Avant la campagne à la direction du parti, explique Stéphanie Chouinard, professeure de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada à Kingston, Erin O’Toole était considéré comme un «red tory», ou un conservateur modéré. Pendant la campagne, il s’est cependant positionné à droite de Peter MacKay, tentant de courtiser un électorat plus près du courant du conservatisme social.
Ce positionnement comme «un vrai bleu», comme l’indique son slogan, a eu une plus grande résonance auprès des membres du Parti, particulièrement des conservateurs sociaux, qui l’ont sélectionné comme second ou troisième choix, constate le politologue Frédéric Boily du Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta.
«Erin O’Toole n’est pas un conservateur social, il avançait des positions modérées, il était pour la liberté de choix… mais il a lancé “un clin d’œil” aux conservateurs sociaux en disant “regardez, le parti est ouvert à toutes les factions”.»
Et cela, ajoute-t-il, tout au contraire de Peter McKay, qui a misé sur un discours centriste : «Et si jamais les conservateurs sociaux n’étaient pas d’accord avec ça, et bien, ils n’avaient qu’à ne pas voter pour lui. C’est ce qu’ils ont très précisément fait!»
Pour Jim Farney, directeur du département de politiques et d’études internationales de l’Université de Régina, Peter MacKay, en tant qu’ancien chef des progressistes-conservateurs, était aussi un peu vu comme «un homme d’hier» et associé au flanc gauche du parti.
Les plateformes sérieuses garantes de votes
Pour Stéphanie Chouinard, si certaines courses à la direction du parti ont eu l’air de concours de popularité par le passé, ici, «ce sont les candidats avec les plateformes les plus sérieuses qui ont été en mesure de séduire le membership, en l’occurrence Erin O’Toole et Leslyn Lewis, qui a performé de façon vraiment remarquable pour quelqu’un qui était si peu connue avant la course.»
La performance de Leslyn Lewis, ajoute Frédéric Boily, «montre que les réseaux du conservatisme moral, social et religieux sont encore présents à l’intérieur du parti. Ils ne sont pas majoritaires, mais c’est une minorité agissante très forte qui permet à des candidats, comme Leslyn Lewis, comme Derek Sloan, d’aller chercher des partisans».
Cependant, pour le professeur Jim Farney, le succès de Leslyn Lewis ne s’explique pas uniquement par le vote des conservateurs sociaux : «Elle a fait une campagne dynamique, et beaucoup de gens aimaient voir une femme noire, issue de l’immigration, bien faire dans le parti. Elle était aussi en tête en Saskatchewan au premier tour et, au second tour, elle était en tête dans toutes les provinces de l’Ouest. C’est probablement les conservateurs sociaux qui votaient massivement pour elle, mais il y a quelque chose d’autre derrière ça.»
Enfin, si la plateforme électorale d’Erin O’Toole était plus à droite que celle de Peter MacKay, elle comportait aussi des engagements plus précis pour différentes régions. Erin O’Toole tenait entre autres «un discours pour l’Ouest canadien, pour l’Alberta en particulier, où il parle de péréquation, où il parle de pipelines ; et un discours pour le Québec, où il parle d’autonomie pour le Québec, où il parle du poids de la représentation du Québec à la Chambre des communes», ajoute Frédéric Boily.
Des sources de la victoire d’Erin O’Toole émergent ses futurs défis
Selon le professeur Boily, O’Toole devra désormais démontrer qu’il peut tenir tête aux conservateurs sociaux dans son caucus : «Il devra, à un moment donné, mettre son pied à terre pour dire qu’il n’est pas l’otage de ce mouvement-là.» Ce que son prédécesseur, Andrew Scheer, n’a jamais véritablement réussi à accomplir, ajoute-t-il.
De plus, pour Jim Farney, la coalition de régions qui a propulsé le nouveau chef à la tête du parti pourrait s’avérer problématique. «Il a obtenu beaucoup d’appuis de la part de puissants conservateurs de l’Ouest : Jason Kenney, Scott Moe, beaucoup de députés. Et il a obtenu l’appui du Québec, mais il est un député de l’Ontario, de la région de Toronto. La question sera donc : comment va-t-il gérer toutes ces tensions régionales?»
Le professeur Farney précise : «Quand on examine l’histoire des conservateurs au Canada, ils peuvent avoir l’Ouest et le Québec, ou l’Ontario et l’Ouest, ou l’Ontario et le Québec, mais ils ne peuvent pas tenir les trois régions ensemble pendant très longtemps. C’est ce qui a tué les torys de Mulroney.»
Positions politiques d’Erin O’Toole
Il est trop tôt pour déterminer quelles seront les priorités d’un gouvernement mené par Erin O’Toole, selon Stéphanie Chouinard, en partie parce qu’il y a une différence entre la plateforme électorale mise de l’avant dans une course à la chefferie et la plateforme d’élection générale.
Frédéric Boily constate que les contours des politiques d’un éventuel gouvernement O’Toole restent vagues. On pourrait s’attendre, croit-il, à un fédéralisme d’ouverture à la Stephen Harper, où on laisse un peu plus de latitudes aux provinces, tout en supportant l’industrie pétrolière.
Du côté des politiques environnementales, «ça semble être dans la continuité de ce qui se faisait auparavant, ajoute Frédéric Boily ; c’est-à-dire un programme qui semble miser surtout sur les gains technologiques pour lutter contre les changements climatiques. Ou encore une certaine forme de taxation, mais surtout pas une taxe sur le carbone. Disons une taxation des grands émetteurs.»
Jim Farney remarque qu’Erin O’Toole «fait grand cas de sa carrière militaire, et qu’il parle beaucoup plus de politique étrangère dans sa plateforme que ce qu’on voit habituellement». On y voit qu’il veut réorienter la politique étrangère du Canada vers les alliés de l’OTAN et les pays anglo-saxons.
Il privilégie aussi une approche de «loi et ordre», allant jusqu’à proposer d’évoquer la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés pour instaurer des sentences pénales minimum.