Le colloque a pris des airs de résistance au fil des exposés des panélistes présents, tous professeurs d’histoire à travers le Canada. C’est le 23 juin que s’est déroulé le panel «L’institution universitaire et la francophonie canadienne» qui retraçait, avec une lentille historique, les origines et le rôle de plusieurs universités francophones, notamment du Campus Saint-Jean en Alberta et les universités au Manitoba.
Dans les cas présentés, des défis communs se sont dressés pour les universités francophones au fil des gouvernements provinciaux successifs.
Les coupes budgétaires et le manque de fonds qui en découle sont les traits communs au cœur de la fragilité des institutions universitaires dans la francophonie canadienne.
Valérie Lapointe Gagnon, professeure agrégée d’histoire à la Faculté Saint-Jean, en Alberta, a rappelé que «Jason Kenney, qui est pourtant francophile, est arrivé au pouvoir avec son gouvernement conservateur uni en 2019 avec un gros programme pour réduire la taille de l’État et réduire les dépenses dans un contexte de transition économique».
Si le campus a réussi à préserver son autonomie, «les compressions budgétaires n’ont pas été réglées».
La professeure a d’autant plus déploré ces compressions qui ont amené à un nouveau modèle d’université «vraiment ancré dans le néolibéralisme et axé sur les demandes du marché» avec «des indices qui, évidemment, ne fonctionnent pas avec le modèle d’un petit campus francophone et qui ne fonctionnent pas avec le domaine des arts et des sciences humaines en général».
Un modèle retrouvé du côté du Manitoba, comme l’a souligné Patrick Noël, professeur d’histoire à l’Université de Saint-Boniface (USB).
Ce dernier a rappelé que le ministre du Développement économique et de l’Emploi de sa province, Ralph Eichler, dans une lettre de décembre 2019 adressée aux universités manitobaines, défendait une vision «affreusement réductrice de l’université».
Le document cite le ministre ainsi: «[L]a réussite peut prendre diverses formes depuis l’obtention d’un emploi à la fin de ses études à l’accumulation de plusieurs diplômes, mais au bout du compte, les étudiants feront valoir leurs compétences sur le marché du travail et répondront aux besoins en main-d’œuvre du Manitoba.»
Cette conception «instrumentaliste», «inquiétante», «détourne l’université de sa réelle mission, celle de conserver, de transmettre et de faire avancer le savoir en [formant] des citoyens avec un esprit critique», pointe Patrick Noël.
L’organisateur du colloque et nouveau recteur de l’Université de Sudbury, Serge Miville, est intervenu 24 heures plus tard, dans le panel du lendemain sur cette même question, concernant l’avenir de l’Université libre du Nouvel-Ontario: «C’est intéressant, on finance de moins en moins l’institution [universitaire], mais on la contrôle de plus en plus parce qu’on veut l’orienter vers le marché. Donc, comment fait-on comme recteurs, comme universitaires, chercheurs […] pour ne pas trahir notre mission fondamentale qui est particulière en milieu francophone minoritaire […] tout en répondant à la réalité?»
Martin Pâquet, historien à l’Université Laval et titulaire de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN), a quant à lui précisé une autre mission de l’université, conçue au fil du temps: «La mission universitaire repose sur un équilibre entre les pôles de la vérité et de la pertinence […]. Les deux concepts se heurtent pour assurer l’autonomie de l’Université.»
«Ça nous prend une aide, un plan qui va être global pour l’ensemble des établissements, pour qu’on puisse se projeter dans l’avenir et continuer les rôles et les fonctions [de l’université]», a conclu Valérie Lapointe-Gagnon depuis l’Alberta.