La dernière bobine de film est passée, les lumières de la salle sont éteintes et la porte se referme sur près de 75 ans d’histoire avec la démolition du Cinéma Laurentien de Grenville.
Construit en 1950, le Cinéma Laurentien était le deuxième plus ancien cinéma francophone au Canada. Le Cinéma Pine de Sainte-Adèle au Québec est le plus ancien, sa construction originale remontant à 1949.
Pendant près de 50 ans, le Cinéma Laurentien a fait la fierté de Danielle et Yvon Myner, qui ont repris le cinéma local des mains de son propriétaire d’origine en 1970. Aujourd’hui, les propriétaires actuels du bâtiment et du terrain veulent le faire démolir pour un projet résidentiel à petite échelle.
Le couple de retraités, lui âgé de 80 ans et elle de 66 ans, n’éprouve aucun regret ou sentiment de tristesse quant à la disparition du vieux cinéma, qui a été presque comme une seconde maison pour eux et leurs employés au fil des ans.
«Il est temps de changer», a déclaré Danielle Myner.
«Il est temps de tourner la page», a déclaré Yvon Myner.
Il leur reste tous les souvenirs de ces dernières années, depuis leur première rencontre jusqu’au moment où ils ont décidé ensemble d’acheter et d’exploiter le cinéma.
Le garçon rencontre la fille
Le premier rendez-vous au cinéma est une tradition romantique dans les films et les livres, et certains habitants de Grenville et des villes et villages voisins se plaisent à raconter aux Myner comment ils ont rencontré leur personne spéciale, lors d’un premier rendez-vous au Cinéma Laurentien. Yvon et Danielle Myner ne se sont pourtant pas rencontrés lors d’un rendez-vous au cinéma, ni au Cinéma Laurentien, ni dans aucun autre cinéma.
«Nous nous sommes rencontrés alors que je travaillais comme serveuse au restaurant Vic’s», a raconté Danielle.
«J’étais alors technicien en génie électrique», a dit Yvon.
Il travaillait alors à Montréal, à l’usine RCA Victor. À l’époque, il faisait partie de l’équipe de conception technique et d’assemblage affectée au projet de satellite de communication canadien Alouette.
Pendant la semaine, il faisait l’aller-retour entre Grenville et Montréal. Parfois, il mangeait chez Vic’s.
«Je suis allé manger dans ce restaurant un jour où Danielle venait de commencer à y travailler», a-t-il raconté.
Cette rencontre au restaurant n’était pas la première fois qu’ils se voyaient tous les deux.
«Nous parlions ensemble en tant qu’amis depuis au moins un an, a-t-elle confié en souriant. Puis un soir, il m’a demandé si nous pouvions sortir pour dîner.»
Et c’est ainsi que les choses se sont passées. Ils ne voulaient personne d’autre que l’un et l’autre.
Le rideau se lève
Après s’être trouvés, Yvon et Danielle ont commencé à réfléchir aux moyens de passer plus de temps ensemble. Yvon a fait remarquer qu’il commençait à être fatigué des longs allers-retours constants à Montréal, dans le cadre de son travail chez RCA Victor.
«J’étais essentiellement un homme d’affaires et je voulais me lancer dans une activité commerciale», a-t-il déclaré.
À cette époque, ils ont appris que le propriétaire initial du Cinéma Laurentien mettait en vente ses deux salles de cinéma. Il y avait celui de Grenville et celui de Lachute. Ils se sont trouvés un partenaire en la personne de Philippe Pharand, un membre de la famille vivant à L’Orignal, et ont préparé une proposition d’affaires vers la fin de 1970, qui a été acceptée. À eux trois, ils deviennent officiellement propriétaires du cinéma le 1er janvier 1971.
Lorsqu’on lui demande ce que c’était que de posséder et d’exploiter un cinéma à cette époque, Yvon rit.
«Tout l’équipement était d’origine», a-t-il ajouté.
Cela signifiait que deux projecteurs étaient installés côte à côte dans la cabine de projection, chacun contenant une bobine de film et un système de synchronisation permettant de contrôler l’arrêt d’un projecteur et le démarrage de l’autre. La plupart des films comportaient deux bobines de film ou plus. Les projecteurs n’étaient pas conçus pour gérer une seule et gigantesque bobine de film. La première bobine d’un film était projetée par un projecteur. Le projectionniste installait le deuxième projecteur avec la deuxième bobine, prêt à basculer sans interruption notable lorsque le premier projecteur avait presque terminé sa bobine. Ensuite, si nécessaire, le projectionniste chargeait une troisième bobine sur le premier projecteur et la préparait à fonctionner lorsque le deuxième projecteur avait terminé sa bobine.
Yvon était le projectionniste principal lorsqu’il a repris le Cinéma Laurentien avec Danielle et Phillipe. Philippe a suivi une formation de projectionniste et un jeune homme de la région travaillait à temps partiel au cinéma pour apprendre à faire fonctionner les projecteurs.
Le fait d’avoir deux projecteurs en marche dans un espace clos crée un espace de travail très chaud. Parfois trop chaud par une chaude soirée d’été à Grenville.
«Nous avions une lucarne que nous ouvrions l’été pour aérer, a expliqué Yvon. Et aussi en hiver, s’il le fallait.»
Nouveaux ajouts, nouveaux équipements, nouveaux films
Presque dès le jour où ils sont devenus propriétaires du Cinéma Laurentien, Yvon et Danielle ont cherché à faire de leur cinéma l’endroit où se divertir les soirs de fin de semaine ou de semaine. Le bâtiment original de Grenville a fait l’objet de trois rénovations majeures au cours de la période où ils en ont été les propriétaires.
Un investissement important a été l’acquisition du nouvel équipement de film numérique, qui est devenu disponible au début des années 1980. Le Cinéma Laurentien a été l’un des premiers cinémas à disposer d’une telle technologie en dehors des grandes zones urbaines.
«Avec ce système, nous pouvions projeter un film en 3D, a souligné Yvon. C’était entièrement automatique et cela nous a permis de gagner du temps. Je pouvais commencer le film au cinéma de Grenville, puis me rendre à Lachute à temps pour commencer le film là-bas.»
Lors de l’acquisition du cinéma de Grenville, la capacité maximale du bâtiment était de 400 places. Avec les diverses rénovations effectuées au fil des ans, le nombre maximum de spectateurs est tombé à 350, mais les sièges étaient plus spacieux et plus confortables. Yvon et Danielle ont rappelé qu’en moyenne, le Cinéma Laurentien avait environ 60 % de ses sièges occupés chaque soir.
L’une des raisons de leur succès au fil des ans, en tant que propriétaires du cinéma local, est leur insistance à obtenir des films en première diffusion. Comme Titanic de James Cameron.
«Nous avons exploité ce film pendant 17 semaines, à guichets fermés tous les jours, a indiqué Yvon. Et nous avions deux salles de cinéma, ce qui nous permettait de diffuser un autre film.»
Le film ET a également attiré un grand nombre de spectateurs.
«Les gens venaient trois ou quatre fois pour le voir», a spécifié Danielle.
Outre les premières éditions des superproductions hollywoodiennes, Cinéma Laurentien s’est fait connaître et a gagné en popularité grâce à la volonté des Myner de présenter le meilleur du cinéma français, y compris des films québécois acclamés par la critique.
«Nous avions les meilleurs films français qui sortaient chaque année», a fair remarquer Danielle, ajoutant que l’un des films français les plus populaires projetés au cinéma local était Deux femmes en or.
«C’était une grande attraction, a précisé Yvon. Il est resté à l’affiche pendant huit semaines. Tous les soirs, la salle était pleine.»
Un cinéma communautaire
Au fil des ans, avec des films en première exclusivité, les meilleurs films français et des soirées spéciales de films Disney, pour permettre aux enfants de voir leur premier vrai film, les Myner ont fait du Cinéma Laurentien une partie intégrante de la communauté de Grenville. Ils estiment que la plupart des spectateurs viennent d’un rayon de 50 miles autour du village, des deux côtés de la rivière des Outaouais.
«Nous étions le seul cinéma (local) entre Ottawa et Montréal», a confirmé Danielle.
Les Myner rencontraient des gens qui venaient au Cinéma Laurentien lorsqu’ils étaient enfants, et qui, devenus adultes, amenaient leurs propres enfants au cinéma pour une soirée cinéma en famille.
«Nous sommes devenus très proches de certains de nos clients, a conclu Yvon. Partout où nous allons, nous rencontrons des gens qui nous disent : Vous nous manquez. Le cinéma nous manque.»