Les chiffres que l’on voit passer ces jours-ci au sujet de la situation économique du Canada sont astronomiques : deux-millions d’emplois perdus en avril, trois millions depuis février. Le produit intérieur brut (PIB) du pays a reculé de 9 % au mois de mars et, selon le bureau du directeur parlementaire du budget (DPB), la chute atteindra 12 % d’ici la fin 2020, soit près de quatre fois plus que la pire diminution jamais constatée.
Il semble que ce sombre portrait de l’économie canadienne soit un plancher, alors qu’un peu partout, les restrictions sont levées graduellement, et que l’activité sociale et économique remet le nez dehors.
Mais à quelle vitesse et jusqu’à quel point reviendra-t-on à ce qui prévalait avant la pandémie?
De nombreux facteurs
«Nous ne savons pas quand l’économie rependra et à quel niveau», avoue Jean-Paul Lam, professeur d’économie à l’Université de Waterloo, en Ontario. «Nous aurons probablement une économie qui performera de 80 à 90 % de sa capacité jusqu’à ce l’on développe un vaccin», avance-t-il.
«C’est à peu près impossible à prédire», souligne également l’économiste et directeur de l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton, Pierre-Marcel Desjardins.
Lui aussi voit dans le vaccin la condition pour une reprise plus complète. «Aussi longtemps qu’on n’aura pas trouvé un vaccin ou qu’on n’aura pas développé une immunisation collective, j’ai l’impression que l’économie va tourner au ralenti. Oui, on redémarre, mais ce n’est absolument pas vrai qu’on va retrouver du jour au lendemain le rythme de croisière qu’on avait il y a quelques mois.»
Plusieurs facteurs entreront en ligne de compte quant au genre de reprise que ce sera. «Il va y avoir un avant et un après COVID-19. Un peu comme dans le domaine de l’aviation, il y a eu un avant et un après 11 septembre 2001», ajoute M. Desjardins.
Dire que la donne a changé est un euphémisme. Les marchés internationaux ont été bouleversés. Le rôle de la Chine dans la chaine de production pourrait ne plus être le même. Et la confiance du consommateur en a pris pour son rhume, soutient le professeur Lam. «Les consommateurs sont incertains face à leur avenir et ils pourraient réduire leurs dépenses même lorsque l’économie reprendra, en particulier les dépenses accessoires comme les restaurants et les voyages. Les entreprises vont peut-être suspendre plusieurs de leurs plans d’investissement ou les réduire en raison d’une baisse de la demande et de l’incertitude sur ce que l’avenir nous réserve.»
L’importance du pétrole pour l’économie canadienne
L’un des secteurs au sein desquels l’incertitude risque de faire très mal est la production d’énergie, particulièrement le pétrole. La COVID-19 perce des trous énormes dans les barils d’une industrie déjà amochée avant la crise en raison des bas prix.
Déjà en mars, avant le plus fort de la crise, l’Agence internationale de l’énergie prévoyait une contraction de la demande mondiale en 2020, une première depuis 2009. Malgré un rebond probable lors de la reprise économique, les prévisions à long terme sont plutôt pessimistes en raison de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de la progression des voitures électriques. Et c’est sans compter les défis pour l’industrie de pouvoir acheminer son produit aux marchés étrangers.
L’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador pourraient être plus fortement touchées que le reste du pays. «On peut s’attendre à ce que les emplois perdus dans ce secteur — surtout ceux disparus avant la crise — ne soient pas recréés du jour au lendemain, surtout si le prix du pétrole reste bas», prévoit Nicolas-Guillaume Martineau, professeur d’économie au Collège universitaire Glendon de l’Université York, à Toronto. «Si le prix du pétrole reste bas, la viabilité du secteur des sables bitumineux reste nulle.»
Jean-Paul Lam souligne que cet impact se fera ressentir sur tout le pays. «Si la demande pour cette ressource demeure basse et que les prix ne remontent pas, on s’attend à ce que ce choc perdure et affaiblisse l’économie du Canada bien après la fin de la pandémie.»
L’avenir des finances publiques
Ottawa a consacré des milliards de dollars pour aider la population et les entreprises à survivre au cours de cette crise. Quels effets auront ces dépenses majeures sur les dépenses publiques? Y a-t-il une limite à ne pas franchir pour que l’entaille sur le budget fédéral n’entraine pas des conséquences dont il sera difficile de se relever?
«La ligne, le gouvernement de Terre-Neuve a réalisé où elle était quand, il y a un mois, plus personne n’a voulu leur prêter d’argent, indique Pierre-Marcel Desjardins. Elle est là, la ligne. La ligne, c’est le jour où on ne peut plus emprunter. À l’heure actuelle, je pense qu’on est loin de cette ligne-là.»
L’économiste acadien fait valoir que le fédéral est en bonne position pour faire face à la récession qui s’en vient inévitablement. «Si on peut retrouver un rythme de croisière, une croissance dans deux ou trois ans, ce qui est quand même assez possible, ça nous permettrait de réduire notre niveau d’endettement par rapport à notre PIB, ce qui ferait en sorte qu’on n’aurait peut-être pas besoin de mesures — appelons-les d’austérité — mais de réductions importantes des dépenses gouvernementales.»
Même son de cloche chez Jean-Paul Lam. Il précise que, contrairement aux récessions des années 1980 et 1990, le Canada bénéficie d’un ratio dette/PIB avantageux.
«Résultat, le gouvernement a une certaine marge de manœuvre. Le bureau du directeur parlementaire du budget prévoit que le ratio dette/PIB va atteindre 50 % d’ici les prochaines années. Même si c’est une augmentation substantielle par rapport à maintenant, ce sera bien moins que le 70 % du début des années 1990. Si la croissance revient après la pandémie et que le fédéral s’engage à ramener ce ratio à 30 %, ça ne devrait pas nous empêcher de dormir.»
Le facteur États-Unis à ne pas oublier
Enfin, la situation qui prévaut aux États-Unis influencera grandement la reprise de ce côté-ci de la frontière. L’économie canadienne dépend énormément de la santé de celle de notre voisin : 70 % des exportations canadiennes y sont destinées, un chiffre qui grimpe jusqu’à 90 % pour le Nouveau-Brunswick.
«Donc, on va être très dépendants de ce qui se passe aux États-Unis, incluant l’instabilité politique, note Pierre-Marcel Desjardins. Il y a beaucoup de points d’interrogation qui font en sorte que c’est difficile à prédire, mais à l’heure actuelle, une économie dépendante des exportations comme la nôtre au Canada atlantique, on est très vulnérable à ce qui se passe ailleurs.»