perdue, la stratégie devra être revue de fond en comble étant donné la mise à l’écart de la France, seule puissance nucléaire de l’UE et seule puissance européenne du Pacifique. Rappelons que la France y dispose de territoires, de quelque 1,6 million de citoyens et d’une présence militaire non négligeable (8 300 militaires).

Conclusion, la France se retrouve particulièrement dépendante des partenariats stratégiques avec l’Inde, l’autre poids lourd de la région.

Le problème est que l’Inde, si elle est prête à renforcer ses liens avec la France, ne souhaite pas mettre en péril ses relations avec les autres membres du «Quad» (États-Unis, Australie et Japon).

En d’autres termes, on assiste à une multiplication des alliances et partenariats dans la région qui ressemble fortement à un sauve-qui-peut. Tout cela s’expliquant par le fait que les Américains se sont empêtrés et embourbés en Afghanistan et en Irak pendant vingt ans, laissant ainsi à la Chine tout le loisir de développer ses capacités militaires.

Au réveil brutal succèdent la stupeur et des actions tous azimuts contreproductives, alors qu’il faudrait de la coordination.

Et le Canada dans tout cela? 

Notre pays apparait aux abonnés absents. Interrogé sur le nouvel accord AUKUS lors des derniers jours de la campagne électorale, le premier ministre Justin Trudeau a minimisé l’affaire. Selon lui, c’est une affaire de sous-marins, rien de plus, et cela ne nous concerne pas.

Nuançons l’optimisme ou la naïveté de Justin Trudeau et permettons-nous de faire une lecture tout à fait différente de la situation.

Tout d’abord, le Canada est un pays pacifique qui ne peut se désintéresser de ce qui se passe dans cette région. Ensuite, les dernières années ont montré que le Canada était extrêmement vulnérable face à la Chine et que l’allié américain s’avérait bien incertain quand il s’agit de nous épauler.

Nous l’avons vu avec la crise des deux Michael, qui ont croupi dans les geôles chinoises pendant près de trois ans avant que Washington ne se décide à agir. Il faut dire que le Canada n’est pas non plus un allié très fiable quand il s’agit de contrecarrer les volontés dominatrices de Pékin.

Le Canada, par exemple, n’a toujours pas interdit à la compagnie chinoise Huawei de participer à la construction du réseau 5G, malgré les avis unanimes des experts sur le danger que cela représente pour notre sécurité nationale. Dans ces conditions, on peut se demander si le Canada ne va pas se faire sortir du Groupe des Cinq yeux.

Par ailleurs, il est quand même plus que surprenant que le gouvernement canadien, qui n’a pas été mis au courant de l’AUKUS, ne se soit pas offusqué de cette entente conclue derrière son dos.

Revoir notre politique de défense

Même si Ottawa n’a pas l’intention d’acquérir des sous-marins nucléaires, le Canada aurait pu être consulté. Surtout dans un contexte où l’acquisition de sous-marins conventionnels demeure un sujet qui traine, mais urgent afin d’assoir notre souveraineté, dans la région arctique notamment.

Selon le gouvernement, les «sous-marins canadiens [au nombre de 4] constituent un volet important de la relation stratégique avec les États-Unis et l’OTAN». On voit là encore une erreur d’appréciation des enjeux géostratégiques actuels et futurs. Le Canada mise beaucoup trop sur l’OTAN, à qui l’AUKUS vient de donner le dernier coup de grâce.

Si le président Macron avait déjà raison en 2019 de déclarer l’OTAN en état de «mort cérébrale», les États européens viennent de le réaliser et savent désormais qu’il faudra bien s’attacher à construire une défense européenne indépendante. Ils rechignent à le faire depuis 60 ans, mais les faits sont têtus et ils viennent d’être mis au pied du mur.

À moyen terme, le Canada ne pourra donc compter que sur les États-Unis qui, comme nous l’avons vu, font bien peu de cas de leur voisin du Nord. On ne peut qu’espérer maintenant que le futur ministre de la Défense du Canada s’attèle sérieusement à revoir la politique de défense de notre pays.

Aurélie Lacassagne est politologue de formation et professeure invitée à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales (ÉSAPI) de l’Université d’Ottawa.

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