Le Musée d’Argenteuil : Une bien triste histoire

François Jobin
Le Musée d’Argenteuil : Une bien triste histoire
La caserne historique à Carillon. Après les inondations de 2017 et 2019, le bâtiment a été laissé à l'abandon et son avenir incertain. (Photo : François Jobin)

Maude Abbott a dû se retourner dans sa tombe. Le Musée régional d’Argenteuil qu’elle a fondé en 1938 est en péril. En réalité c’est la caserne dans laquelle logeait le Musée qui est menacée. Par l’humidité, les champignons et l’inaction des pouvoirs publics. 

Cela commence avec les pluies torrentielles de 2017. La rivière des Outaouais gonfle et envahit le terrain sur lequel est construite la caserne qui abrite le musée. Parcs Canada, le propriétaire de l’immeuble réagit immédiatement. Devant l’assaut des vagues de 3 pieds qui s’abattent contre la fondation, on fait appel à l’armée. Les soldats érigent un mur de près de trois mètres qui protège le bâtiment. Au bout de quelque jours les eaux se retirent et un examen visuel révèle que les dégâts sont minimes. La vie peut continuer, les visiteurs affluer et le Musée poursuivre ses activités. 

Deux ans plus tard, le scénario catastrophe se répète, mais cette fois, comme si la nature avait voulu se venger. L’inondation n’en finit plus de durer. Les secours qui se sont révélés si efficaces deux ans auparavant ne sont pas au rendez-vous. On installe néanmoins des pompes au sous-sol, mais l’eau rentre quand même à plein seaux.  

Craignant un court-circuit qui pourrait avoir des conséquences tragiques, quelqu’un ordonne de couper l’électricité. L’enfer est pavé de bonnes intentions : le remède est pire que le mal. Privées de jus, les pompes s’arrêtent et la cave du musée est engloutie sous un mètre d’eau qui reste sur place quand la rivière retourne dans son lit. Un mètre d’eau stagnante dans une cave pendant 11 mois (d’avril à février 2020) constitue un véritable bouillon de culture pour la croissance d’une multitude de champignons et de moisissures qui prolifèrent avec allégresse. 

Comme par hasard, le propriétaire est aux abonnés absents. Autant Parcs Canada s’était montré empressé d’intervenir en 2027, autant l’organisme semble indifférent au sort du musée. D’Après Robert Simard, Parcs Canada aurait admis du bout des lèvres avoir pris une mauvaise décision. Quoi qu’il en soit, les lieux étant devenus insalubres et pour le personnel et pour les artéfacts, on décide d’évacuer les lieux.  

La collection prend donc la direction de Harrington où on a trouvé un entrepôt convenable pour la mettre en sécurité. Le personnel s’installe provisoirement dans l’Église historique Christ Church de Saint-André. 

La Société historique d’Argenteuil qui gère le musée demande un rapport d’ingénierie pour connaître l’état du bâtiment. Parcs Canada refuse au motif que cela coûte trop cher. Elle dit disposer de l’inspection visuelle de 2017 qui a révélé une fissure dans la fondation, fissure que personne n’a vue, ainsi qu’un envahissement de moisissures. On se contente de sceller l’édifice. 

Entretemps, comme la municipalité de Saint-André s’est portée acquéreur de l’église Christ-Church en 2020, elle l’offre au Musée pour y exposer une partie de sa collection. Les travaux d’aménagement ont commencé en janvier 2024. Ainsi le musée pourra continuer à recevoir des visiteurs et poursuivre sa mission de médiation culturelle auprès des jeunes à compter de cet été. 

« Mais, souligne en substance Me Luc Lépine, président de la Société historique d’Argenteuil, ce lieu ne nous permet d’exposer qu’un seizième de la collection, le reste est dans des caisses à l’abri des regards. » 

Pour sa part, l’historien Robert Simard déplore que l’édifice de la caserne soit à toutes fins utiles abandonné. Il craint que la bâtisse ne se dégrade davantage et qu’au bout du compte, on n’ait d’autre choix que de la démolir. « Cela s’est déjà vu » ajoute-t-il. 

De son côté, le maire de Saint-André, M. Steven Matthews est plus optimiste. Il croit que l’édifice doit être sauvé et rendu à sa vocation muséale. Mais il n’envisage pas que sa ville s’en porte acquéreur. Il a demandé à Parcs Canada une évaluation des travaux de restauration qui se sont révélés beaucoup trop élevé pour les capacités des citoyens de la ville. D’autant plus que cette dernière a investi dans l’achat et la restauration de Christ Church, un autre édifice patrimonial qui va servir, comme on l’a dit, de chez nous à une partie de la collection du musée. « Il faudrait que la MRC d’Argenteuil apporte une contribution substantielle au projet » dit-il, mais il ajoute qu’aucune proposition n’a encore été faite dans ce sens. 

Nous n’avons pas pu parler au chargé de projet à Parcs Canada, M. Daniel Beaudin. Il nous a toutefois fait savoir par voie de communiqué que « Parcs Canada a entamé des discussions avec la MRC d’Argenteuil et les différents intervenants régionaux pour développer un nouveau modèle de gestion et d’opérationnalisation (sic) du lieu historique national de la Caserne-de-Carillon qui correspondra aux priorités Pour les Canadiens et Canadiennes tout en tenant compte des ressources disponibles de l’agence. » Pour qui sait déchiffrer la novlangue des communications gouvernementales, cela signifie d’une part que Parcs Canada manque de ressources financières et d’autre part que l’organisme souhaiterait confier le fardeau de la restauration de la caserne à une nouvelle instance qu’il s’agit d’identifier ou de mettre sur pied.  

Le maire Matthews a confirmé qu’une rencontre doit avoir lieu sous peu afin de discuter de ce « nouveau modèle de gestion et d’opérationnalisation ». Bref, C’est une histoire à suivre, dont Robert Simard et Luc Lépine espèrent voir l’aboutissement dans un avenir prévisible. 

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