La pénurie d’éducatrices et d’éducateurs francophones ainsi que l’absence de formation en petite enfance dans plusieurs régions du Canada ont, entre autres, poussé l’ACUFC et ses partenaires à tenir un symposium national virtuel sur la petite-enfance qui s’est tenu les 12 et 13 mai derniers. Une manière de mettre en lumière les enjeux liés à la petite enfance dans les communautés francophones en situation minoritaire.
L’un des constats principaux dressés dans plusieurs ateliers a sonné comme un rappel : Le niveau de confiance en français de l’éducateur ou de l’éducatrice a un impact sur l’enfant.
Apprendre aux éducateurs la diversité multiculturelle francophone
Estelle Ethier, doyenne à l’enseignement au Collège La Cité à Ottawa donne le ton. Pour elle, il est nécessaire de sensibiliser les éducatrices et éducateurs à ce qu’est la vie en contexte minoritaire. «Il ne faut pas tenir pour acquis que les gens savent de quoi il s’agit», a-t-elle assuré.
Dans cet esprit, Marie-Pier Bouchard, coordonnatrice de projets à la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FPFTNL) observe qu’il faut faire davantage de place aux éducateurs, car «ce sont les premiers repères, ils servent de transition au système scolaire. Ils servent aussi de liens pour les parents, notamment au sein des communautés rurales éloignées», comme à Terre-Neuve-et-Labrador.
Pour pallier le manque de formation postsecondaire en français en petite enfance dans la province, la FPFTNL travaille à l’élaboration d’une formation de 45 heures. Une première tant pour la province que pour la FPFTNL.
En Nouvelle-Écosse, Lise Parent, professeure collégiale en éducation à l’Université Sainte-Anne explique que le programme Éducation à la petite-enfance [existant depuis 2012] prévoit un cours de francophonie canadienne et diversité culturelle pour, justement, sensibiliser les étudiants à la diversité au sein de la francophonie.
«Parmi les thèmes traités dans ce cours, il y a la définition de la construction identitaire et les principes directeurs qui sont de la documentation développée par l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF). On présente aussi le livret “Voir grand petit à petit”, qui permet aux étudiants de réaliser qu’ils auront à travailler avec des familles exogames. On voit le rôle de l’éducateur comme un passeur culturel», explique la professeure.
Selon Estelle Ethier, enseigner la francophonie multiculturelle, c’est aussi préparer les éducateurs à transmettre une fierté d’être francophone et de faire partie de la minorité.
«Plusieurs de nos étudiants [internationaux] sont déjà en adaptation, à savoir “comment est-ce je m’identifie comme nouveau Canadien ou nouvelle Canadienne?”. On leur demande de renchérir ou faire vivre cette fierté francophone en situation minoritaire.»
Originaire du Québec, la doyenne à l’enseignement au Collège La Cité se rappelle : «Ça m’a pris une bonne dizaine d’années avant de vivre et d’être fière en tant que Franco-Ontarienne. D’entendre mes filles me dire: “J’ai la chance d’aller à l’école en français et de parler les deux langues”, je trouve ça beau. Ça part de la petite-enfance pour gagner cette confiance-là, afin de poursuivre des études en français au primaire, au secondaire et au postsecondaire avec confiance, pour venir jouer un rôle dans la communauté francophone.»
Solidifier la sécurité linguistique
Cette fierté et la confiance de parler français transparaissaient aussi en filigrane dans cet atelier du symposium qui abordait le thème Accroitre la sécurité linguistique des éducatrices et des éducateurs et celle des tout-petits.
Karine Pineault, gestionnaire de projet en francisation préscolaire au District scolaire francophone Sud (DSFS) au Nouveau-Brunswick rappelle que l’insécurité linguistique se vit quand les éducatrices et éducateurs pensent que «[leur] langue ne correspond pas à la norme, qu’elle est moins prestigieuse. Même chose par rapport à l’accent. De fait, une personne peut choisir de parler la langue majoritaire plutôt que le français.»
Elle poursuit: «Malheureusement, cette insécurité linguistique nuit à l’épanouissement autant langagier que culturel et identitaire, tant chez nos éducateurs et éducatrices que chez nos petits.»
Line Thibodeau, directrice du développement culturel et communautaire au Carrefour Communautaire Beausoleil-Miramichi, au Nouveau-Brunswick, observe que l’insécurité linguistique intervient aussi lorsque les éducatrices se comparent avec les enseignants de l’école francophone, notant leur différence de formation.
«On a l’impression que si on a un français plus soutenu, c’est plus acceptable. Mais ce ne l’est pas vraiment», assure la directrice qui fait valoir que plus l’éducatrice va se sentir en sécurité au niveau de son français, plus elle va avoir un effet positif sur les enfants dont elle a la charge. «Elles sont des modèles pour les enfants qui veulent souvent faire comme elles», rapporte Line Thibodeau.
Pour sécuriser la langue, cette dernière favorise l’approche selon laquelle la langue et la culture ne vont pas l’une sans l’autre.
«Vivre des expériences culturelles en français aide à développer la sécurité linguistique. Parler français ne devient pas une obligation, mais un sentiment de fierté, souligne-t-elle. Ça ne va pas avec la tête, ça va directement au cœur.» Le service de garde profite, entre autres, du passage d’artistes à Miramichi, pour offrir des formations aux éducatrices.
Cette vision est également soutenue par Lise Parent en Nouvelle-Écosse qui participait à un autre atelier du symposium. Dans le cours «Musique et mouvement» que suivent les futurs éducateurs, «on pose la question “Quelle est la chanson préférée de l’enfant?” aux étudiants. Dans leurs réponses, on peut voir que certains ont été formés par des enseignants passionnés et que ça s’est maintenu dans le temps.»
Pour Lise Parent, les chansons et comptines dans la transmission de la langue et de la culture correspondent à un moment où l’on prend conscience de l’importance de ces éléments dans le vécu d’une éducatrice dans un service de garde. «Et cela permet de conserver une certaine vitalité [de la communauté francophone]», précise-t-elle.
À la COFA, combattre l’insécurité linguistique passe entre autres par 19 microcours, axés sur différentes notions permettant aux étudiants de choisir celles dont ils ont besoin, explique Sylvie Gauthier, gestionnaire de programme à la Coalition ontarienne de formation aux adultes (COFA).
Karine Pineault évoque quant à elle la création d’un espace de discussion et de réflexion autour de l’insécurité linguistique au sein de la formation.
Cette dernière explique que, si chez les petits l’insécurité linguistique n’est pas aussi accrue que chez les éducatrices/éducateurs, elle peut s’illustrer par le fait qu’un enfant a l’impression que sa langue n’est pas reconnue ou qu’elle n’a pas sa place dans le milieu où il se trouve.
De fait, impliquer les parents est, entre autres, ce que recommandent la plupart des intervenantes. «Ils sont les premiers repères culturels de leurs enfants, eux aussi, rappelle Karine Pineault. La relation affective que l’enfant va avoir, pour qu’il se sente appartenir à son groupe, à sa communauté.»
Line Thibodeau abonde dans le même sens: «Si les parents ne développent pas d’autres occasions de parler français en dehors de la garderie ou de l’école, il sera plus compliqué pour l’enfant de s’épanouir dans cette langue.»