La durée initiale de la PCU était de quatre mois, soit jusqu’au 1er juillet. Le 16 juin dernier, le gouvernement fédéral a annoncé le prolongement du programme jusqu’à la fin aout, soit huit semaines supplémentaires. «Grâce à la prolongation de la Prestation canadienne d’urgence, les Canadiens pourront continuer de payer leur épicerie et leurs factures pendant que nous relançons l’économie tous ensemble de façon sécuritaire et efficace», avait alors déclaré le premier ministre, Justin Trudeau.
Si cette prolongation est une excellente nouvelle pour les prestataires, elle constitue une épine qui perdure pour bon nombre d’employeurs, car certains peinent à convaincre leurs employés de revenir au travail ou à en recruter de nouveaux.
Déjà au début mai, le chef démissionnaire du Parti conservateur du Canada, Andrew Sheer, exprimait des craintes envers de possibles effets négatifs de l’aide directe du fédéral, notamment qu’elle pourrait encourager certains Canadiens à ne pas retourner au travail et ainsi contrer les efforts des provinces visant à relancer l’économie.
Il proposait de permettre aux bénéficiaires de gagner plus que 1 000 $ par mois, au moyen d’une échelle graduée, et d’ainsi soustraire une portion de la PCU. De plus en plus de gens sont de son avis.
Inquiétudes parmi les employeurs et les économistes du pays
«Au tout début, c’était absolument essentiel d’avoir un programme du genre. Et c’était urgent qu’on le mette en place», estime Pierre-Marcel Desjardins, économiste et directeur de l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton.
«Cela a fait en sorte que l’économie n’a pas ralenti autant qu’elle aurait pu. Le problème maintenant, c’est qu’après avoir confiné l’économie pendant plusieurs semaines, on veut rouvrir. Ce qu’on a présentement, c’est un frein à l’accélération progressive à un retour à une économie ou à un niveau d’activités qui pourrait autrement être possible.»
Plusieurs joueurs dans le secteur du travail auraient souhaité que le gouvernement modifie les règles du jeu lorsqu’il a prolongé la PCU et ont été déçus du statuquo.
«Nous serons peut-être témoins d’un phénomène où se côtoieront une pénurie de main-d’œuvre et des taux de chômage records», a déclaré Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, dans une entrevue avec Bloomberg.
La Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI) a sondé ses membres sur la question et 37 % d’entre eux disent avoir des préoccupations liées à la gestion du personnel.
D’entrée de jeu, le vice-président des affaires nationales de l’organisme, Jasmin Guénette, affirme que la PCU doit continuer à être offerte aux gens qui ont perdu leur emploi en raison de la COVID-19.
Mais puisque le contexte économique et social a changé depuis, la Prestation canadienne d’urgence doit aussi s’adapter, croit-il. «On entend de plus en plus nos membres avoir de la difficulté à recruter des gens parce que les gens peuvent juste décliner de retourner au travail sans aucune conséquence et continuer à recevoir la prestation.»
Comme les prestataires peuvent gagner jusqu’à 1 000 $ par mois sans perdre la PCU, le travail à temps partiel est devenu très populaire, souligne Jasmin Guénette. «Par exemple, un serveur dans un restaurant peut dire qu’il veut seulement faire trois quarts de travail par semaine parce qu’il ne veut pas faire plus que 1 000 $ dans le mois pour garder la PCU. Résultat : le restaurant a besoin de plus d’employés pour offrir le même service.»
Tentative ratée de modifier les critères
Le gouvernement fédéral semblait être lui aussi convaincu du problème puisque le mois dernier, il a présenté le projet de loi C-17 qui, entre autres, aurait modifié les critères d’admissibilité à la PCU afin d’en priver ceux qui refusent de revenir au travail «lorsqu’il est raisonnable de le faire» ou ceux qui refusent une offre d’emploi «raisonnable». Des amendes et même une peine de prison pour les fraudeurs étaient prévues.
Les partis d’opposition n’ont pas pu s’entendre sur le contenu du projet de loi ; d’autres ont présenté des conditions à son adoption. C-17 n’est pas allé plus loin que la première lecture.
Au 10 juin, on estimait que huit millions et demi de Canadiens et de Canadiennes — soit 40 % de la main-d’œuvre au pays — avaient fait une demande pour obtenir la PCU.
Des solutions de transition
Pour Pierre-Marcel Desjardins, le statuquo ne peut durer encore longtemps. «Tout de suite, ça ralentit la reprise plutôt qu’accompagner la reprise.»
L’économiste souhaite cependant qu’il y ait une période de transition, qui serait en même temps un incitatif auprès des travailleurs afin qu’ils regagnent le marché du travail, et «qu’on permette de conserver une partie de ce montant-là tout en pouvant additionner pour quelques mois le montant qu’on pourrait aller chercher sur le marché du travail. Tant qu’à payer la PCU, payons-là partiellement à des gens qui retournent au travail.»
Jasmin Guénette de la FCEI s’insère dans cette même ligne de pensée. Puisque ceux qui reçoivent la PCU peuvent toucher un maximum de 3 000 $ par mois en combinant la prestation de 2 000 $ et un revenu du travail de 1 000 $, l’organisme suggère de bonifier l’offre afin qu’un retour au travail soit plus rentable que de rester à la maison.
«On pourrait permettre aux gens de gagner plus que 1 000 $ et de continuer à recevoir certains bénéfices de la PCU. Si tu gagnes 2 000 $ ou 2 500 $, tu pourrais recevoir un montant équivalent à la balance du 3 000 $ de la PCU.»
Jasmin Guénette espère que des changements seront apportés à la PCU avant la fin du mois d’aout, car après des mois de confinement, c’est maintenant que les entreprises sont en difficulté et ont besoin de main d’œuvre pour reprendre du poil de la bête.