« Quand c’est arrivé, on est allé à Hawkesbury et en voyant la gravité de la situation, le personnel médical nous a transféré à Montréal », se souvient Shana Lavigne, la mère de Flavien. Sa famille croyait qu’il allait être transféré au CHEO d’Ottawa, mais selon le médecin de garde présent sur place, le meilleur spécialiste était au CHUM à Montréal. « Donc, ils nous ont mis dans une ambulance où le médecin et un infirmier sont montés avec nous. L’équipe nous attendait. Il manquait juste le médecin qui n’était pas encore arrivé, mais l’équipe était prête, donc ça a quand même été assez rapide », se souvient-elle.

Flavien n’a pas de souvenirs de ce moment. C’est à travers les histoires de son entourage proche qu’il a pu comprendre ce qui lui est arrivé. « Ça ne me dérange pas trop, ça fait longtemps que cela est arrivé. Au fur et à mesure, je me suis habitué. Avant que je rentre à l’école, ma mère voulait que je pratique tout, que je sois à niveau avec les autres. Je n’étais pas habitué quand j’étais jeune; à deux ans, t’as pas un côté droit et un côté gauche », observe-t-il à bon escient.
À l’école, Flavien est un garçon bien adapté, entouré d’amis, très sportif. C’est pour cela qu’il a choisi la concentration sport. Alors, il essaie tous les sports imaginables ou presque et jusqu’à présent, il a réussi à bien se débrouiller, selon sa mère.
« J’aime plus ou moins tous les sports; je suis sportif et compétitif. Mon sport préféré c’est assurément le soccer. Ça ne prend pas vraiment deux mains pour jouer au soccer. »
Pour Mme Lavigne, cela a été difficile au début, mais en pensant à ses quatre enfants, elle considère qu’à présent, il est comme les autres. Il fallait « juste trouver les façons de faire pour qu’il puisse accomplir différemment les mêmes tâches que les autres. Ce n’est pas du favoritisme, c’est juste qu’il les fait autrement ».
La première année, quand il est rentré à l’école, une éducatrice spécialisée était présente au cas où quelqu’un dans la classe aurait eu besoin d’aide. « Elle n’était pas là spécialement pour Flavien, tient à préciser Mme Lavigne. Elle ne pouvait pas aider tous les 20 petits amis de quatre ans à s’habiller. Elle n’était pas là pour ça. Donc, avant qu’il rentre à l’école, on l’a poussé un petit peu plus pour être certains qu’il soit prêt par rapport aux autres; il était tout prêt quand même, mais on ne voulait pas qu’il dépende des autres. »
Ainsi, grâce au soutien indéfectible de ses parents, à quatre ans, Flavien était le premier à s’habiller, à mettre son manteau de neige en hiver, avec seulement un bras.

« Les souliers ont constitué un plus grand défi pour lui, d’attacher les lacets avec seulement un bras. Mais on y est arrivé », se souvient Mme Lavigne avec un sourire de fierté.
Cela n’a pas toujours été aussi facile. « Oui, au début, c’est difficile. Il y a toujours la crainte d’avoir à risquer, à réussir, on se demande s’il sera capable de faire comme les autres, si ça va marcher, s’il voudra faire telle ou telle chose. Mais, au fur et à mesure, tu vis, tu vois les expériences, t’essaies et si ça ne marche pas, tu essaies autre chose. Habituellement, il vient à bout de s’arranger tout seul. C’est rare qu’il demande de l’aide, même si parfois on veut le lui offrir, parce qu’on voit qu’il travaille un peu plus fort, mais il est autonome.»
Toute la famille a été là pour apporter le soutien nécessaire aux parents dans leurs grands moments de désarroi. Mais dès le début, sa débrouillardise a été encouragée dès son plus jeune âge par ses parents. Et puis, petit à petit, cela a commencé à le rendre plus fort, à faire partie de son caractère, selon Mme Lavigne. C’est cette même force de caractère qui a poussé ses parents à ne pas encourager la dépendance de Flavien de son entourage, à ne pas le traiter différemment, ou d’avoir pitié de lui. Ce n’était pas dans ce climat que ses parents voulaient qu’il grandisse.
« Ce n’est pas parce qu’il était handicapé qu’il fallait s’occuper davantage de lui. Ils ont tous vu qu’il était assez débrouillard de toute façon », a toujours été la devise de Mme et M. Lavigne. À observer Flavien aujourd’hui, on ne peut s’empêcher d’admirer le radieux enfant qu’il est devenu, 10 ans plus tard, grâce, en partie, aux décisions réfléchies de ses parents.
Les amputés de guerre
L’Association des amputés de guerre a été impliquée dès le début. Un des frères de Mme Lavigne avait téléphoné pour voir ce qu’ils avaient à leur offrir, au chapitre du soutien. Plus tard, à l’hôpital, on leur avait offert les mêmes renseignements. De retour à la maison, quelqu’un de l’Association les avait déjà appelés. Ils sont allés à des séminaires avec Flavien, ce qu’ils continuent de faire à ce jour.
« Là, il a la possibilité de rencontrer d’autres personnes, des gens qui comprennent ce que tu vis et qui apportent plus de soutien, plus que ta propre famille. C’est sûr qu’ils sont là pour t’aider (la famille), mais tant que tu n’as pas un enfant amputé, tu ne sais pas ce que c’est de vivre cela. »
Les rencontres de l’Association ont lieu tous les deux ans et ils regroupent des gens de partout à travers le Québec et même les Maritimes. Pendant trois jours, il y a des ateliers, des stations de discussion et d’information. Ils échangent des expériences vécues, ils discutent et ils se sentent compris, en partant d’un vécu et de défis semblables. Ils ne se voient pas souvent, mais ils ont tellement de choses en commun que lorsqu’elle voit Flavien en présence des autres compagnons à ces réunions, c’est comme s’ils s’étaient quittés la veille, explique Mme Lavigne.
Il y a des ateliers généraux et il y a des ateliers spécifiques, en fonction des membres perdus par chacun des amputés. Cela permet à tout un chacun de retrouver des gens affrontant les mêmes défis qu’eux.
C’est aussi un forum où, tant Flavien que ses parents, ont pu constater, à partir des témoignages d’autres amputés, qu’il a eu la chance de ne pas vivre de la pression de ses pairs ou des méchancetés à l’école. Lorsqu’il a commencé l’école, la plupart des gens, que ce soit des enseignants ou des élèves plus âgés dans les classes de ses frères, le connaissaient déjà. Il n’a donc pas été traité différemment à sa rentrée scolaire.
Dans toute nouvelle situation ou évènement dans sa vie, les gens ne sont pas méchants avec lui, mais ils se posent quand même des questions entre eux. Une fois qu’ils savent, qu’on leur explique, ça passe, estime Mme Lavigne.
« Sa classe (à la maternelle) ne le connaissait pas, mais une fois que tu leur dis qu’il a eu un accident et qu’il a perdu un bras, ça passe », se souvient sa mère des premiers jours de Flavien à l’école. Nous, on a été chanceux avec ça : il n’y a pas eu d’intimidation, il n’y a pas eu de moqueries », constate Mme Lavigne, soulagée.
Quant à ses plans pour l’avenir, l’idée de s’occuper de la ferme de son père l’intéresse vivement. « Je n’ai jamais envisagé d’autres métiers, c’est ça qui m’intéresse ».
« Il y a assez de travail pour tout le monde, a ajouté sa mère, il faut juste qu’il grandisse. S’il veut le faire, on va trouver les moyens pour qu’il vienne à bout de le faire. S’il veut faire autre chose, on va l’encourager dans ce qu’il décide de faire. »
Pour ses parents, Flavien n’est pas différent de leurs trois autres enfants. Ils sont là pour les encourager tous dans leurs rêves, en leur permettant d’essayer tout, afin de décider par la suite ce qu’ils voudront poursuivre.
Pour les prothèses utilisées quotidiennement par les amputés, une partie est défrayée par le gouvernement et pour le reste, par l’Association des amputés de guerre ou les assurances privées, explique Mme Lavigne. Par contre, pour tout ce qui est récréatif, comme les sports adaptés et les loisirs, le gouvernement ne paie pas. À ce moment-là, ce sont soit l’Association ou bien les assurances privées qui couvrent les couts.
« On a été très, très, très chanceux, parce qu’ils ont déboursé pour plusieurs articles qui n’était pas donnés. Eux, à l’Association, ils ont la mentalité que peu importe ce que tu veux essayer, ils sont là, derrière nous, pour nous appuyer matériellement », constate Mme Lavigne avec gratitude. Les parents de Flavien sont à la fois reconnaissants et gênés par tant de générosité démontrée envers Flavien.
« L’Association est vraiment là pour l’encourager s’il veut essayer quelque chose. Leur devise c’est ‘On y va!’, dans l’espoir qu’il trouve quelque chose qu’il aime ».
Grâce à leur approche encourageante, Flavien a pu essayer beaucoup d’activités à ce jour et c’est justement grâce à cette plénitude d’expériences qu’il a pu se développer normalement, comme tout autre garçon de son âge.
Envisagent-ils un bras bionique pour Flavien dans l’avenir? Mme Lavigne explique que cela dépend de la perception de son utilité en temps et lieu. Il faut qu’il grandisse un peu plus et c’est aussi en fonction de l’activité ou du métier exercé par la personne qui le porte. Il y a une courbe d’apprentissage et il y a des environnements où l’on ne peut pas l’utiliser (dans la poussière ou la saleté, qui ne se marie pas bien avec la technologie bionique). Mais c’est surement quelque chose qu’il pourrait envisager et c’est encore grâce à l’Association qu’il pourra peut-être le faire un jour.
