Lors de l’élection générale de 2019, tous partis confondus, environ 20% des candidats étaient issus des minorités racisées, rapporte le politologue Jerome H. Black dans son article Candidats et députés issus de minorités visibles aux élections fédérales de 2019, paru en septembre 2020 dans la Revue parlementaire canadienne.
Le nombre d’élus parmi ce groupe dépend en partie des dynamiques électorales et des efforts de promotion déployés par les partis.
Toujours selon cet article, en 2019, le Parti libéral est parvenu à faire élire 37 députés racisés (24% de sa députation), le Parti conservateur 10 (8% de sa députation), le NPD 3 (11% de sa députation) et le Bloc québécois aucun.
Derrière ces chiffres agrégés se dissimulent d’autres déficits de représentation, pense la professeure Erin Tolley, du Département de sciences politiques de l’Université Carleton.
Au-delà des chiffres, observe la professeure Tolley, il faut constater que les députés racisés occupent rarement des positions de pouvoir au sein de la Chambre ou les fauteuils de ministres plus influents.
Considérer la représentation des «minorités racisées» dissimule la sous-représentation de groupes spécifiques dans cette catégorie: «Le gouffre le plus évident est l’absence relative de Canadiens noirs au Parlement, et parmi la population racisée, les Noirs ont une des plus longues histoires au Canada», souligne Erin Tolley.
À ses yeux, il faut aussi éviter de faire des amalgames entre les expériences de différents groupes minoritaires : «On a cette tendance à utiliser des “raccourcis”, de dire “les femmes et les minorités”, et ça donne l’impression que tirer un levier pour aider les femmes va automatiquement altérer la représentation d’autres groupes [minoritaires]. C’est évidemment faux! Les choses qui posent des défis pour les femmes sont très différentes des choses qui posent des défis pour les candidats racisés ou autochtones.»
La «culture» des partis dans le viseur
Présentement, 100 sièges sont occupés par des femmes à la Chambre des communes, soit moins de 30% de la députation.
La sous-représentation des femmes et des minorités racisées ne s’explique pas par les préjugés des électeurs, selon Erin Tolley: «Si [les électeurs] aiment un parti, ils vont voter pour son candidat, peu importe qui c’est […] Ça ne veut pas dire que le racisme et le sexisme ne sont pas des problèmes, mais ils sont outrepassés par l’identité partisane qui joue un rôle prépondérant dans le choix des électeurs.»
La professeure pense plutôt que le principal problème est la «culture» des partis politiques, qui ne remettent pas en question leurs stratégies et réseaux de recrutement.
«Les élites partisanes ont des impressions erronées sur le type de candidat qui pourrait gagner dans telle ou telle circonscription. Dans plusieurs cas, les partis sont vraiment peu enclins à nommer des Canadiens racisés hors des districts les plus racialement divers […] et ça met un plafond sur le nombre de candidats racisés qui se présenteront et combien peuvent gagner», selon elle.
«Les partis politiques ont beaucoup de pouvoir pour sélectionner des équipes de candidats plus divers et positionner ces candidats plus divers dans des circonscriptions que le parti a la chance de gagner. Et dans plusieurs cas, ils choisissent de ne pas le faire», observe la professeure Tolley.
Vers des mesures concrètes pour diversifier les élus fédéraux?
Quelles mesures concrètes les partis fédéraux mettent-ils en place pour assurer l’élection d’un plus grand nombre de femmes et de personnes issues de groupes sous-représentés à la Chambre des communes?
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, souligne que le NPD a une politique pour s’assurer que lorsqu’un député quitte la vie politique, il soit remplacé par une candidate ou un candidat issu des «communautés marginalisées».
Le leadeur des néodémocrates ajoute que le parti a formé un comité pour assister les candidates avec le financement de leurs campagnes : «Parce que [collecter des fonds] est un défi pour les femmes, donc on doit avoir une approche qui reconnait les défis systémiques et mettre en œuvre des solutions systémiques.»
La cheffe du Parti vert, Annamie Paul, a pour sa part fondé en 2001 le Canadian Centre for Political Leadership (CCPL), un organisme sans but lucratif dont la mission est d’encourager les femmes et les personnes issues des minorités à se lancer en politique.
Elle souligne également que le Parti vert a lancé la campagne «Faites le saut» pour encourager les personnes issues de groupes sous-représentés à se présenter aux élections fédérales.
Au Parti libéral, les nouvelles règles d’investiture contraignent les associations de comté à démontrer au parti qu’ils ont procédé à «une recherche acceptable de candidats potentiels à l’investiture, y compris à l’examen attentif de la présentation de candidats à l’investiture potentiels provenant de communautés ou ayant des profils démographiques sous-représentés au Parlement».
Pour Greg Fergus, député de Hull-Aylmer et ancien directeur national du Parti libéral, cela est préférable à un système de quotas puisque dans ce dernier «tu cherches des personnes pour remplir des quotas dans des comtés qui ne sont pas gagnables […] C’est juste du monde pour avoir des chiffres, ce sont des poteaux».
Greg Fergus admet que de l’extérieur, ce type de processus peut avoir l’air «moins satisfaisant, mais en fait, c’est plus riche. Je trouve que c’est plus pragmatique et ça va mener à des résultats qui vont se solder avec un caucus libéral plus diversifié».
Richard Martel, député de Chicoutimi — Le Fjord et lieutenant politique du Parti conservateur pour le Québec, reconnait aussi l’importance d’avoir une équipe diversifiée de candidats: «On cherche des candidats aussi qui représentent bien leur comté. Moi-même, je suis d’origine libanaise, en passant. Puis, dans différentes circonscriptions, on a des Italiens, des Asiatiques, des Grecs, des anglophones… des femmes, bien sûr, des candidates. Alors c’est sûr que c’est important quand on réussit à avoir ces candidats-là.»
À titre d’exemple, Richard Martel souligne qu’au Québec, «on a un Italien dans la circonscription qui est très italienne, on a Frank Cavallaro qui se présente, qui connecte avec les gens de son milieu. Du côté aussi de la communauté grecque, on a Spyro Pettas. Alors, c’est pour ça qu’il n’y a pas de barrière. Moi je peux vous dire en tout cas qu’au Québec, je ne vois aucune barrière dans le choix des candidats, c’est ouvert à tout le monde».
Il est à noter que selon Statistique Canada, les personnes d’origine grecque ou italienne ne constituent pas des minorités visibles.
Enfin, la directrice générale du Bloc québécois, Josée Beaudin, explique de la manière suivante qu’aucun candidat issu des minorités racisées n’ait été élu sous la bannière bloquiste lors des deux dernières élections générales: «D’une part, ce sont les membres qui votent pour les candidats qui désirent se présenter ; et au bout de la ligne, c’est la population aussi qui vote [pour] les candidats qui sont élus.»
Josée Beaudin observe cependant que le Bloc québécois met de l’avant la parité homme-femme dans ses statuts et règlements et que le recrutement de candidats issus de l’immigration est très important pour le Bloc québécois.