De Tahiti à pompière à Brownsburg-Chatham

Par Francis Legault
De Tahiti à pompière à Brownsburg-Chatham
Lesly Yao est actuellement la seule femme pompière du Service de sécurité incendie de Brownsburg-Chatham. (Francis Legault, EAP)

Lorsque l’on parle des pompiers dans une petite municipalité, plusieurs auront en tête l’image stéréotypée d’un jeune homme originaire de l’endroit ou, du moins, de la même région. On ne s’attend certes pas à apprendre que la pompière qui arrive sur les lieux d’une urgence est née à Tahiti et possède un baccalauréat en commerce de l’Université McGill! Pourtant, ce profil atypique est celui de Lesly Yao, pompière de Brownsburg-Chatham, qui vient d’être honorée au concours Chapeau les filles!

Lesly Yao a eu, le moins que l’on puisse dire, un parcours professionnel surprenant! Cette tahitienne d’origine est arrivée au Canada pour des études universitaires avant de travailler dans des agences de marketing pour ensuite faire un virage professionnel à 180 degrés pour devenir pompière. Elle l’admet, elle est venue au Québec pour voir de l’action!

« La vie des îles, ce n’est pas assez rythmé à mon goût, dit celle qui est arrivée ici à l’âge de 17 ans, en 2014. Je suis venue ici pour étudier et je suis tombée en amour avec la province. Les gens d’ici sont tellement accueillants! »

Elle confirme que cet accueil québécois, qu’elle avait pu goûter lors d’une visite en 2012, a pesé dans la balance lorsqu’est venu le temps pour elle de choisir entre la Belle province et la France pour ses études (Tahiti fait partie de la Polynésie française, collectivité d’outre-mer de la France). Les nombreuses possibilités universitaires qui étaient offertes ici ont aussi joué dans ce choix et c’est à McGill, en commerce, qu’elle décidera d’aller étudier.

Quatre ans plus tard, baccalauréat sous le bras et un emploi dans une agence de marketing, Lesly Yao mène une carrière de jeune professionnelle et rien ne semble pointer vers un changement radical jusqu’à ce que la Covid-19 frappe.

Virage

Avec le confinement lié à la pandémie, la jeune femme se retrouve en télé-travail, une situation qui ne l’a pas dérangée en tant que telle. Cependant, le doute commence à s’installer sur son choix de carrière.

« Je voyais mes journées passer et tout ce que je faisais était de me lever, aller à mon ordi et cliquer sur des boutons, raconte-t-elle. Je me suis demandée si, lorsque je vais avoir 80 ans, je vais être fière de ce que j’aurais fait de ma vie professionnelle alors que tout ce que je faisais, c’était d’enrichir des multinationales. En même temps, on voyait les gens souffrir dans les CHSLD et je me sentais inutile. »

C’est une publicité télévisée pour les Forces armées canadiennes qui la pousse à vouloir changer de carrière. Puisqu’elle n’a que sa résidence permanente, elle ne peut pas s’enrôler dans l’armée. Cependant, sur un coup de tête, elle commence à se renseigner sur le processus pour devenir pompier.

« La population québécoise m’a tellement bien accueillie que je voulais trouver un moyen de redonner ce que j’avais reçu, explique-t-elle. Dans un coin de ma tête, il y avait toujours eu cette envie de devenir pompière. J’ai toujours regarder les émissions de pompiers, la vie de caserne m’attirait mais c’était pour moi un rêve inatteignable. »

En se renseignant, elle se rend cependant compte que ce rêve pourrait être réalisable, à condition d’y mettre certains efforts. Et comme de fait, elle se retrouve rapidement sur les bancs d’école de l’Institut de protection contre les incendies du Québec (IPIQ) en 2021. L’année suivante, elle devient la seule femme pompière du Service de sécurité incendie de Brownsburg-Chatham.

Parallèlement, elle œuvre comme répartitrice dans une centrale 911 et intervenante dans un organisme de prévention du suicide afin d’acquérir de nouvelles expériences. Et finalement, au printemps dernier, elle obtient un DEC en technique de sécurité incendie du Collège Montmorency.

Un bel accueil

Lesly Yao admet qu’elle ignorait où se trouvait Brownsburg-Chatham lorsqu’elle a postulé pour un poste de pompière au sein du service de sécurité incendie. « Je voulais juste voir en quoi consistait le processus d’embauche, je ne m’attendais à rien, confie-t-elle. Mais j’ai vu l’énergie de Michel Robert et Jason Neil (NDLR : respectivement l’ancien et l’actuel chef des pompiers) et comment ils étaient ouverts d’esprit et accueillants. J’ai tout de suite accepté. »

Même si elle avoue avoir subi quelques remarques désobligeantes de passants venus d’un autre âge devant la caserne du centre-ville de Brownsburg, la pompière indique que son arrivée dans le service s’est très bien passée.

« Je ne savais pas à quoi m’attendre d’un village comme Brownsburg. Mais j’ai été chanceuse, à la caserne, de ne pas vivre d’expérience raciste. Je me suis sentie accueillie dans l’équipe ».

Et jusqu’à présent, elle ne regrette pas son choix de carrière ni l’endroit où elle fait son métier. « Quand ça fait huit heures que tu es sur un appel, que tu es fatiguée et que tu as juste envie de t’asseoir, tu remets ça en question. Mais après, quand l’intervention est finie, tu es fière, c’est comme de l’adrénaline, raconte-t-elle. Des fois, je me le demande pourquoi j’endure ça. Mais quand on revient à la caserne, avec la camaraderie et où discute de nos interventions, on oublie toute la douleur. »

Être un exemple

Ayant des ancêtres d’origine asiatique, les parents de Lesly ne voyaient pas d’un bon œil le changement professionnel de leur fille. Pour eux, qui sont notaires à Tahiti, il s’agit d’une insulte à la famille que de retourner faire un travail physique, comme leurs aïeux jadis, alors que les générations suivantes ont trimé dur pour avoir accès à des professions libérales.

« J’ai eu peur de changer de carrière et mes parents n’étaient pas du tout d’accord avec ça. J’ai attendu d’être acceptée à l’école avant de leur dire, confie-t-elle. C’est pour cela, je crois, qu’il n’y a pas tant de femmes de minorités visibles qui sont pompières car culturellement, ce n’est pas quelque chose qui est présenté comme une possibilité de carrière ou qui est valorisé. »

Elle aimerait donc que son parcours de femme issue d’une minorité ethnique qui œuvre dans un métier traditionnellement masculin puisse en inspirer d’autres.

« J’aimerais ça inspirer d’autres filles car moi, je n’ai jamais eu de représentations de femmes de minorités visibles chez les pompiers. Si je peux être un exemple, tant mieux. »

Elle explique que c’est un peu pour cette raison qu’elle s’est inscrite au concours Chapeau, les filles!, qui récompenses des femmes allant étudier dans des domaines majoritairement masculins. Elle a obtenu l’une des deux bourses de 5000 $ du ministère de l’Enseignement supérieur, à sa grande surprise.

« Ce n’était pas pour le prix [que je m’étais inscrite] mais pour la visibilité, de montrer que c’est possible d’être une femme d’origine asiatique et pompière. Il faut juste travailler fort! », raconte-t-elle.

« J’étais entourée de femmes inspirantes, je pensais que c’était impossible que je gagne, poursuit-elle à propos de l’obtention de la bourse. Je ne pensais pas avoir autant d’impact que les autres finalistes. C’était une bonne surprise, surtout que mes parents étaient là! »

Ces derniers commencent d’ailleurs à se faire à l’idée du choix de carrière de leur fille, elle qui veut gravir les échelons pour devenir éventuellement officier et, qui sait, peut-être un jour diriger son propre département de sécurité incendie.

« Aider les gens lors d’une intervention, c’est gratifiant mais à plus grande échelle, j’espère pouvoir inspirer des filles et des femmes à suivre leur rêve! »

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