Un 8 mars toujours sous le signe de l’iniquité salariale

Un 8 mars toujours sous le signe de l’iniquité salariale

«En 2018, nous avons décidé de choisir cette date pour parler de ce thème récurrent. Nous voulons amplifier la voix des femmes qui subissent les conséquences de l’iniquité salariale à travers le pays», indique la présidente de l’AFFC, Lily Christ.

En collaboration avec plusieurs organismes membres, l’AFFC a donc emprunté le virage virtuel et invite les personnes intéressées à «bouger ensemble, à distance» le 8 mars, à se filmer ou à se prendre en photo – idéalement avec la tuque distribuée gratuitement pour l’occasion — et à envoyer le tout à l’organisme qui réalisera un montage «pour mettre en lumière toutes les personnes qui militent pour l’équité salariale au pays». 

De grandes variations entre les provinces et territoires

À l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), l’organisme Actions Femmes (AFÎPÉ) se réjouit de pouvoir s’unir avec ses homologues provinciaux et l’AFFC à l’occasion du 8 mars. «On est un petit organisme, une petite province, donc ce réseau et cette solidarité sont importants pour nous ; pour apprendre des pratiques de nos partenaires, même si nos réalités sont différentes», indique la directrice de l’organisme, Johanna Venturini. 

En matière d’équité salariale, l’Î.-P.-É. est la bonne élève du Canada : d’après une étude de Statistique Canada qui a retracé l’évolution de l’écart salarial entre les sexes de 1998 à 2018, c’est la seule province où elle aurait été atteinte. 

«Mais ça cache d’autres notions qui ne sont pas prises en compte par Statistique Canada, comme le travail non rémunéré qui est beaucoup plus important chez les femmes ; le fait aussi qu’à l’Île-du-Prince-Édouard beaucoup de gens travaillent au salaire minimum et qu’il est parmi les plus bas du pays [à 12,85 $]», nuance la directrice d’Actions Femmes. 

«Et même si ce n’est pas la plus grosse priorité des femmes de la communauté, ça reste une tendance au niveau du pays qu’on ne peut pas ignorer. Ce n’est pas parce que l’équité [salariale] est atteinte qu’elle va le rester», avertit Johanna Venturini.  

Le son de cloche est très différent du côté du Yukon, où le peu de données disponibles rend difficile la tâche de brosser un portrait clair de la situation. 

«Le peu de chiffres qui ressortent montre qu’il y a un écart salarial, même s’il tend à rétrécir un peu», indique Camille Lebeau, assistante de direction et de projets à l’organisme franco-yukonais Les EssentiElles.

Des données du Conference Board of Canada datant d’avril 2017 rapportent un écart salarial de 7,95 % pour le Yukon, de 2,2 % au Nunavut et de 23 % aux Territoires du Nord-Ouest. L’organisme rapporte également que «le Yukon s’est particulièrement distingué en divisant son écart par deux de 2000 à 2015». 

L’enjeu de l’équité salariale n’est d’ailleurs pas le seul où il manque des données pour le territoire : «Chaque fois qu’on fait une campagne, c’est assez difficile de trouver des chiffres! Et c’est super important, les chiffres, parce que ça permet de mettre le doigt sur le problème, et quand on n’en a pas au final c’est juste des paroles», déplore Camille Lebeau. 

Une situation «assez frustrante» pour celle qui s’occupe notamment des campagnes sur les violences domestiques et le consentement. «Chaque fois, je voudrais montrer des chiffres… J’en trouve quelques-uns, mais souvent ils peuvent être vieux […] Surtout avec la pandémie, ça serait bien qu’ils soient [mis à jour].»

Une problématique qui en entraine d’autres

À taux horaire moyen, selon les données de Statistique Canada, c’est en Alberta que l’écart salarial était le plus élevé en 2018 : 6,32 $ l’heure de différence. 

La Colombie-Britannique faisait également piètre figure avec un écart de 5,90 $ de l’heure. Une réalité que constate Lily Christ au quotidien puisqu’elle y réside : «Dans le cadre de mon travail, j’ai vu des femmes en situation d’abus conjugal qui ne pouvaient pas quitter leur conjoint parce que les logements étaient trop dispendieux pour qu’elles puissent vivre seules.»

Elle note également que l’écart salarial est encore plus grand pour les femmes racialisées et autochtones, qui gagnent respectivement 60 % et 57 % du salaire des hommes non racialisés.  

Une réalité qu’observe aussi Camille Lebeau au Yukon, dont environ 25 % de la population est autochtone. Là-bas, les loyers exorbitants forcent souvent plusieurs familles à partager un même logement. 

«Quand c’est un couple où il y a des violences familiales, il faut se mettre à la place des femmes : si elles gagnent à peine de quoi survivre, dépendent de leur mari et ont des enfants à charge, elles vont se dire “ça va être difficile pour moi de partir, vaut mieux que je reste”. Il y a des centres d’hébergement, mais ils sont tout le temps pleins», ajoute l’assistance de direction et des projets chez Les EssentiElles. 

L’enjeu est d’autant plus important depuis que la pandémie a frappé, souligne également Lily Christ, de l’AFFC. Les statistiques démontrent que les secteurs les plus affectés sont ceux qui emploient généralement plus de femmes que d’hommes : le commerce de détail, la restauration et l’hébergement, sans compter les garderies, les écoles et les postes de première ligne dans le domaine de la santé. 

«Le gouvernement en est conscient […] Maintenant, ça va prendre une lentille féministe pour que la relance économique prenne en compte les enjeux spécifiques aux femmes, pour mettre fin aux désavantages structuraux qui les affectent», avance encore la présidente de l’AFFC. 

À l’Île-du-Prince-Édouard, Johanna Venturini remarque un paradoxe créé par la COVID-19 : «On est la province où les femmes ont perdu le plus leur emploi. Au niveau du retour à l’emploi, on est la pire province, parce que c’est souvent des métiers du care, liés au tourisme, donc des métiers très impactés par la pandémie.»

«Comme quoi on peut être un bon élève, mais le plus dur, c’est de stabiliser ça, de le maintenir», ajoute la directrice d’Actions Femmes. 

Pour Camille Lebeau, la pandémie aura au moins permis de mettre à profit les réseaux sociaux pour les causes importantes : «Que ça soit l’écart salarial ou les violences sexuelles, on arrive à parler de toutes ces causes via les réseaux sociaux alors qu’avant […] il n’y avait pas autant de mouvement. Les langues se délient de plus en plus, c’est plus facile de communiquer», note-t-elle en félicitant l’AFFC d’avoir organisé un évènement virtuel pour le 8 mars. 

«On est au 21e siècle, les femmes ne valent pas moins que les hommes. L’écart salarial ne devrait plus exister : on vaut autant que les hommes, on a des jobs aussi importants, on est aussi compétentes et intelligentes, aussi tout! Les femmes doivent prendre leur place dans la société parce que c’est une place qui nous revient de droit», conclut Camille Lebeau. 

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