Un Plan d’action fédéral LGBTQ2 qui s’élabore dans l’ombre

Un Plan d’action fédéral LGBTQ2 qui s’élabore dans l’ombre

Le tout a débuté le 28 novembre 2017, lorsque le premier ministre, Justin Trudeau, a présenté des excuses officielles devant la Chambre des communes aux Canadiens LGBTQ2.

Le budget 2017 avait d’ailleurs réservé 3,6 millions$ sur trois ans pour créer le Secrétariat LGBTQ2, suivi de 1,2 million$ dans le budget 2019 pour l’année financière 2020-2021.

Ces informations proviennent de Patrimoine canadien, qui depuis le 20 novembre 2019 chapeaute le Secrétariat LGBTQ2, anciennement sous l’égide du Bureau du Conseil privé.

C’est également la date à laquelle est entrée en poste la ministre de la Diversité, de l’Inclusion et de la Jeunesse, Bardish Chagger. Sa lettre de mandat de 2019 stipule qu’elle devra notamment «poursuivre le travail du Secrétariat LGBTQ2 pour promouvoir l’égalité des personnes LGBTQ2» et «consulter les représentants de la société civile des communautés LGBTQ2 afin de jeter les bases d’un plan d’action LGBTQ2 qui orienterait le travail du gouvernement fédéral sur les questions importantes pour les Canadiens LGBTQ2».

Ainsi, la ministre Chagger a lancé le 27 novembre 2020 un sondage national LGBTQ2 comme première étape vers la mise sur pied d’un Plan d’action fédéral LGBTQ2. Le sondage cible des domaines tels que l’emploi, les soins de santé, le logement, l’itinérance et la sécurité pour fournir une base de travail au gouvernement concernant les réalités et expériences quotidiennes des personnes LGBTQ2. L’exercice a pris fin le 28 février 2021 et le Secrétariat LGBTQ2 estime que plus de 22 000 répondants y ont participé.

Dans sa lettre de mandat supplémentaire datant du 15 janvier 2021, le premier ministre demande à la ministre Chagger d’«achever rapidement l’élaboration d’un plan d’action LGBTQ2 qui orientera le travail du gouvernement fédéral sur les priorités des Canadiens LGBTQ2».

Un sondage sans consultation des organismes

Malgré des demandes répétées, le Secrétariat LGBTQ2 n’a pas répondu aux demandes d’entrevue de Francopresse.

Le bureau de la ministre Chagger nous a pour sa part renvoyés à Patrimoine canadien, où la demande d’entrevue de Francopresse a été déclinée. Patrimoine canadien a cependant répondu à quelques questions par courriel.

Du côté des organismes et experts consultés par Francopresse, on explique être très enthousiaste par rapport à ce tout premier plan d’action pancanadien pour les communautés LGBTQ2. Chez certains, cet espoir est toutefois teinté de la déception de ne pas avoir été consultés dans l’élaboration du sondage lancé le 27 novembre.

«On l’a appris la journée d’avant. On était surpris – pas nécessairement qu’il y aurait un questionnaire, mais surpris qu’on l’apprenait aussi tard et qu’on n’avait pas eu la chance de participer au développement du questionnaire, à la priorisation des questions. C’est du feedback qu’on a donné directement au Secrétariat, qu’on aurait vraiment apprécié [d’être consultés] et qu’on était déçus de ne pas avoir eu la chance de participer plus tôt», explique Emmett Lamarche, directeur général du Réseau Enchanté.

Cet organisme est «un réseau national qui relie et soutient plus de 120 centres de fierté et organisations de services 2SLGBTQ au Canada», dont certains organismes francophones ou bilingues comme le Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO), le GRIS Acadie, FrancoQueer en Ontario, Fierté Clare Pride en Nouvelle-Écosse et de nombreux organismes québécois.

Emmett Lamarche indique qu’à sa connaissance, aucun des organismes avec lesquels collabore le Réseau Enchanté n’a été consulté dans l’élaboration du sondage.

Même son de cloche du côté du Comité FrancoQueer de l’Ouest: «Moi, je n’étais pas au courant jusqu’à ce qu’on reçoive votre demande d’entrevue», indique Alodie Larochelle, qui est à la direction des membres jeunesse au conseil d’administration (CA) de l’organisme.

Elle nuance toutefois en indiquant que les membres du CA sont bénévoles et que l’organisme a eu une période sans employé: «[On a probablement] eu des millions de courriels à ce sujet [qui auraient] été vérifiés par quelqu’un, mais pas par moi personnellement.»

Au Conseil québécois LGBT (CQ-LGBT), la directrice générale, Ariane Marchand-Labelle, indique que plusieurs organismes canadiens auraient été informés du processus avant la publication du sondage, mais qu’elle-même ne l’avait pas vu avant le 27 novembre 2020.

«Rien par rapport à nous sans nous»

Emmett Lamarche, du Réseau Enchanté, s’inquiète du fait que le sondage n’ait été accessible que via le Web. «On sait que, dans les populations de personnes en situation d’itinérance, il y a davantage de personnes qui s’identifient comme de la diversité sexuelle et de genre. Leur voix est aussi importante que la voix de n’importe qui d’autre, comment est-ce qu’on peut s’assurer qu’eux aussi aient accès à ce sondage? Il n’y avait pas nécessairement de réponse pour moi.»

Il indique que si le Réseau Enchanté l’avait su d’avance, «on aurait pu parler avec nos membres qui font du travail de première ligne […] et préparer un plan d’action pour s’assurer que ces personnes aient accès au sondage».

À l’avenir, l’une des principales attentes du directeur général du Réseau Enchanté sera «de voir une collaboration intrinsèque entre le gouvernement fédéral et les organismes nationaux 2SLGBTQ+ porte-paroles […] Je veux vraiment qu’on fasse partie, dès le début, des initiatives faites par le gouvernement fédéral par rapport à nos communautés. Rien par rapport à nous sans nous!»

«On l’a eu à l’arraché»

Le titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Martin Blais, rappelle d’ailleurs que l’élaboration d’un plan d’action LGBTQ «ce n’est pas une initiative du gouvernement: c’est une demande des groupes [LGBTQ] répétée».

«Ce sont des groupes qui demandent, revendiquent, font des pressions ; des groupes communautaires qui portent des causes à bout de bras et qui finissent par se faire entendre. Donc je salue certainement l’initiative, mais je salue surtout le travail des groupes qui l’ont rendue possible et qui ont forcé, en quelque sorte, le gouvernement à entendre et à être sensible. […] On l’a eu à l’arraché», rappelle Martin Blais.

Également sexologue et sociologue, il ajoute espérer «que le rapport ne finira pas sur une tablette, que des actions claires vont en découler et que ça va venir avec un renforcement des capacités communautaires».

Le 11 février dernier, le gouvernement fédéral a d’ailleurs annoncé un financement d’environ 15 millions$ pour 76 projets communautaires LGBTQ à travers le Canada, via le Fonds de développement des capacités communautaires LGBTQ2.

«Est-ce que ça suffit en fonction des besoins qu’il faut couvrir? En général, la réponse c’est non, ça ne suffit pas. Mais ça reste plus d’argent pour les organismes, et ça leur permet de souffler un peu dans un contexte difficile», évalue Martin Blais.

C’est également l’avis d’Emmett Lamarche, qui identifie «qu’un des plus gros problèmes [dans les organismes de première ligne], c’est qu’ils n’ont pas accès à du core funding [financement de base]».

Les organismes communautaires LGBTQ bénéficient plutôt de financement par projet, ce qui signifie que «l’avenir de l’organisme est très incertain», d’après le directeur du Réseau Enchanté.

Il estime que l’argent annoncé le 11 février «est une première étape pour essayer de combler ce besoin», mais ajoute que les organismes sont inquiets de ce qui se passera lorsque ce financement sera échu : «Une fois que ce pot d’argent sera vide, à la fin mars 2022, que va-t-il se passer pour nos communautés? Est-ce qu’il y a un plan?» questionne Emmett Lamarche.

«Si nos organismes de première ligne avaient accès à du financement stable, ils pourraient vraiment se concentrer à servir les membres de leur communauté», conclut-il.

Peu de détails sur les «tables rondes virtuelles»

Dans la foulée du sondage, le Secrétariat LGBTQ2 invite depuis peu les «organisations LGBTQ2 de la société civile» à soumettre leurs observations écrites au moyen d’un formulaire de soumission en ligne, suivant une liste de questions.

Les organismes auront jusqu’au 31 mai 2021 pour «partager leurs points de vue sur les politiques et programmes qui pourraient être améliorés, ainsi que de suggérer de nouvelles mesures qui pourraient être prises dans le cadre du Plan d’action».

Le Secrétariat LGBTQ2 indique aussi que des tables rondes virtuelles auprès de diverses communautés LGBTQ2 doivent avoir lieu au printemps 2021, soit d’ici le dimanche 20 juin. Aucun des intervenants contactés n’a cependant obtenu davantage de détails sur ces tables rondes.

Du côté de Patrimoine canadien, on nous répond par courriel que «le processus d’engagement communautaire est en cours et se poursuivra au printemps par le biais de diverses activités d’engagement telles que des soumissions écrites et une série de tables rondes virtuelles avec diverses communautés LGBTQ2, y compris les communautés bispirituelles, noires, racisées, non binaires, trans et les personnes handicapées au printemps 2021. Les tables rondes porteront sur les priorités identifiées dans le sondage», indique l’agente de communications Amélie Mathieu.

«Fondée sur une approche intersectionnelle et inclusive, la participation aux tables rondes sera par invitation seulement afin de favoriser des discussions approfondies sur des enjeux particuliers», ajoute-t-elle dans un courriel subséquent.

À savoir si le déclenchement d’élections fédérales pourrait affecter le développement du Plan d’action LGBTQ2, l’agente de communications indique que «conformément à la lettre de mandat supplémentaire de la ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse, le Secrétariat LGBTQ2 accélère le travail d’élaboration du Plan d’action fédéral LGBTQ2 au cours des prochains mois. Le ministère n’est pas en mesure de spéculer sur les répercussions d’une éventuelle élection sur l’échéancier».

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