Le voyage de rêve d’un couple écourté par la pandémie

Le voyage de rêve d’un couple écourté par la pandémie

«C’était le projet d’une année. On est partis de Shédiac le 13 aout. On planifiait ce voyage depuis un an, un an et demi», raconte Joanne Losier.

Le plan était de partir un an : contourner la Nouvelle-Écosse, rejoindre la côte américaine et filer vers le sud, jusqu’en Floride. De là, gagner les Bahamas où ils allaient explorer des iles de la région pendant trois mois avant de faire le chemin inverse et revenir à l’été 2020.

Leur bateau est un voilier à moteur de 40 pieds : le Tapa Wingo V.

Le voyage d’aller s’est déroulé sans histoire. Des escales ici et là, comme près de New York, où Joanne et Louis prennent de temps de débarquer et de se balader.

Le 16 janvier, le couple arrive aux Bahamas avec un permis de navigation de trois mois. Les Bahamas comptant plus de 700 iles et ilots, il y a de quoi occuper des aventuriers pendant plusieurs semaines.

La sonnette d’alarme

Mais le 5 mars, les voyageurs en herbe commencent à être inquiets de ce qu’ils entendent à propos du virus. Joanne raconte : «Ma sœur a été en voyage. Quand elle est revenue, elle se sentait mal. Elle s’est fait tester et c’était négatif. Mais ça, pour moi, ç’a été une sonnette d’alarme.»

C’est alors qu’elle et Louis décident de rebrousser chemin. À ce moment, leur intention est de revenir en voilier jusqu’au Nouveau-Brunswick, comme prévu, mais avec plusieurs mois d’avance.

Ils passent des Bahamas vers la Floride, où les effets de la pandémie commencent à se faire sentir. Pour que la remontée réussisse, il faut des ports d’attache où s’approvisionner en carburant et en eau.

Tout à coup, ce qui en temps normal était facile ne l’est plus, souligne Louis. «On avait fait un plan pour savoir à quelles marinas on pouvait s’arrêter en remontant la côte, lesquelles étaient encore ouvertes. Tous les jours, il y en a qui fermaient.»

Où laisser le voilier?

En plus de la question du carburant, des escales étaient incontournables à certains endroits, comme à New York. «Quand on est arrivés en Floride, on savait que l’État de New York était déjà sous confinement», mentionne Joanne. «Donc, traverser cette portion-là allait être probablement compliqué. Et plus le temps avançait, plus les ordres de confinement s’étendaient d’un État à l’autre.»

Le couple prend alors la décision de laisser le bateau en Floride : plus facile à dire qu’à faire. Ils n’étaient pas les seuls voyageurs nautiques venant d’ailleurs qui voulaient maintenant faire remonter leur embarcation en cale sèche. «Aux Bahamas, il y a un nombre disproportionné de bateaux canadiens et encore plus de québécois. Plusieurs voulaient parquer leur bateau, mais les ressources étaient limitées sur terre», raconte Joanne.

Tous deux passent plusieurs jours à chercher un endroit. L’inquiétude monte. Puis, ils entrent en contact avec des amis acadiens qui font de la voile dans la région depuis plusieurs années et qui leur donnent le nom de la marina où ils viennent de réussir à accoster leur bateau. C’était au sud de Jacksonville, dans le nord de la Floride.

«Quand on a appelé lundi matin, ils nous ont dit : “oui, on peut vous sortir de l’eau vendredi”. On était excités, exaltés, on ne pouvait pas le croire! Mais on n’avait que quatre jours pour se rendre là», se rappelle Joanne.

S’entame un branlebas de combat pour s’y rendre et préparer le bateau pour la cale sèche, ce qui veut dire nettoyer et désinfecter tout le voilier pour éviter la moisissure pendant les mois d’inactivité. Il faut également retirer plusieurs équipements de l’embarcation avant qu’on la hisse hors de l’eau. Tout se fait en un temps record.

Le 2 avril, le Tapa Wingo V était sur terre.

Revenir au bercail

Entretemps, le couple cherche un moyen pour revenir à la maison. La première option est l’avion. Ils réussissent à trouver un vol direct de Floride vers Moncton, mais quand ils procèdent pour l’acheter, il n’est plus disponible.

Le couple lance alors un appel sur Facebook à la recherche de quelqu’un qui aurait une voiture à faire ramener dans l’est du Canada. Cette fois-ci, la solution semble fonctionner. La voiture est dans le sud de la Floride. «Mais dans la même journée ou la même heure, l’ordre de confinement pour le sud de la Floride a été donné. Donc, on ne pouvait même pas se rendre là pour aller la chercher.»

Prochaine option : louer une voiture. Mais là encore, ce n’est pas simple. Il semble que, même s’ils sont Canadiens, on ne les laissera pas passer la frontière avec une auto immatriculée aux États-Unis.

Leur situation devenait de plus en plus désespérée. Le bruit courait même que l’État du Maine, situé à côté du Nouveau-Brunswick et par où ils devaient passer, était «fermé». «Chaque jour, l’étau se resserrait», se remémore Joanne.

Enfin, une amie leur apprend qu’à Bangor, au Maine, des agences de location ont des autos avec des plaques d’immatriculation canadiennes, ce qui leur permettrait d’entrer au pays.

2 200 kilomètres de route

Le 5 avril commence alors un roadtrip très particulier de 2 200 kilomètres pour s’y rendre. Pas question de s’arrêter pour passer la nuit en route et ils louent une chambre d’hôtel à Bangor. Le sort s’acharne : «Le gouverneur a ordonné que tous les hôtels ferment et que les seules personnes qui pouvaient y avoir accès étaient les travailleurs essentiels», signale Joanne.

Il faudrait donc faire le trajet en entier, d’un coup. C’est ce qu’ils feront, sauf une seule exception : une petite pause dans un stationnement désert en banlieue de Washington. «On s’est arrêté pendant une heure la nuit pour dormir tous les deux. Puis après ça, on alternait de conducteur toutes les deux heures, deux heures et demie. On conduisait pendant que l’autre dormait», raconte Louis.

Même les arrêts pour faire le plein n’étaient pas faciles. Les cartes canadiennes ne fonctionnent pas dans les appareils de paiement aux pompes américains, parce que ceux-ci demandent un code postal américain. Il faut donc payer à l’intérieur. À certains endroits, il n’y avait aucune mesure de protection contre le virus. «Chaque fois qu’on sortait, ça nous stressait», dit Joanne.

Chagrin et soulagement

Le reste du périple se déroule rondement. Le transfert d’auto à Bangor se passe bien, tout comme le passage à la frontière. Arrivée au bercail : le lundi 6 avril au soir. Il aura fallu «seulement» 30 heures entre la Floride et la maison, le peu de circulation aidant.

Joanne et Louis sont en quarantaine chez eux jusqu’au 20 avril.

«On a laissé notre communauté de “voileux” et c’est ce qui me chagrine un peu», admet Joanne. «On est plusieurs qui ont laissé leur bateau en Floride. On n’avait pas prévu ça du tout. Nos bateaux sont physiquement les uns à côté des autres, une ironie incroyable. Mais on est revenus, on a un toit. On a de quoi à manger. On est en sécurité. On n’est pas à plaindre.»

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