Il faut dire qu’il aurait été difficile de passer à côté. Depuis plusieurs semaines, les annonces commerciales pleuvaient de toutes parts.
Et que voici un beigne aux vermicelles oranges, et que voilà un teeshirt «Every Child Matters», et vous reprendrez bien un badge avec ça, ou un masque – c’est à la mode, les masques!
Oui, bien sûr, tout appui est bon à prendre. Puis il ne faudrait pas sous-estimer le pouvoir de persuasion des grandes enseignes, et leur rôle dans la construction des savoirs collectifs.
Mais tout de même : par quel tour de force est-il devenu acceptable de vendre un vêtement fabriqué par un enfant au Bangladesh pour commémorer la mort d’un autre enfant ici? Que des entreprises qui se sont construites sur le colonialisme et dans la violence jugent convenable de redorer leur image en lâchant quelques dollars à des organismes de bienfaisance (toujours en le criant haut et fort, il ne faudrait pas rater une occasion de se faire bien voir)?
Je ne suis pas Autochtone, je ne suis pas Canadienne non plus. Peut-être ne suis-je pas légitime pour m’exprimer sur ces questions. Peut-être n’est-ce pas ma place.
Mais en tant que femme immigrée consciente des privilèges que ma blancheur, mes habiletés langagières et mon statut socioéconomique me confèrent, il me semble nécessaire d’utiliser ma voix pour défendre les droits et les intérêts des communautés autochtones.
Et bien loin de moi l’idée de prétendre être l’alliée parfaite – mon chemin est pavé d’erreurs, de gestes maladroits et de mots mal choisis.
Des combats actuels
Aujourd’hui, l’accès à l’eau potable est toujours un problème dans de nombreuses communautés des Premières Nations.
Les droits ancestraux de ces communautés sont régulièrement bafoués, qu’il s’agisse par exemple des récents conflits entre pêcheurs et pêcheuses mi’kmaq et non-autochtones en Nouvelle-Écosse ou du projet de gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique.
De manière générale, les Autochtones doivent faire face à des défis plus importants en matière de santé et d’éducation, ont plus de chance de se retrouver en prison, sont plus susceptibles d’être au chômage et meurent plus jeunes que les non-Autochtones.
Des faits qui s’expliquent en partie par le traumatisme lié au système des pensionnats autochtones, dont les effets se font sentir sur plusieurs générations.
Rappelons-nous que lorsqu’ils et elles ont réintégré leurs communautés à la fin de leur «scolarité», les dizaines de milliers de survivant·es des pensionnats ne parlaient même plus la langue de leur famille.
Ils et elles se sont retrouvés privé·es de tout repère, sans les connaissances ou les outils nécessaires pour s’adapter, et confronté·es à des obstacles psychologiques de taille.
Mais les défis auxquels font face les communautés autochtones tirent leurs origines dans des causes plus profondes encore. La mort de Joyce Echaquan, décédée à l’hôpital en septembre 2020 après avoir été insultée par des membres du personnel soignant, démontre si besoin en est le poids du racisme systémique au sein de nos institutions publiques.
Les Autochtones sont surreprésenté·es parmi les victimes de violence policière : au cours des 20 dernières années, 16 % de tous les homicides commis par la police impliquaient des victimes autochtones.
Et les discriminations croisées vécues par les femmes autochtones les fragilisent tout particulièrement : en 2020, 23 % des victimes de féminicides étaient des femmes autochtones, alors que ces dernières ne représentent qu’environ 2 % de la population canadienne.
Jouer son rôle d’allié·e
Le racisme systémique, les injustices et les discriminations dont sont victimes les Premières Nations, les Inuit et les Métis à travers le Canada ne guériront pas en un jour. Porter un chandail orange est un premier pas nécessaire, un hommage et un symbole fort vers la réconciliation.
Mais être un·e bon·ne allié·e requiert un engagement constant. Cela implique des conversations parfois inconfortables avec ses proches, des interventions parfois malaisantes sur la place publique et des remises en question parfois difficiles.
Et cela, 365 jours par an.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.