Francopresse : Votre expérience d’essayer de vivre sans plastique s’est étendue sur presque un an. Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur qui vous a donné envie de plonger dans cette aventure?
Evelyne Charuest : En fait, la série est basée sur trois évènements pour autant d’épisodes : la rentrée scolaire, des vacances en camping et la célébration de l’anniversaire de Nina [âgée de cinq ans].
L’idée a commencé à germer quand on a quitté Vancouver pour le Québec, il y a environ trois ans. Là-bas, ils sont beaucoup plus avancés en matière de tri des déchets à la source. Quand on est revenus ici, il n’y avait pas de compost, le recyclage allait tout dans un même bac; on a eu une prise de conscience affolante de la quantité de déchets qu’on produisait. Ça nous a ouvert les yeux.
J’ai aussi été inspirée par une autre série documentaire intitulée Ma vie Made in Canada, où le journaliste Frédéric Choinière tente de vivre un an en consommant exclusivement des produits 100 % canadiens.
Votre documentaire offre une plongée très intimiste dans votre vie de famille : on vous voit beaucoup, avec votre mari Glenn Franks, vos enfants Léo et Nina et le chat Moka! Pourquoi avoir choisi ce format?
Je trouvais que ça avait été peu fait jusqu’à maintenant, des expériences du genre en famille. En ligne, on en trouve des points de vue de personnes seules, habitant dans un petit appartement en ville et qui font du zéro déchet ou du zéro plastique.
C’est beaucoup plus facile quand on est seuls, parce que tout ce qui nous manque, on est les seuls à en subir les conséquences! En famille, on a des besoins de consommation différents, et je trouvais que c’était important de parler aux familles d’un point de vue qui les rejoint.
Et au final, ça n’a pas été si difficile de convaincre tout le monde, parce qu’on est tous d’accord sur l’urgence d’agir. Et si nous on ne le fait pas, si on ne le teste pas, qui le fera?
Au fil du premier épisode, on se rend compte que ça n’est toutefois pas si simple de se passer complètement de plastique! Plusieurs objets auxquels on n’aurait pas pensé en contiennent. Comment avez-vous géré cette réalité?
C’est un 3 h de nuances qu’on veut apporter! Souvent, on aime prendre des raccourcis, on aime démoniser le plastique, mais c’est faux de faire ça. La pandémie actuelle nous démontre bien que le plastique sauve des vies!
Il y a une place pour le plastique, mais dans nos vies quotidiennes beaucoup de celui qu’on utilise est superflu, on pourrait s’en passer. Par contre, dire ciao plastique complètement serait une erreur.
Les intervenants auxquels on a parlé sont tous venus nuancer de leur point de vue ce grand problème qu’est le plastique et c’est une des raisons pour lesquelles on en a encore beaucoup aujourd’hui.
D’ailleurs, on voit bien dans le premier épisode que les «alternatives» au plastique ne sont souvent pas aussi efficaces qu’on voudrait le croire.
Effectivement, les «solutions» n’en sont pas bien souvent. Par exemple, le plastique biosourcé [issu de ressources renouvelables comme des plantes] va venir contaminer la filière de recyclage parce qu’il n’a pas les mêmes propriétés que le plastique qui vient de produits pétrochimiques.
Les gens pensent qu’ils doivent le mettre au recyclage, mais c’est faux : il doit être biodégradé dans un compost spécial à part du compost municipal. Mais ça, personne ne le sait!
L’organisation qui a le pouvoir de règlementer les industries pour améliorer la situation, c’est le gouvernement fédéral. De vraiment contrôler ce qui va dans la production d’objets, c’est sûr que ça va changer quelque chose. Il faut que tout le monde soit très bien encadré, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
C’est plutôt sur les épaules des consommateurs que retombe le fardeau de réduire l’utilisation de plastique. Est-ce que c’est quelque chose qui est accessible à tous?
Pour moi, c’est viable parce que j’habite en ville, c’est-à-dire près des épiceries zéro déchet. Ça marche aussi parce que j’ai accès à un revenu stable, parce qu’il faut se le dire : ça coute beaucoup plus cher que d’aller à l’épicerie! Ça fonctionne parce que j’ai du temps aussi, parce que ça implique de faire plusieurs boutiques différentes comme le boucher, le boulanger, etc.
Je pense que c’est accessible, mais ce n’est malheureusement pas accessible pour tout le monde!
Ce que tout le monde peut faire par exemple, c’est d’utiliser nos objets le plus longtemps possible et de les réparer si jamais il y a un bris plutôt que de jeter. Même chose au niveau des vêtements : on est des fouineurs de Village des Valeurs, Renaissance, etc.!
On choisit aussi des produits qui sont durables, comme des ustensiles de cuisine en acier inoxydable plutôt qu’en plastique et qu’on peut acheter usagés.
Il y a tout un marché très «bobo», luxueux qui nous incite à consommer pour éviter de consommer. Le vrai «bio», il n’est pas léché sur Instagram avec de belles couleurs assorties! Le vrai bio, il est poqué, usé, réutilisé et ce n’est pas très joli, mais c’est fonctionnel. Il faut renoncer à un certain attrait de l’esthétisme, c’est vrai pour le plastique aussi.
Votre épopée sans plastique s’est terminée il y a quelques semaines. Qu’est-ce que vous en retenez?
La première étape, c’est de reconsidérer chaque chose qu’on jette, parce qu’on jette du plastique allègrement! On doit garder en tête que c’est une ressource épuisable et tenter de valoriser le plastique comme tel, de se demander si on peut réutiliser avant de jeter.
Quand on commence à s’éveiller à la question du plastique, on se rend compte qu’il est partout dans notre vie! Et on ne veut pas s’en passer dans certains cas, parce que ça nous assure un confort et une qualité de vie moderne. Mais choisissons celui qui est durable, peut-être réparable et qui va durer le plus longtemps possible.
Dans le troisième épisode, on aborde la solution de responsabilité élargie du producteur. Ça devrait s’en venir au Canada, et ce que ça implique c’est que le producteur soit responsable de l’objet du début à la fin, donc les entreprises ont tout intérêt à ce que leurs produits soient réparables ou que les composantes puissent être recyclées, réutilisées au lieu de les envoyer au dépotoir.
Il y a des solutions, mais ça prend une volonté politique et pour ça, il faut que les consommateurs mettent de la pression.
Êtes-vous optimiste pour le futur?
Ça dépend des jours! Je rencontre beaucoup de gens qui sont conscientisés, qui ont envie de faire une différence. Mais d’un autre côté, notre confort est tellement extraordinaire et agréable; est-ce qu’on est vraiment prêts à s’en passer? Certains jours, j’en doute.