Dès son entrée en fonction, en 2015, le gouvernement Trudeau a mis en place un nouveau processus pour les nominations sénatoriales: l’ensemble des candidatures pour obtenir un siège au Sénat sont désormais étudiées par un conseil consultatif indépendant afin de diminuer le caractère partisan du processus. Le choix final revient toutefois au premier ministre.
Justin Trudeau a depuis procédé à 55 nominations qui ont permis de changer profondément le visage de l’institution, tant en ce qui a trait à l’équilibre entre les genres qu’à la représentation des peuples autochtones et des communautés culturelles et minoritaires.
Les seuls qui semblent avoir été laissés pour compte jusqu’à présent, ce sont les francophones de l’Ouest et de l’Atlantique.
D’importantes avancées à souligner
Justin Trudeau a nommé neuf personnes d’origine autochtone au Sénat. L’ensemble de ses prédécesseurs n’en avait nommé que 15 depuis le début de la Confédération.
Il est aussi le seul premier ministre du Canada à avoir nommé plus de femmes que d’hommes au Sénat durant son mandat. Ce faisant, on compte désormais 46 sénatrices et 47 sénateurs. Il ne manque qu’une nomination pour qu’il y ait autant de femmes que d’hommes au Sénat, une première dans l’histoire.
Par les nominations qu’il a effectuées, M. Trudeau a aussi contribué à renforcer la représentation des personnes issues des minorités visibles. À titre d’exemple, il a nommé quatre des sept personnes noires qui ont siégé au Sénat dans l’histoire de l’institution.
Plusieurs premières sont aussi à noter, dont les nominations de la première femme afro-néoécossaise, Wanda Thomas Bernard, et de la première canadienne d’origine haïtienne, Marie-Françoise Mégie.
Il s’agit d’importantes avancées à souligner et à maintenir. Le Sénat est désormais une chambre qui reflète davantage la population canadienne dans son ensemble.
Des reculs pour plusieurs communautés francophones
Depuis 2016, M. Trudeau a nommé au Sénat cinq personnes issues des communautés francophones en situation minoritaire, dont trois de l’Ontario. Toutefois, pour ce qui est du reste du pays, plusieurs reculs sont à noter.
Du côté de la Nouvelle-Écosse, Justin Trudeau a mis fin à une tradition initiée par Wilfrid Laurier au début du 20e siècle, qui consistait à assurer aux Acadiens de cette province une représentation sénatoriale. Il ne peut pas clamer l’ignorance, puisque la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE) a mené une campagne de sensibilisation à ce sujet.
Après cinq nominations en Nouvelle-Écosse depuis 2016, les Acadiens attendent toujours de voir un membre de leur communauté remplir le vide laissé par le départ du sénateur Gérald Comeau en 2013.
Au Nouveau-Brunswick, on note aussi un recul pour la représentation des francophones. En novembre 2019, au moment de la retraite du sénateur Paul McIntyre, un Acadien du nord de la province, le Sénat comptait cinq représentants francophones et cinq anglophones pour la province.
En janvier 2020, Joseph Day, un anglophone de Saint-Jean, s’est aussi retiré. Ils ont été remplacés par Judith Keating de Fredericton et par James Quinn de Saint-Jean.
Sans rien enlever aux compétences des personnes nommées, Mme Keating étant d’ailleurs parfaitement bilingue, il n’en reste pas moins que les francophones du nord du Nouveau-Brunswick ont perdu un représentant au Sénat avec ces deux récentes nominations.
Dans l’Ouest, à l’arrivée des libéraux au pouvoir en 2015, on comptait deux sénatrices francophones. Après sa retraite en 2016, la Franco-Manitobaine Maria Chaput a été remplacée par Raymonde Gagné. Cette nomination a permis de respecter la tradition, qui remonte à 1871, d’assurer une représentation sénatoriale à la communauté franco-manitobaine.
Toutefois, le départ à la retraite de la Franco-Albertaine Claudette Tardif n’a pas été suivi d’une nomination d’une personne issue des communautés francophones de l’Ouest, qui se sont ainsi vues amputées d’un représentant.
Un manque de considération de la part du premier ministre
Ces reculs constatés dans l’Ouest et en Atlantique sont d’autant plus problématiques qu’ils s’inscrivent dans une tendance où Justin Trudeau passe outre l’importance de la maitrise de la langue française lors de nominations d’envergure.
Il a débuté son mandat en nommant à la présidence du Sénat George Furey, qui ne maitrisait pas le français alors qu’il est responsable de présider les débats à la Chambre haute du Parlement canadien.
En 2019, il a nommé une lieutenante-gouverneure unilingue anglophone au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue au pays.
Récemment, la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada a suscité la controverse du fait qu’elle ne parle pas français.
Ces diverses nominations de Justin Trudeau témoignent d’un manque de considération à l’égard des communautés francophones et font ombrage au travail de sa ministre Mélanie Joly dans le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Une occasion de rajuster le tir
Le premier ministre a toutefois l’occasion de rajuster le tir avant les prochaines élections en ce qui concerne les nominations sénatoriales. En ce moment, douze sièges sont vacants au Sénat, dont plusieurs dans l’Ouest et un en Nouvelle-Écosse.
Avec ces nominations à venir, Justin Trudeau pourrait démontrer qu’il est possible d’assurer une représentation effective à la fois aux peuples autochtones, aux communautés francophones et aux minorités visibles, tout en veillant à une parité des genres.