Pour lire ceci, il faut savoir lire

Par Karine Audet
Pour lire ceci, il faut savoir lire

L’analphabétisme est avec la pauvreté un des principaux problèmes de l’humanité. Il touche tous les pays du monde, même les plus sophistiqués. Le Canada ne fait pas exception. C’est pourquoi du 4 au 8 avril dernier, c’était la semaine de l’alphabétisation partout au Québec. À cette occasion, les 76 membres du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RPGAQ) ont prévu diverses activités pour leur clientèle ainsi qu’une campagne de sensibilisation destinée au grand public. À Lachute, la Maison populaire d’Argenteuil a participé à cette initiative.  

Cette ressource existe depuis trente ans et couvre le grand territoire de la MRC d’Argenteuil (neuf municipalités). Martine Mantha y dirige une équipe de quatre personnes (dont une stagiaire) qui propose non seulement des ateliers de lecture et d’écriture, mais aussi d’autres activités de nature plus sociale, comme des causeries sur divers sujets, des rencontres d’auteurs et un journal qui informe les membres tout en leur permettant de pratiquer leur nouvel acquis. On note également des conférences sur l’alimentation simplifiée, un ensemble de conseils pour tirer le meilleur parti des aliments qu’on achète ainsi qu’une initiation à de nouveaux produits. Une centaine de personnes bénéficient annuellement des services de l’endroit et si on leur ajoute les interventions de «dépannage» (demandes ponctuelles sur les fonctionnalités d’un logiciel, par exemple), c’est beaucoup plus que 3000 individus qu’elle a aidés en trente ans.   

Martine Mantha (de même que les usagers de la Maison) préfère parler d’ateliers plutôt que de cours d’alphabétisation. Plusieurs personnes ont connu une relation plutôt difficile, voire traumatisante, avec les bancs de l’école et la seule mention de cours ou de leçons suffit à leur donner des boutons. On propose donc des ateliers de lecture, d’écriture et de calcul basés sur la vie quotidienne et non pas livrés de manière abstraite. Aussi, depuis quelques années, tous les organismes membres de l’APGAQ offrent une initiation à l’informatique parce qu’il est bien difficile aujourd’hui de se passer d’ordinateur, de téléphone intelligent et même de télévision qui offrent une multitude de choix pour lesquels une connaissance de base de la lecture est indispensable.   

Il fut un temps où on pouvait très bien faire sa vie sans savoir lire ou écrire. Jusqu’à la dernière guerre mondiale, un analphabète réussissait à se tirer d’affaire parce que les métiers manuels exigeaient davantage de dextérité ou de force physique que de connaissances livresques. Avec la technologie, la vie est devenue plus compliquée:  les modes d’emploi sont apparus de même que les notices, les formulaires et diverses paperasses. Les journaux ont pris plus d’importance de même que les machines avec menus écrits. On a créé de plus en plus d’emploi «administratifs» et ceux qui ne savaient pas lire se sont vus petit à petit exclus du marché.   

Aujourd’hui, bien que les chiffres aient été contestés (L’Actualité, juillet 2017), un Québécois sur deux serait analphabète. Cela comprendrait les gens qui ne savent ni lire ni écrire du tout, mais aussi ceux qui ont appris et qui, faute d’entraînement ou de pratique, ont oublié. Le chiffre inclut également ceux qui savent lire, mais si péniblement que toute leur énergie passe à déchiffrer les mots au détriment ce qu’ils signifient.  Supposons néanmoins que le chiffre d’un sur deux soit exagéré et qu’en réalité seul un québécois sur trois ou même un sur quatre ne sache pas lire ou écrire. C’est quand même 25% de la population, une énorme proportion dans un pays ou l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans.   

Si l’analphabétisme est inacceptable dans une société dite avancée, ce n’est pas la faute de ceux qui en souffrent. Pourtant, ceux-ci sont souvent victimes de préjugés: qui n’a jamais entendu que les illettrés sont paresseux, débiles, parasites, en fait, pas vraiment fréquentables. Résultat, ils finissent par se sentir coupables, honteux même et pour cette raison résistent à la tentation de demander de l’aide. C’est là où des organismes comme la Maison populaire d’Argenteuil sont précieux. Par une approche bienveillante, pour employer un terme à la mode, ils essaient de briser le moule de l’isolement et de redonner aux analphabètes une estime de soi qu’ils ont souvent perdue depuis longtemps en plus de leur permettre d’accéder à des connaissances essentielles pour vivre en société.   

Il en coûte deux dollars pour en devenir membre. Cette cotisation unique donne accès à tous les services. Gratuitement. En outre, elle donne droit à 10% de remise sur le premier achat dans la librairie de livres usagés, à une assistance individuelle pour des demandes ponctuelles et une petite attention qui fait du bien, 

à une carte de vœux d’anniversaire, une manière de dire que la Maison populaire prend bien soin de son monde.   

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