On en parle depuis plus de 30 ans mais la lutte pour la préservation du canal de Grenville n’est que le dernier chapitre de son histoire bicentenaire. En effet, on l’oublie peut-être trop souvent, mais les premiers coups de pelle pour sa construction remontent à 1819. L’historien Robert Simard a présenté les grandes lignes de l’épopée du canal de Grenville lors de l’inauguration de sa portion rénovée.
Il faut remonter à plus de 10 000 ans avant notre ère pour trouver l’origine du canal. À cette époque, les basses-terres du St-Laurent, qui couvrent la portion sud de la MRC d’Argenteuil, reposaient au fond de la mer de Champlain. Lorsque celle-ci s’est retirée, elle a laissé comme trace la rivière des Outaouais.
Les premiers humains sont arrivés sur le territoire de Grenville il y a plus de 6000 ans. Or, pour y arriver, ces membres des Premières nations ont dû faire face aux rapides du Long-Sault.
« Il y a 70 ans, il y avait des rapides ici. À Grenville, c’était ce que l’on appelait la tête du Long-Sault tandis que le pied du Long-Sault se trouvait à Carillon, explique Robert Simard. Ici, on est 65 pieds (NDLR : environ 20 mètres) plus haut qu’à Carillon. Entre les deux, c’était une série de rapides, en particulier d’ici jusqu’à Greece’s Point où il y avait un dénivelé de 45 pieds. C’était donc un obstacle à la navigation. »
D’ailleurs, les Premières nations appelaient ce secteur de la rivière ‘Quenechouan’, les grands rapides. Le portage était la seule façon de les contourner. Pourtant, cet endroit revêtait aussi une importance stratégique.
« Qui contrôlait le Long-Sault contrôlait les passages jusqu’aux Grands Lacs. Qui le contrôlait contrôlait ce qui se passait sur la rive nord du St-Laurent, illustre monsieur Simard. Les peuples se sont battus ici mais ils se sont aussi alliés pour combattre celui venu du sud : les Américains. »
En effet, la Guerre anglo-américaine de 1812-1814 a vu les jeunes États-Unis tenter d’envahir les territoires du Haut et du Bas-Canada. Les forces britanniques, alliées aux milices canadiennes et certains peuples des Premières nations, ont repoussés ces attaques.
Protéger le pays
Suite à cette guerre, les Britanniques ont évalué qu’il fallait construire une nouvelle voie pour défendre la colonie canadienne puisque le fleuve St-Laurent, la frontière naturelle avec les États-Unis, était difficilement défendable. Ainsi est né l’idée de construire des canaux à l’intérieur des terres, comme le canal Rideau, qui relie Ottawa à Kingston et construit à la même époque que celui de Grenville.
Au Long-Sault, trois canaux sont prévus : ceux de Grenville, Chute-à-Blondeau et Carillon. Du lot, celui de Grenville était le plus long, avec une longueur de 9 kilomètres et comprenait sept écluses. Les travaux sont lancés en 1819.
« C’était des travaux au pic et à la pelle. Il n’y avait les grands outils d’aujourd’hui pour transporter les grosses roches : ça se faisait à la main avec des pieux et des leviers, raconte monsieur Simard. Ils pensaient que ça allait être facile de creuser ici. Pas du tout : Grenville est assise sur les roches parmi les plus dures de la planète. »
Cela a pris plus de 15 ans aux hommes de la Royal Staff Corps pour compléter le canal. On estime que plus de 600 hommes ont œuvré à la construction de l’ouvrage, plusieurs y laissant leur vie au fil des travaux. Cependant, ces mêmes hommes ont établi les première agglomérations le long du Long-Sault, à Cushing, Greece’s Point, Grenville… On estime que la terre et les roches qui ont été excavées pour faire le canal représentent environ 1/6 de ce qui a été nécessaire pour construire la Grande pyramide de Gizeh.
L’ensemble des canaux du Long-Sault a été complété en 1834 et comptait en tout 11 écluses pour une longueur totale de 14 kilomètres. Cependant, on a vite compris que ces canaux ne répondraient pas aux attentes en matière de commerce. Ils étaient trop étroits pour permettre aux barges commerciales de passer.
Des travaux d’élargissement ont donc eu lieu entre 1870 et 1884. Les murs du canal de Grenville actuel datent de cette époque.
Fin d’une époque
Les canaux du Long-Sault ont continué d’être utilisés jusqu’aux années 60. Déjà, à cette époque, on notait une baisse importante du commerce par bateau sur la rivière des Outaouais au profit du fleuve St-Laurent.
Le coup de grâce est venu d’Hydro-Québec à l’hiver 1959-1960 : c’est à ce moment que la construction de la centrale de Carillon a débuté. En 1962, le bassin de rétention de la centrale est mis en service, faisant disparaître sous les flots le canal de Chute-à-Blondeau tandis que seule l’entrée du canal de Carillon est encore visible de nos jours. À Grenville le niveau de la rivière a monté d’environ 9 pieds, ce qui fut suffisant pour engloutir la majeure partie du canal.
Abandonné, l’ouvrage a été remis au gouvernement du Québec par Ottawa en 1988. Deux ans plus tard, en 1990, le provincial cédait à son tour le canal à la municipalité du Village de Grenville qui en est propriétaire depuis.
« On vient aujourd’hui de conserver quelque chose d’extraordinaire. Une grande partie de notre histoire est ici, conclut Robert Simard. La célébration d’aujourd’hui permet de se rappeler de ces gens qui sont passés ici avant nous. »
Visitez le parcours historique numérique sur la rivière des Outaouais en Argenteuil Entre Quenechouan et le Long-Sault.