La diversité linguistique : un atout, pas une hiérarchie

La diversité linguistique : un atout, pas une hiérarchie

Ce panel sur la sécurité linguistique dans la culture et les médias s’inscrit dans une série de quatre évènements organisés par la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF).

La discussion du 23 mars s’est amorcée par une remarque de la journaliste Martine Laberge, une Franco-Ontarienne de Hearst qui anime aujourd’hui l’émission Le matin du Nord à Radio-Canada : parler de «sécurité linguistique» plutôt que d’insécurité révèle un réel progrès.

«On a fait du chemin», a-t-elle indiqué en se remémorant que sa façon de parler a été très remarquée à son entrée dans un programme d’études médiatiques, à Ottawa, dans les années 1990.

Éric Dow, directeur des communications à la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et membre du groupe acadien Cy, abonde dans le même sens : les accents de la «minorité audible» sont plus appréciés qu’ils ne l’étaient.

Il évoque même une plus grande inclusion, du moins en Acadie.

L’effet Bombardier : des accents mieux acceptés? 

Est-ce là un effet Bombardier? Les commentaires désobligeants de la chroniqueuse en 2018 auraient-ils contribué à populariser les accents franco-canadiens?

Les panélistes se sont intéressés à cette hypothèse, mais le phénomène d’acceptation a débuté bien avant que la chroniqueuse ne déclare que les francophones «hors Québec» étaient voués à la disparition.

Il y a d’abord eu la prise de parole des années 1970, avec entre autres La Sagouine et Moé, j’viens du Nord, ‘stie.

Puis, plus récemment, les succès de Radio Radio et de Lisa LeBlanc, le terme «tarois» attribué au parler franco-ontarien par la romancière Hélène Koscielniak en 2016, et la FJCF qui se penche sur cette notion de «sécurité linguistique» depuis 2014.

Mais les puristes comme Denise Bombardier demeurent. «Certaines idéologies restent ancrées, souligne Éric Dow. On dirait que c’est acceptable de valoriser ces variations linguistiques dans un milieu culturel, mais on ne se permet pas encore de le faire dans un contexte officiel.»

L’artiste-entrepreneur YAO, qui complétait le trio de panélistes, a rappelé à quel point certains ne jurent que par un français standardisé.

Il a cité en exemple Aya Nakamura, une artiste malienne qui a grandi en banlieue parisienne et qui serait parfois boudée par les organisateurs d’évènements et les radios à cause de son utilisation de l’argot. N’empêche, son clip Doudou compte près 36 millions de visionnements sur YouTube!

À chaque contexte son langage

Par cet exemple à l’extérieur du Canada, YAO a voulu rappeler la richesse des lexiques du français dans le monde ; que ce soit en Europe, au Canada ou en Afrique, où l’on compte plus de 60 % des locuteurs du français de la planète.

Il s’est amusé à partager des perles régionales de la francophonie : divulgâcher (Québec), agender (Suisse), céduler (Acadie), camembérer (Sénégal), cadeauter (Tchad).

«Je suis pour la standardisation, mais pas pour l’uniformisation», a lancé l’artiste ivoirien d’origine togolaise : le lexique est trop riche pour tenter de le réduire, et permet de comprendre les origines et l’histoire d’un groupe linguistique.

Savoir utiliser le niveau de langue approprié, selon le contexte, là est la clé, selon les trois invités du panel.

Éric Dow, musicien originaire de la Baie–Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, valorise le parler régional, mais voit résolument l’utilité d’une langue standard. Selon lui, «on ne parle pas de la même façon au pêcheur au bout du quai que dans un panel national».

Se donner les moyens de s’entendre 

La solution pour valoriser et mieux intégrer les régionalismes et la diversité en serait-elle une de proximité? Pour Éric Dow, les médias communautaires et la scène permettent de faire résonner ces particularités régionales.

Il cite en exemple la radio communautaire CIFA, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, qui est célèbre pour ses publicités qui vendent notamment des «beleuets à 3 piasses la pinte».

Pour certains auditeurs, «ce sera la seule occasion de s’entendre sur les ondes d’une radio», souligne Éric Dow en ajoutant que ces médias communautaires sont indispensables d’un point de vue linguistique.

Il reste beaucoup à faire, toutefois, pour que les accents prennent leur place sur les ondes des radios et des télés, au Canada : «Il y a un travail de sécurité à faire pour amener des Franco-Ontariens à trouver leur place dans les médias», relève Martine Laberge, qui avoue avoir longtemps travaillé à standardiser son français nord-ontarien.

À titre d’animatrice sur les ondes de Radio-Canada, elle se permet des régionalismes colorés, mais assure qu’elle ne l’aurait pas fait comme journaliste et encore moins à l’écrit.

N’empêche qu’à la sortie du secondaire, elle a choisi le français. Une décision pas banale alors que l’anglophonie, par sa taille imposante, est attirante pour de nombreux jeunes francophones, d’après Éric Dow.

Celui-ci croit qu’il faut financer le français pour le valoriser : «Sans ce financement qui permet d’inculquer une valeur à la langue française et à la création artistique en français, surtout à un très jeune âge, on perd beaucoup de nos meilleurs talents», déplore-t-il.

Le financement par projets que l’on voit souvent dans la francophonie en situation minoritaire est dommageable puisqu’il n’entraine aucune pérennisation, souligne YAO. Il demande que le politique suive le communautaire et veille à ce que davantage de financement de fonctionnement soit attribué aux organismes en situation minoritaire, comme cela se fait au Québec.

«Ce financement doit être structuré pour le long terme. [Les programmes actuels] ne comblent pas les besoins réels», martèle YAO. 

Par exemple, les subventions de création ne sont pas doublées de fonds de commercialisation. Cela donne aux artistes les moyens de créer un album, mais pas de le commercialiser. «Et cette visibilité est nécessaire», plaide-t-il.

Une stratégie qui vise l’aplomb

Ce panel organisé dans le cadre des Rendez-vous de la Francophonie (RVF) 2021 visait à rappeler l’un des volets de la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique lancée il y a un an par la FJCF.

Son objectif est de «relancer un mouvement positif et des discussions tournées vers le futur», décrit la présidente de l’organisme, Sue Duguay.

Le panel du 23 mars et les deux précédents sont disponibles sur YouTube. Une quatrième et dernière discussion sur les politiques publiques est prévue le 31 mars et sera diffusée en direct sur la page Facebook de la FJCF et sur sa chaine YouTube.

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