La journée du 19 janvier 2022 restera marquée dans la mémoire de Carl Séguin, membre du Service de sécurité incendie de la Ville de Lachute. Malgré que sa vie était en danger, il s’est assuré que sa coéquipière soit d’abord en sécurité avant d’être lui-même secouru. Ce geste lui a valu la Médaille pour acte méritoire de la part du ministère de la Sécurité publique le 6 octobre dernier.
Rencontré à la caserne de pompiers lachutoise le lendemain de la remise de la médaille, Carl Séguin, qui compte 25 ans d’expérience en tant que pompier dont les douze dernières à Lachute, admet qu’il est un peu gêné par toute l’attention qu’il reçoit, lui qui allait être présenté au public le soir même juste avant la séance du conseil municipal.
« Ça me fait plaisir mais en même temps, je ne suis pas un gars qui aime les ‘kodaks’, admet-il. Je suis un gars plutôt timide dans ce genre d’occasion. »
Pourtant, celui qui est maintenant chef aux opérations depuis près d’un an s’est retrouvé sous les projecteurs alors que la Médaille pour acte méritoire lui a été remise au Château Frontenac de Québec le 6 octobre dernier. Remise par le gouvernement provincial, cette décoration « souligne le leadership remarquable ou le dépassement de soi lors d’une intervention à caractère exceptionnel ». Monsieur Séguin comptait parmi les 13 pompiers honorés cette année.
« L’acte du capitaine Carl Séguin témoigne d’un courage remarquable et d’un leadership authentique. Monsieur Séguin n’a pas hésité à aider sa coéquipière aux dépens de sa propre vie », a déclaré François Bonnardel, ministre de la Sécurité publique.
« Je tiens à exprimer toute ma fierté et ma reconnaissance envers le capitaine Carl Séguin pour son acte de bravoure exceptionnel, a ajouté pour sa part la députée d’Argenteuil, Agnès Grondin. Son dévouement, son professionnalisme et son courage inébranlable reflètent les valeurs les plus élevées de notre communauté. Nous avons la chance inestimable de pouvoir compter sur des héros comme monsieur Séguin, dont l’engagement dépasse de loin le devoir. »
60 longues secondes
Pour comprendre pourquoi Carl Séguin reçoit tous ces éloges, revenons à la date du 19 janvier 2022. Il neige et les entrées de certaines résidences ne sont pas encore toutes déblayées. C’était le cas de cette résidence située sur la route 329, à Lachute. Des cendres encore chaudes laissées à l’extérieur de la maison venaient d’allumer des flammes sur son parement.
« C’était une journée typique de celles où on reçoit un appel, raconte celui qui était alors capitaine. On s’en allait pour un incendie confirmé pris à l’extérieur du bâtiment et à notre arrivée, on a commencé à l’arroser tout en se préparant à entrer pour aller au deuxième étage puisque les flammes s’étaient propagées au toit. »
Comme l’entrée charretière est longue et pas encore déneigée, les pompiers prennent du temps avant de pouvoir complètement s’installer pour bien combattre les flammes. Carl Séguin et ses coéquipiers Vincent Patenaude-Viau et Zoé Lapointe entrent finalement dans l’immeuble pour aller au second étage pour éteindre les flammes.
« En quelques minutes, l’incendie a pris de l’intensité, narre-t-il. On a eu un retrait stratégique qui a été demandé par notre chef aux opérations, Claude Leduc. On s’est donc mis en chemin pour sortir. »
C’est à ce moment que situation est carrément devenue critique : arrivés au rez-de-chaussé, les gaz chauds se sont enflammés soudainement, entourant les pompiers de flammes et embrasant l’étage entièrement. Le pompier Patenaude-Viau s’est alors précipité vers ce qu’il croyait être la porte de sortie : il a en fait passé à travers une fenêtre, subissant des blessures sérieuses mais se retrouvant quand même en sécurité. Quant à lui, Carl Séguin a pris sa coéquipière et se sont plaqués au sol.
« Il faisait chaud en s’il-vous-plaît, confirme-t-il. Couché sur le dos, je suis venu à bout de prendre la lance à incendie et à mettre un peu d’eau pendant que je tenais d’une main ma coéquipière. »
Le reste s’est déroulé rapidement. D’autres pompiers arrivés sur les lieux sont intervenus : ils ont agrippé Carl Séguin pour le tirer vers l’extérieur mais ce n’était pas sa priorité.
« Quand je me suis senti tiré vers l’extérieur, ma priorité était de faire sortir Zoé en premier, raconte-t-il. Elle était couchée sur moi, alors je l’ai garrochée par-dessus moi et ils l’ont sortie. Ce n’est qu’après que j’ai été pris en charge. »
Selon lui, il s’est déroulé à peine 60 à 90 secondes entre le moment de l’embrasement du rez-de-chaussé et sa sortie du bâtiment. Jamais il n’a senti qu’il était en danger.
« Ça se fait tellement vite que tu n’as pas le temps de penser à ça, affirme-t-il. Tout se fait automatiquement. Toutes les formations et les mises à niveau que l’on fait aident lorsqu’un événement comme celui-là survient. Un feu n’est jamais le même feu. Ce n’est jamais la même recette, le même temps. C’est rare que des feux se produisent de la même façon. »
Un gars d’équipe
Au final, les trois pompiers s’en sont sortis mais ont chacun subi des blessures sérieuses. Dans le cas de Carl Séguin, il s’est retrouvé avec des brûlures au 3e degré sur 20 % de son corps, notamment aux bras, au ventre et au dos, ce qui a nécessité de nombreuses greffes de peau. Il a de plus subi des brûlures du 1er et 2e degré ailleurs sur le corps.
L’incendie a aussi laissé des marques psychologiques : le principal intéressé admet penser à l’événement très souvent. Heureusement, il souligne également qu’il a bien été entouré par ses collègues du service de sécurité incendie qui l’ont appuyé après cette épreuve.
D’ailleurs, durant l’entrevue, on a senti plusieurs fois que Carl Séguin accordait une grande importance au travail d’équipe, ce qui explique en partie le geste qu’il a posé.
« Quand on entre ensemble, on sort ensemble, lance-t-il. Mon rôle était de sortir ces personnes-là en toute sécurité. On ne laisse personne derrière. »
Aujourd’hui, Carl Séguin continue à côtoyer quotidiennement Vincent Patenaude-Viau au sein de l’équipe de pompiers de Lachute tandis qu’il a gardé contact avec Zoé Lapointe, maintenant pompière à St-Jérôme. D’après lui, il n’aurait pas dû être le seul à être honoré à Québec le 6 octobre dernier.
« Personnellement, mes deux coéquipiers auraient dû être avec moi pour recevoir la même médaille, croit-il. Ça me fait chaud au cœur [de la recevoir] mais de dire que c’était important d’être reconnu pour ça, pour moi, ce n’est pas une nécessité. C’était juste normal de faire ça, ça fait partie de mon ADN. »