Sur la scène fédérale, c’est le gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper qui a introduit le régime d’élection à date fixe au printemps 2007, via le projet de loi C-16.
L’idée, d’abord instituée en Colombie-Britannique, était d’éliminer l’opportunisme politique en ayant des élections à date fixe tous les quatre ans, comme aux États-Unis. On pensait ainsi rendre les assemblées électives plus redevables et contrer le cynisme envers la politique.
La Loi électorale du Canada a ainsi été modifiée, faisant en sorte que la prochaine élection devait avoir lieu en octobre 2009.
Mais le 7 septembre 2008, un an avant la date prévue par la Loi, le premier ministre Stephen Harper a rendu visite à la gouverneure générale de l’époque, Michaëlle Jean, afin de lui demander de dissoudre le Parlement.
Si Stephen Harper a pu si facilement contrevenir à la mesure législative qu’il avait lui-même fait adopter sur les élections à date fixe, c’est entre autres parce qu’une autre partie de celle-ci prévoyait que «le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun».
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Est-ce légal?
Le professeur retraité au Département de science politique de l’Université Laval Louis Massicotte s’intéresse grandement aux lois sur les élections à date fixe du Canada.
Il se souvient très bien de l’épisode sous Stephen Harper: «Ma réflexion, ma réaction, ça a été de dire : “Oui, mais est-ce qu’il a le droit de le faire?” Puis là, j’ai vérifié la loi. Puis je me suis aperçu qu’il avait bel et bien le droit de passer à côté de la loi.»
Ces nouvelles mesures n’ont pas abrogé la Constitution canadienne. Celle-ci prévoit, à l’article 50, que «la durée de la Chambre des Communes ne sera que de cinq ans, à compter du jour du rapport des brefs d’élection, à moins qu’elle ne soit plus tôt dissoute par le gouverneur général».
Le fait que le gouvernement Harper était minoritaire à l’époque justifie selon certains experts qu’il ait pu contourner sa propre loi.
Le déclenchement anticipé d’une élection peut aussi bien servir aux partis d’opposition, dans le cas d’un gouvernement minoritaire, qu’au parti au pouvoir.
Dans un article paru dans la revue Les Cahiers de droit en juin 2010, les juristes Guy Tremblay et Hubert Cauchon expliquent qu’en contexte minoritaire, «il est difficile d’accepter que l’opposition ait seule le pouvoir de décider ou non d’une élection anticipée».
L’opposition se trouve ainsi dans la même position — profiter du meilleur moment de déclencher une élection pour ses propres intérêts — que celle des gouvernements que la loi en question était censée éviter.
Selon les deux juristes, «l’idée qu’un gouvernement minoritaire dispose d’une marge de manœuvre comparable à celle des partis d’opposition est certes défendable».
Par contre, ce ne sont pas que des gouvernements minoritaires qui ont fait fi des obligations d’élections à date fixe à l’échelle du pays. Louis Massicotte a identifié quatre gouvernements majoritaires qui ont fait de même.
«Ils ne pouvaient même pas invoquer cette circonstance atténuante, souligne-t-il. Ces lois sont donc trompeuses, puisqu’on peut les ignorer et que l’opinion publique, jusqu’ici en tout cas, ne s’en émeut guère.»
Les quatre cas où des gouvernements majoritaires ont déclenché des élections avant la date fixée par leur propre loi :
- Alberta, 2015 – Le conservateur Jim Prentice – Perdu face aux néodémocrates de Rachel Notley
- Manitoba, 2019 – Le conservateur Brian Pallister – Réélu
- IPÉ, 2015 – Cinq mois avant la date en raison de la tenue des élections fédérales prévues – Le libéral Wade MacLauchlan a été réélu
- IPÉ, 2019 – Les élections ont été tenues quatre ans après la précédente (ci-haut), mais la date fixée par la loi était octobre 2019, donc cinq mois plus tard. Les libéraux de Wade MacLauchlan ont été battus par les conservateurs, minoritaires.
Et le gouvernement Trudeau?
Depuis le printemps dernier, Justin Trudeau laissait entendre régulièrement que le Parlement était dysfonctionnel. Un prétexte pour le premier ministre de déclencher des élections anticipées.
L’affaire n’a pas fait grand vague, à part quelques voix isolées, dont l’éditorialiste de l’Acadie Nouvelle, François Gravel, qui a dénoncé le geste : «Il n’y a aucune bonne raison de déclencher des élections précipitées, alors que profile à l’horizon le spectre d’une quatrième vague de COVID-19.»
Louis Massicotte pressent cependant une possibilité, cette fois-ci, d’un ressac de l’électorat : «J’ai rarement vu […] la réticence des électeurs à aller en élections être étalée de façon aussi claire. J’ai regardé plusieurs sondages là-dessus et je n’en ai pas trouvé un seul où la plupart des gens disent que c’est une bonne idée d’aller en élections.»
Après toutes ces transgressions, le seul avantage que le politologue reconnait aux lois sur les élections à date fixe est qu’elles semblent avoir éliminé les mandats de cinq ans pour les gouvernements.
Ailleurs au pays
Le déclenchement d’une élection anticipée n’est pas une nouveauté au Canada. Une dizaine d’autres gouvernements provinciaux ont posé ce geste par le passé.
La Colombie-Britannique a été la première au pays à adopter une loi stipulant que les élections provinciales auraient désormais lieu à date fixe, en 2001. Au fil des ans, la mesure s’est répandue presque partout au Canada.
Seule la Nouvelle-Écosse n’a pas embarqué dans le train, le Yukon l’ayant fait en 2020.
Mais dès le départ, on donnait le ton quant aux limites de la restriction électorale. Le bureau des élections de Colombie-Britannique explique ainsi la portée de la loi sur son site Web: «Quoique les élections sont fixées aux quatre ans, elles peuvent avoir lieu avant la date prévue si le gouvernement déclenche une élection ou perd la confiance de l’Assemblée législative.» [traduction libre].
Bref, les élections sont à date fixe, sauf si le gouvernement en décide autrement.