Les grands perdants du débat en français du 8 septembre sont les francophones hors Québec, qui s’attendaient à juste titre à des précisions sur des questions d’importance pour eux.
Le libellé des questions appelait dans bien des cas à des réponses axées sur une seule province, le Québec, alors que la portée du débat est censée être nationale.
Les chefs sont aussi à pointer du doigt, ayant abordé les enjeux nationaux dans une perspective québécocentrée. Ce faisant, ils ont manqué occasion après occasion de rejoindre les francophones d’un bout à l’autre du pays.
La lentille franco-canadienne laissée pour compte
Un thème largement couvert lors de cette soirée a été celui des garderies, alors qu’il y a actuellement une pénurie de places en français dans les services de garde à travers le Canada.
Le Québec n’est pas la seule province à avoir signé un accord avec Ottawa pour la création de places en garderie à 10$ par jour d’ici 2024. Il aurait été pertinent d’entendre les chefs sur les façons d’assurer que les francophones ne soient pas laissés pour compte dans la mise en œuvre de ces ententes, ou encore à savoir comment un crédit d’impôt permettrait de répondre à cette problématique.
Les défis concernant le manque de main-d’œuvre ont aussi fait l’objet de discussion. Aucune piste de solution pour les francophones n’a toutefois été soulevée, même si plusieurs secteurs-clés pour la vitalité des communautés francophones ont d’importants besoins, notamment en éducation.
L’immigration a été mentionnée par plusieurs chefs comme une solution possible au manque de main-d’œuvre, mais pas un mot sur son importance pour les communautés francophones, alors que la cible de 4,4% d’immigration francophone hors Québec arrive à échéance en 2023 et est loin d’être atteinte.
Les chefs ont même répondu à la première question, concernant les résidences pour ainés, en centrant leur attention sur les CHSLD au Québec, alors que celle-ci avait été posée par une Acadienne de Dieppe au Nouveau-Brunswick.
20 secondes pour les francophones hors Québec: trop peu, trop tard
À la toute fin du débat, une question a finalement été posée au sujet des universités francophones en situation minoritaire, mais il ne restait que 20 secondes de parole à chacun des chefs.
Bien entendu, c’était trop peu de temps pour formuler une réponse complète dépassant le stade des généralités. La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada parle à juste titre de «tokénisme» de la part des organisateurs du débat.
Le peu de temps alloué n’a pas permis, par exemple, de discuter des façons de veiller à ce que l’argent promis se rende réellement aux institutions lorsque des provinces réfractaires refusent de participer aux programmes de financement.
Pourquoi ne pas avoir prévu une série de questions en rafale concernant la francophonie hors Québec? Des face-à-face? Un débat entre l’ensemble des chefs? Le manque de considération et la déconnexion du diffuseur public, Radio-Canada, envers les communautés francophones ont transparu encore une fois.
En fin de compte, le débat officiel en français était davantage québécocentré que le face-à-face organisé par TVA le 2 septembre!
Une autre occasion ratée au débat en anglais
La Loi sur les langues officielles concerne l’ensemble de la population canadienne et une question sur le sujet aurait été bienvenue durant le débat en anglais du 9 septembre.
L’enjeu a toutefois été ignoré par les organiseurs du débat.
Yves-François Blanchet du Bloc Québécois a mentionné les communautés francophones et acadiennes, mais a immédiatement été ramené à l’ordre puisque le sujet n’était pas à l’agenda.
Remplissez notre sondage: Si vous étiez élu premier ministre, quelle serait votre priorité et pourquoi?
Un débat plus instructif à TVA
Même si TVA n’a pas un mandat national, leur débat a permis d’en apprendre davantage sur les positions des partis concernant la francophonie canadienne. L’animateur Pierre Bruneau a notamment questionné les chefs à savoir s’ils étaient prêts à défendre les francophones, partout et en tout temps.
Justin Trudeau et Erin O’Toole se sont tous deux engagés à déposer une mesure législative pour moderniser la Loi sur les langues officielles dans les 100 premiers jours d’un éventuel mandat. Le NPD et le Bloc ont aussi reconnu l’importance de l’enjeu.
De bons coups… et de moins bons!
Malgré ces ratés lors des débats, les enjeux francophones ont tout de même été abordés durant la campagne.
Les libéraux ont un programme étoffé en la matière. Leur plateforme prévoit notamment d’appliquer en totalité les mesures législatives et administratives décrites dans le document de réforme déposé en février dernier par la ministre Joly.
Celui-ci ouvre la voie à de multiples investissements dans le prochain Plan d’action pour les langues officielles.
De plus, les libéraux promettent un financement annuel de base de 80 millions$ pour les institutions postsecondaires francophones, soit 50 millions de plus que la somme promise par les conservateurs.
Le fait d’avoir aussi tardé dans ce dossier durant leurs six ans au pouvoir entache toutefois la crédibilité du parti.
La plateforme conservatrice comprend également plusieurs engagements intéressants dans le dossier des langues officielles, notamment la création d’un tribunal administratif pour les manquements à la Loi. Il s’agit d’une mesure demandée par la FCFA et mise de côté par les libéraux.
Un bémol important est que lors du débat de TVA, Erin O’Toole a précisé qu’il ne nommerait pas nécessairement que des juges bilingues à la Cour suprême, mais qu’il se contenterait d’un engagement à apprendre le français. On sait très bien que ceux qui respectent réellement un tel engagement après une nomination sont davantage l’exception que la norme.
Le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, semble être moins bien conseillé en matière de francophonie. Un moment embarrassant de la campagne a été son passage à l’Université de Sudbury, lorsqu’il a affiché une réticence au transfert des programmes de langue française de l’Université Laurentienne vers cette institution, allant ainsi à l’encontre de la volonté d’une gestion par et pour les francophones.
La section sur les langues officielles de la plateforme néodémocrate est presque un copier-coller de celle de 2019. On a même oublié de mettre à jour le passage critiquant le bilan libéral après «quatre ans» de mandat, plutôt que six.
M. Singh n’est pas le seul à avoir illustré un manque de compréhension des enjeux francophones. La cheffe verte, Annamie Paul, a parlé à deux reprises de l’importance d’une éducation bilingue hors Québec lors du débat du 8 septembre, alors que les communautés aspirent plutôt à un continuum en éducation complet en français.
La plateforme du parti manque de détails pour se faire une idée d’en quoi consisterait une Loi sur les langues officielles modernisée sous leur leadeurship.
Du côté du Bloc Québécois, on note une sensibilité à l’égard des communautés francophones et acadiennes depuis l’arrivée de M. Blanchet à la tête du parti.
Lors du débat du 8 septembre, M. Blanchet s’est même dit être bien souvent «la seule voix pour les francophones hors Québec».
Il ne faisait certainement pas allusion à ses multiples commentaires cherchant à discréditer le Programme de contestation judiciaire, qui a permis d’importantes avancées pour les droits des minorités francophones.
Ce n’est pas au politique ni à l’institution qui gère ce programme de décider des causes à financer en matière de droits linguistiques ou de droits de la personne. Cela relève de deux comités d’experts indépendants.
Prétendre le contraire consiste à induire en erreur le public et à politiser inutilement un programme d’une grande importance, qui a notamment permis de financer le recours qui a mené au maintien de l’hôpital Monfort et à faire avancer l’éducation en français à travers le pays.
En définitive, les deux principaux partis ayant une chance réelle de l’emporter le 20 septembre prochain ont bien tenu compte des enjeux francophones dans l’élaboration de leur plateforme et ont quelque chose de pertinent à offrir, même si plusieurs précisions restent à apporter. Reste à voir s’ils livreront la marchandise une fois au pouvoir.