Gaëtan Baillargeon croit que la découverte des dépouilles autour de l’ancien pensionnat autochtone à Kamloops en Colombie-Britannique ne marque que le début de la recherche. «Malheureusement, c’est juste le premier», déclare-t-il.
La nouvelle fut un choc pour certains allochtones. Les Autochtones, de leur côté, savent depuis longtemps que des restes d’enfants se trouvent partout au pays, près des anciennes écoles résidentielles.
À l’âge de 13 ans, Gaëtan Baillargeon a visité l’école résidentielle Shingwauk de Sault-Sainte-Marie avec sa mère. Lors de la visite, elle a fait un commentaire qui l’a marqué. «Elle a pointé vers une région et puis elle a dit: “Je sais qu’il y a du monde enterré là”, raconte-t-il. Mais elle ne savait pas vraiment où c’était. Elle ne s’en souvenait pas. Je suis sûr que ce sont des mémoires qu’elle ne veut pas se rappeler.»
«C’était une prison»
Puisque M. Baillargeon est le fils le plus jeune de sa famille, il n’a pas discuté du sujet avec sa mère autant que ses frères et sœurs. En fait, les détails du temps qu’elle a passé à Shingwauk sont très flous à ce jour. «[Ma mère] se rappelle juste qu’elle parlait à peine en anglais, précise-t-il. Elle s’est fait enlever et elle est partie.»
Malheureusement, les archives des pensionnats autochtones ne sont pas fiables. Le registre de l’école Shingwauk indique que la mère de Gaëtan Baillargeon a fréquenté l’établissement seulement pendant un an, ce qui est faux puisqu’elle est retournée à Constance Lake bien plus tard dans sa vie.
M. Baillargeon rapporte que sa mère se souvient de s’être enfuie du pensionnat par train lorsqu’elle était adolescente et qu’elle a abouti en Saskatchewan dans une ville dont elle ignore le nom à ce jour.
Elle ne sait pas combien de temps elle est partie et quel âge elle avait au moment de la fugue. «Ils l’ont trouvée et l’ont rapportée à Constance Lake au lieu de la rapporter à Shingwauk, parce qu’elle avait plus l’air d’une jeune femme», rapporte Gaëtan Baillargeon.
M. Baillargeon ajoute que son frère avait décidé d’amener sa mère à la «cookerie» de Lecours Lumber pour travailler dans la cuisine. Malheureusement, l’équipe n’avait pas besoin de son aide, alors elle a trouvé un travail en tant que bonne d’enfants. «Je ne savais pas ça, annonce-t-il. Marcel Lecours m’a dit en passant, plus tard dans ma vie, que c’était ma mère qui était leur bonne.»
À quarante ans, Gaëtan Baillargeon apprend de nouvelles histoires à propos du parcours de vie de sa mère et les mauvais traitements qu’elle a subis.
Je me dis tout le temps que s’il y a des choses qu’elle ne veut pas me dire, c’est sûr qu’il y a eu des affaires [sexuelles] aussi, admet-il. À chaque fois qu’on en parle, tu vois qu’elle est brisée. Elle est brisée, mais elle est forte parce qu’elle est encore ici.»
Témoignage de Constance Lake
Il y a une dizaine d’années, pour sensibiliser les gens à la réalité des écoles résidentielles, M. Baillargeon et des représentants du gouvernement provincial se sont rendus à la Première Nation Constance Lake afin de documenter les témoignages des survivants de pensionnats de la communauté. Plusieurs personnes se sont présentées afin de raconter leur part de l’histoire. C’est durant ces échanges qu’il a constaté que la situation était bien plus grave qu’il ne le croyait.
Il se souvient d’un homme qui a confessé avoir été obligé de boire de l’eau de toilette durant la nuit, car les adultes ne laissaient pas les étudiants boire en période de sommeil. La même personne a expliqué que les plus vieux se plantaient devant la porte pour protéger les plus petits de l’abus des prêtres et des sœurs lorsque ces derniers venaient voir les enfants. «Ce qu’il m’a dit m’a vraiment brisé le cœur, se rappelle-t-il. Il m’a dit : “À un moment donné, c’est toi qui deviens le vieux”.»
Le mémorial 215
C’est devant le mémorial des enfants autochtones qu’un mur s’est effondré : une minute après avoir pris une photo de famille avec ses enfants et petits-enfants à côté des paires de souliers, la mère de M. Baillargeon s’est mise à pleurer.
«Elle n’en revenait pas, dit-il. Elle voyait ma fille, mon neveu et les petits souliers et elle m’a dit : “Pourquoi est-ce qu’ils nous ont fait ça?” C’est là qu’elle a ajouté : “Finalement, le monde va le savoir, le monde va me croire, le monde sait que c’est ouvert et qu’on ne peut plus le cacher”.»
Pour aller de l’avant, M. Baillargeon encourage les gens à commencer par l’éducation, surtout avec les jeunes dans les écoles, dans le but de leur apprendre «la vraie histoire» du Canada.
Aussi, il aimerait que les Autochtones soient inclus dans le développement économique et communautaire de la région ainsi que dans les dialogues avec les allochtones.