Le 15 aout, plutôt que de se rendre en Acadie pour un tintamarre ou pour un souper au homard avec Dominic LeBlanc, ministre sortant des Affaires intergouvernementales, le premier ministre Justin Trudeau a rendu visite à la gouverneure générale et déclenché des élections anticipées.
Comme anticipé, la dissolution du Parlement a sonné le glas du projet de loi sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Il s’agissait d’un plan de réforme ambitieux, au diapason de plusieurs des réalités actuelles des communautés.
Ne pas prendre les francophones pour acquis
Lors de la campagne électorale de 2019, l’ensemble des partis politiques qui ont obtenu des sièges aux Communes s’étaient engagés à moderniser la Loi sur les langues officielles.
Cette année, réitérer cet engagement ne sera pas suffisant. Le temps est venu de passer à l’action et de proposer des échéanciers clairs.
On peut ainsi s’attendre à un engagement de la part de l’équipe Trudeau à faire du dossier de la modernisation de la Loi une priorité législative. Le premier ministre sortant devra aussi s’engager à redéposer le projet de réforme C-32 aux Communes dans sa forme actuelle, et ce, dans les premières semaines d’un éventuel nouveau mandat. Le contraire serait très décevant.
Les libéraux, qui comptaient une douzaine d’élus issus des communautés francophones à l’extérieur du Québec lors de la dernière législature, ne devront pas commettre l’erreur de tenir pour acquises les régions francophones, alors que chaque siège compte pour obtenir une majorité.
Avant 2015, plusieurs de ces circonscriptions représentées par des libéraux francophones l’ont été par d’autres partis politiques.
Clarté chez les conservateurs, flou chez les néodémocrates
Outre critiquer le fait que le gouvernement sortant se soit trainé les pieds dans le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, les partis d’opposition doivent aussi préciser leurs intentions.
Le travail de fonds est déjà effectué; peu importe la couleur du gouvernement élu le 20 septembre prochain, il sera possible de procéder rapidement à une réforme sans tout recommencer à zéro.
À cet effet, les troupes d’Erin O’Toole ont fait leur devoir et s’engagent, dans leur plateforme électorale, à présenter dans les 100 premiers jours d’un gouvernement conservateur une mesure législative pour procéder à une modernisation de la Loi.
À la lecture de la plateforme néodémocrate, on constate que ce dossier est plus bas dans la liste de leurs priorités. La section sur les langues officielles est pratiquement une copie de celle de 2019, à l’exception d’un ajout sur la reconnaissance du principe d’asymétrie dans la protection du français, repris des libéraux. Aucun échéancier n’est proposé pour réaliser leur engagement de moderniser la Loi.
Plusieurs autres enjeux d’actualité pour les francophones
Le gouvernement élu devra aussi élaborer le prochain plan d’action quinquennal pour les langues officielles, qui couvrira la période de 2023 à 2028, alors que le Plan 2021-2023 arrivera bientôt à échéance.
Rappelons que le financement consacré aux langues officielles a stagné lors du dernier mandat de Stephen Harper, tandis qu’il a été bonifié de près de 500 millions $ sous Justin Trudeau. Il sera donc intéressant de scruter les cadres financiers proposés par les partis pour avoir une idée de l’ordre de grandeur des investissements à venir.
Le sujet de la petite enfance est aussi d’actualité avec le plan du gouvernement Trudeau d’offrir des places en garderies à 10$ par jour partout au pays. Des questions restent toutefois en suspens pour les francophones, notamment à savoir comment le gouvernement fédéral entend s’assurer que les francophones ne soient pas laissés pour compte dans les accords récemment conclus avec des provinces et des territoires.
Libéraux, conservateurs et néodémocrates y vont aussi d’engagements et de demandes pour mieux appuyer les institutions postsecondaires francophones. Il serait franchement intéressant de voir les chefs débattre de leur vision à long terme et de leur stratégie pour solidifier ce secteur qui traverse une crise financière d’un bout à l’autre du pays, en collaboration avec des provinces souvent réfractaires.
La cible de 4,4% en matière d’immigration d’expression française, fixée en 2003, arrive à échéance en 2023 et est encore loin d’être atteinte.
De fait, les communautés francophones ne bénéficient pas au même titre que la majorité anglophone des bienfaits de l’immigration, que ce soit sur le plan démographique, économique, social ou culturel.
Il serait pertinent d’entendre les partis se prononcer sur un plan de rattrapage des écarts accumulés dans les deux dernières décennies et sur la suite des choses après 2023.
La francophonie canadienne a aussi été fortement affectée par la pandémie. Dans la présentation de leur plan de relance, les partis ne devront pas oublier d’inclure une lentille francophone.
À titre d’exemple, la pandémie a exacerbé la pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs-clés pour la vitalité des communautés, notamment en éducation et en santé. Il serait possible de concilier plan de relance et objectifs en immigration pour bonifier les mesures de recrutement de professionnels francophones.
Bref, ce ne sont pas les enjeux qui manquent. Afin de rejoindre l’électorat francophone, les partis pourraient proposer un plan exhaustif pour appuyer le développement des communautés francophones, comprenant des actions à court terme pour répondre à des besoins urgents, tout en exposant une vision à long terme par leurs engagements en lien avec le prochain plan d’action et le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.