En 2015, la promesse de Justin Trudeau — alors dans l’opposition — d’une réforme électorale avait suscité beaucoup d’espoir au sein d’une bonne partie de la population.
«Nous nous engageons à faire en sorte que l’élection de 2015 sera [sic] la dernière à utiliser notre système uninominal majoritaire à un tour», avait déclaré le chef libéral.
Or, dès le début 2017 — quinze mois après le scrutin — la promesse était rompue.
On en a peu entendu parler depuis. Mais le 18 septembre dernier, lors d’un point de presse à deux jours du vote, le premier ministre a dévoilé qu’il était toujours ouvert à une réforme, quoique cela ne fasse pas partie du programme du parti.
Il s’est cependant empressé de dire qu’un consensus devait «se dessiner» pour que l’on réexamine la question.
«Je pense que c’était une déclaration de dernière minute de la part de Justin Trudeau pour aller chercher des votes juste avant la fin de la campagne», estime Maxime Héroux-Legault, professeur de science politique à l’Université de la Colombie-Britannique.
Il voit dans les résultats du scrutin du 20 septembre un exemple de plus pour la tenue d’une réforme électorale: «Je pense que c’était particulièrement flagrant cette année, parce que les conservateurs ont gagné le vote populaire en 2021, tout comme en 2019, mais pourtant arrivent deuxièmes derrière les libéraux. Donc c’est sûr que ça, c’est un petit peu gênant.»
Dennis Pilon, professeur de science politique à l’Université York, en Ontario, analyse pour sa part que «finalement, [Justin Trudeau] dit qu’il est intéressé à discuter si vous êtes intéressé à ce qu’il veut».
Ce que veulent les partis d’opposition
Deux partis, soit le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert, avaient dans leur plateforme des engagements envers une réforme électorale.
Le Parti conservateur n’en a pris aucun, pas plus que le Bloc québécois.
En revanche, le candidat bloquiste ayant remporté de justesse (93 voix) la circonscription de Trois-Rivières, René Villemure, s’est dit personnellement en faveur d’un nouveau mode de scrutin.
Lors d’une entrevue à l’émission Tout un matin de Radio-Canada, René Villemure a expliqué que le faible taux de participation aux élections fédérales (62 % à travers le pays) justifie à lui seul une réforme, même si cela se traduisait, par exemple, par l’arrivée de plusieurs députés du Parti populaire du Canada.
«Oui parce que l’avenir est à la démocratie de proximité et cette démocratie de proximité implique une dose de proportionnelle. Ce sont les citoyens qui doivent bénéficier d’une élection et non pas les partis politiques. C’est une réflexion qui est difficile à faire. Peut-être que je suis trop nouveau pour me retenir la langue là-dessus», a lancé René Villemure à l’antenne de Patrick Masbourian.
Un consensus difficilement atteignable
L’un des points qui compliquent l’atteinte du consensus dont parle Justin Trudeau est que le premier ministre est opposé au système proportionnel, préconisant plutôt la méthode dite «préférentielle».
Dans le système préférentiel, tous les députés sont choisis directement par les électeurs. Ceux-ci inscrivent sur leur bulletin un premier, deuxième, troisième, quatrième choix, etc., selon le nombre de candidats.
Si personne n’obtient 50% des voix plus une, le candidat ayant reçu le moins de votes est éliminé et ses votes sont réattribués selon le second choix des électeurs. Ce processus se poursuit jusqu’à ce qu’un candidat obtienne une majorité.
D’après une analyse effectuée à la suite des élections fédérales de 2019 par le professeur Philipe J. Fournier, créateur de l’agrégateur de sondages 338Canada, ce mode de scrutin avantagerait les libéraux et nuirait aux conservateurs.
Le système préférentiel, parfois appelé «vote transférable unique (VTU)» ou «alternatif», n’a pas la cote chez certains parce qu’il écarte des candidats ou des partis qui seraient représentés par le système proportionnel.
Le système proportionnel, qui est plus répandu, peut prendre plusieurs formes.
Le système proportionnel «mixte», dont il est souvent question dans les projets de réformes électorales, consiste à choisir à la fois un député directement selon la méthode traditionnelle, mais aussi des représentants en votant pour le parti plutôt que pour un candidat. Ces sièges seraient attribués aux partis en lice selon le pourcentage des votes obtenus.
Le professeur Fournier a analysé ce qu’auraient pu être les résultats du scrutin du 20 septembre 2021 avec un système proportionnel :
Partis politiques |
Résultats actuels |
Système proportionnel |
Parti libéral |
159 |
115 |
Parti conservateur |
119 |
111 |
Bloc québécois |
33 |
26 |
Nouveau Parti démocratique |
25 |
61 |
Parti vert |
2 |
8 |
Parti populaire du Canada |
0 |
17 |
Ailleurs au pays, les réformes ont aussi fait chou blanc
Dans les provinces, les tentatives de réforme électorale n’ont pas eu plus de succès.
La Colombie-Britannique est celle qui s’en est le plus approchée. Lors du scrutin de 2005, les électeurs ont opté à 57 % pour un changement de système électoral. Or, la cible pour aller de l’avant avait été fixée à 60 %. Deux autres référendums, en 2009 et 2019, ont attiré 39% d’appui.
Trois référendums ont également été tenus à l’Île-du-Prince-Édouard, les trois à propos de l’adoption d’un système proportionnel mixte. En 2005, l’appui a été de 36%. En 2016, une majorité d’électeurs, soit 52%, a dit oui à une réforme. Le premier ministre de l’époque n’y a pas donné suite en raison du faible taux de participation de 36%.
Enfin, en 2019, 52% des votes étaient pour l’établissement d’un système proportionnel mixte. Mais cette fois-ci, c’est la règle d’une majorité dans 60% des circonscriptions qui n’a pas été atteinte.
Au Nouveau-Brunswick, une commission créée en 2003 a recommandé en 2005 un système proportionnel mixte. Le gouvernement a répondu au rapport en 2007, décidant de maintenir le statuquo.
Le Québec semblait récemment être la seule province à possiblement se diriger vers une réforme. En septembre 2019, le gouvernement caquiste a déposé un projet de loi établissant un système proportionnel mixte.
S’en est suivi une longue période de consultations publiques qui devaient culminer à un référendum en même temps que les élections de 2022.
Au printemps 2021, la ministre responsable des Institutions démocratiques, de la Réforme électorale et de l’Accès à l’information, Sonia LeBel, a néanmoins annoncé que le temps manquerait pour aboutir à l’adoption du projet de loi avant l’ajournement de juin, date limite fixée par le directeur général des élections pour planifier un référendum l’an prochain.
Si la tendance se maintient, ce devrait être encore une fois un rendez-vous manqué.