Chaque année, l’Exposition agricole Rive-Nord de L’Assomption propose un concours des meilleurs sirops d’érable. Le concours s’adresses aux acériculteurs des Laurentides, de Lanaudière et de l’Outaouais.
Cette année, Les Sucreries d’Argenteuil ont été à l’honneur et sont reparties avec trois médailles : deux d’or pour les meilleurs sirops doré et foncé, une d’argent pour le sirop ambré. Raphaële Lalande, propriétaire de l’entreprise avec son mari Danick Bourgoin explique que le sirop est jugé selon sa couleur et son goût. La couleur dépend du moment de la récolte. Les premières récoltes fournissent un sirop plus clair; à mesure que le temps avance, le sirop sera plus foncé. Quant au goût, c’est plus subjectif. « Le sirop, dit Michel Lalande, père de Raphaële, c’est comme le vin, c’est une question de terroir. »
Les Sucreries d’Argenteuil, c’est une affaire de famille depuis quatre générations. En 1925, Charles-Edouard Lalande achète une terre sur le Côteau-des-Hêtres et entreprend avec son épouse Rose Proulx de faire du sirop. C’est une production confidentielle qu’il destine uniquement à sa famille. Comme il en offre aussi à ses voisins, le bouche à oreille fait son travail et bientôt la petite activité prend de l’importance.
En l962, Charles-Edouard lègue l’érablière à son fils Jeannot qui la gère et l’améliore pendant 20 ans. En 1982, c’est Michel, fils de Jeannot, qui prend la relève. À son tour, il passe le témoin à sa fille Raphaëlle en 2022. Celle-ci précise que sans les femmes, l’entreprise n’aurait peut-être pas pu continuer d’exister. C’est pourquoi elle signale l’apport de Lucille Leblanc, épouse de Jeannot et de sa mère Andrée Pineault. Du même souffle elle signale la participation essentielle de son mari Danick; il ne connaissait rien à la production de sirop et s’il avait refusé d’embarquer, Les Sucreries d’Argenteuil seraient peut-être passées en d’autres mains. Michel est content de son gendre. « Il apprend vite et bien, dit il. »
« C’est qu’il a eu un bon professeur, » ajoute Raphaële.
Diplômée de l’École hôtelière des Laurentides de Ste-Adèle, Raphaële a apporté une contribution importante à l’entreprise familiale. En 2020, elle s’est lancée dans la transformation du sirop : alors que la sucrerie produisait déjà du beurre d’érable, de la tire, de la gelée et du sucre du pays, elle introduit les tartes au sirop garnies de beurre d’érable ou de pacanes rôties, les croustartes (sic!) aux pommes, aux bleuets et aux poires. Au menu, elle ajoute aussi des tourtières, des soupes, du jambon et des fèves au lard qu’elle vend dans les marchés locaux et même au IGA de Lachute. Toutes ses recettes contiennent des produits de l’érable. «Dans la cuisine, c’est elle la patronne dit Andrée. Mais je prends parfois des suggestions ou des conseils, répond sa fille en faisant un clin d’œil à sa mère ». La cuisine ou domine l’acier inoxydable est d’une propreté étincelante. Il s’agit d’ailleurs d’une rallonge toute récente au bâtiment principal.
Étant donné que la saison de récolte de l’eau d’érable est courte (environ quinze jours), on pourrait croire que les acériculteurs ne font pas grand-chose le reste de l’année. Michel Lalande s’empresse de remettre les pendules à l’heure : une érablière, ça s’entretient. Ce n’est pas parce qu’on fonctionne avec des tubulures qu’il ne faut pas entailler les arbres chaque année. Dix mille entailles, c’est quand même du boulot. Puis, au contraire de ce qu’on pourrait croire, le chalumeau - ce petit bout de tuyau qu’on enfonce dans la chair de l’arbre, pour ainsi dire – ne demeure pas en place toute l’année. Après la récolte, il faut le retirer et stériliser tout autour du trou, car il s’agit d’une blessure qu’on inflige à l’arbre. Une blessure que des bactéries peuvent envahir.
Il n’y a pas que les bactéries à surveiller. Les grands vents font parfois des dommages considérables aux érablières. Surtout qu’avec les changements climatiques, les ouragans sont plus nombreux et plus dévastateurs qu’autrefois. Il faut donc nettoyer l’érablière, la débarrasser des chicots, des arbres tombés et des espèces opportunistes qui rivalisent avec les érables pour la lumière et les nutriments.
Il est toutefois un ennemi dans l’érablière contre lequel tous les acériculteurs doivent lutter : le sciurus carolinensis, autrement dit, l’écureuil gris. Cette bête de la famille du rat, est un prédateur des tubulures. On peut se demander ce qu’il trouve d’intéressant dans ces tuyaux de plastique bleu ou vert. Peut-être veut-il s’abreuver de l’eau qui y coule, ou bien peut-être le goût du plastique l’attire-t-il, toujours est-il que les écureuils causent plus de dommages dans une érablière que les chenilles ou les intempéries. Sur les dix mille pieds de tubulure que Michel et Danick ont posée, il a fallu en changer neuf mille cette année, rongées au-delà de toute réparation. Et de ces neuf mille, il a fallu en remplacer un autre millier.
En dépit de ces ennuis qui font partie de la vie, Les Sucreries d’Argenteuil continuent de progresser. Il ne reste plus grand-chose de la sucrerie originelle de Charles-Edouard Lalande. L’acier inoxydable a remplacé les chaudrons de fer et la cuisine est munie d’un équipement haut de gamme. Mais, il y a en coulisse un autre Charles-Edouard (13 ans), fils de Raphaële et Danick qui pourrait avec son frère Dylan (10 ans) prendre la relève pour que l’entreprise reste dans la famille.