Francopresse: Quelle est la perspective générale de QCGN sur le projet de loi C-32?
Marlène Jennings: Il y a des mesures auxquelles QCGN est favorable, comme d’enchâsser le programme de contestation judiciaire (PCJ) dans la Loi. Nous sommes également contents que le gouvernement, via le projet de loi C-32, ait l’intention d’investir beaucoup plus dans les institutions des communautés de langue officielle minoritaire pour assurer la vitalité [de ces communautés]. Nous sommes tous d’accord avec cela.
Nous sommes également en faveur de la création, pour la première fois, de droits dans le milieu du travail chez les entreprises qui sont régies par la loi fédérale, peu importe où elles se trouvent. Toutefois, nous croyons qu’en créant ce nouveau droit pour le français uniquement, on laisse de côté la communauté anglophone.
On sait que nous sommes sous-représentées dans les institutions fédérales, qui sont déjà assujetties à la Loi sur les langues officielles, et qu’une telle mesure va créer des droits dans le milieu du travail uniquement pour le français ; ça va constituer une barrière à l’économie, à la vitalité de notre communauté.
On sait qu’une bonne partie de la vitalité de n’importe quelle communauté minoritaire, c’est la possibilité de gagner son pain, faire vivre sa famille, d’avoir des ressources pour pouvoir acheter une maison et contribuer à la société en général. Si l’emploi est bloqué, ça n’augure pas bien pour notre communauté.
Le projet de loi C-32 reconnait pour la première fois que le français est la langue de la minorité et a besoin de protection, partout au pays. En même temps, il réitère la nécessité de protéger et promouvoir le français et l’anglais. Qu’en pensez-vous?
C’est une contradiction. Notre organisme a toujours été en faveur de la protection et la promotion de la langue française. On reconnait que les communautés de langue officielle francophone, surtout à l’extérieur du Québec, mais à certains égards au Québec également, ont besoin d’une protection, d’une promotion.
Mais nous avons toujours dit que ça pourrait se faire sans limiter, sans éroder la vitalité de la communauté anglophone minoritaire au Québec. Et avec le projet de loi C-32, on a beaucoup de préoccupations à cause de certaines dispositions qui semblent oublier notre communauté et les défis avec lesquels [on] vit.
Les coupes à l’Université Laurentienne ont accentué l’urgence d’agir pour garantir l’accès à l’éducation postsecondaire en français au Canada. Est-ce que l’accès à l’éducation postsecondaire en anglais est un problème pour les anglophones du Québec?
Avec le projet de loi 96 que le gouvernement du Québec vient de déposer, il y aurait des limites à la croissance des institutions postsecondaires anglophones, principalement des cégeps. Le gouvernement est en train d’oublier que nous avons des cégeps anglophones en région où presque la majorité des étudiants sont des francophones! Ils ont peur de devoir fermer leurs portes d’ici cinq ans si le projet de loi 96 est adopté tel quel. Et ce n’est pas le QCGN qui le dit, ce sont les cégeps eux-mêmes.
On a fait un sondage à travers tout le Québec, auprès de plus de 2000 personnes, dont plus de 1000 francophones. Ce qui est ressorti, c’est que la majorité des francophones veulent garder leur droit de décider eux-mêmes où ils vont étudier. Ils ne sont pas en faveur de ces limites que le projet de loi 96 propose. Ils ne sont pas en faveur non plus de voir leurs droits et libertés individuelles supprimées par des droits supposément collectifs, ce que fait le projet de loi 96.
Les communautés francophones en situation minoritaire font face à d’importants transferts linguistiques – il est de plus en plus difficile de transmettre la langue française aux générations futures. Est-ce que la communauté anglophone du Québec fait face au même problème?
Non. On le voit avec Internet, on le voit avec la très grande majorité d’anglophones en Amérique du Nord, on le voit du côté des affaires internationales, du développement économique : la langue des milieux d’affaires, c’est l’anglais, sur la scène internationale. Donc la langue comme telle n’est pas en danger; c’est la communauté elle-même qui est en danger.
La communauté est en danger parce qu’on sait que la vitalité d’une communauté minoritaire passe par la possibilité d’avoir de l’emploi. Au Québec, le plus grand employeur est la fonction publique provinciale, mais moins de 1% des fonctionnaires sont des anglophones. Donc ce sont des milliers d’emplois qui nous sont fermés.
On n’a pas accès au secteur public fédéral. Dans les institutions qui opèrent au Québec, on est sous-représentés. On a juste à regarder les services correctionnels du Canada: il y a 3800 employés qui travaillent au Québec, mais à peine 100 sont des anglophones.
Si on regarde les dispositions que le projet de loi 96 propose, les employeurs des petites et moyennes entreprises qui veulent avoir une place sur le marché international, où la langue commune est l’anglais, vont devoir justifier à chaque fois qu’ils voudraient embaucher quelqu’un [et] pourquoi il doit travailler en anglais, même si c’est un francophone.
[Si on prend] une petite entreprise avec 30 employés, en Beauce, qui produit sur le marché international — ceux qui travaillent là-bas sont des francophones — il y aurait certains postes où on aurait besoin que la personne puisse converser et parler en anglais, par exemple. Mais l’employeur va être obligé de justifier pourquoi.
C’est de la paperasse. On sait déjà que, selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), la paperasse, avec les règlements, avec les papiers qui doivent être en remplis par les employeurs, coute déjà 8 milliards$ par année. Alors, combien en plus ça va couter avec toute la paperasse que ces compagnies vont maintenant être obligées de remplir pour satisfaire aux dispositions de ce projet de loi 96?
Est-ce que le projet de loi 96 devrait préoccuper les francophones hors Québec?
L’utilisation péremptoire de la clause dérogatoire, comme l’a fait le gouvernement du Québec avec son projet de loi 96, est un danger non seulement pour tous les Québécois, qui verront leurs droits individuels fondamentaux suspendus, mais aussi pour nos confrères et consœurs à l’extérieur du Québec, dans le reste du Canada.
On voit comment ça a incité d’autres gouvernements provinciaux à utiliser la clause dérogatoire, et on s’attend qu’il y en ait qui l’utilisent en matière de langue. Jusqu’à maintenant, ils ne l’ont pas fait, mais c’est un réel danger.