Michel Donato, une légende à Brownsburg

Par François Jobin
Michel Donato, une légende à Brownsburg
Michael Donato, dans sa bulle. (Photo : François Jobin)

C’est devant une salle comble d’amateurs de jazz que Michel Donato s’est produit le 2 décembre dernier à l’Espace Culturel Saint-Gilles (ECSG) avec deux autres musiciens, Robert Ménard à la guitare et Michel Dubeau aux vents (flûte et saxos). Ils ont joué une vingtaine de standards pour le plus grand plaisir du public qui aurait pris beaucoup plus. 

Michel Donato a quatre-vingt-un ans. C’est un homme de peu de parole. C’est aussi une légende. Au cours d’une carrière qui dure maintenant depuis plus de soixante-cinq ans, il a joué avec les plus grands noms du jazz : parmi eux, Oscar Peterson, Bill Evans, Oliver Jones. Pendant quelques années, il a formé un duo avec la chanteuse Karen Young. Sa discographie compte une trentaine de disques, sans compter la presque douzaine de musiques de films qu’il a composées depuis 1972. Sait-on qu’il a écrit la musique des séries Sous un ciel variable et de la quotidienne Virginie ?  

On peut dire du jeu de Michel Donato, le contrebassiste, qu’il ressemble à ce que Michel Donato, l’homme, est dans la vie : attentif, discret et empreint d’humilité. Sur la scène, il se place un peu en retrait. Il laisse à son guitariste Robert Simard, au centre, le soin de déterminer l’ordre des pièces et à Michel Dubeau, le saxophoniste, tout l’espace pour exprimer sa créativité. Les trois hommes forment un bloc homogène, au service non pas de leur ego respectif, mais bien de la musique.  

Pour employer un terme à la mode, Donato est un musicien « inclusif ». Pour lui, le genre de musique importe peu : l’important c’est qu’elle soit bonne, c’est-à-dire qu’elle parle. C’est son père, dit-il, qui lui a inspiré le choix de la contrebasse. Cela vient de ce que, lorsqu’il entendait une pièce, Roland, son saxophoniste de père chantonnait la ligne de basse. Karen Young faisait d’ailleurs la même chose, dit-il.  La basse, c’est la fondation de la musique sur laquelle les autres musiciens s’appuient. En l’absence de batterie, comme c’était le cas à l’ECSG, elle tient aussi le tempo. Mais la basse peut également se révéler mélodique. « Je peux faire chanter mon instrument quand je veux » dit Donato aussitôt approuvé par ses deux compagnons.  

Michel Donato a été attiré par le jazz à cause de son caractère improvisé : « Le plaisir de jouer une même toune de vingt manières différentes ». Le jazz, au contraire de certaines musiques classiques, ne présente pas de contraintes. Le musicien peut plus facilement s’approprier une œuvre que s’il est obligé de suivre une partition. Michel admire Chopin parce « Chopin était un grand improvisateur. Ses œuvres ont été couchées sur le papier après qu’il les avoir improvisées au piano. » C’est sans doute cette dépendance absolue envers la partition qui a poussé Michel à abandonner le conservatoire. « J’ai compris que ce n’était pas pour moi. » 

Pour Michel Donato, le plaisir est indissociable de la musique. Il lui arrive de jouer seul chez lui pendant une demi-heure pour la simple joie de pénétrer dans une bulle, un cocon sonore qui laisse s’échapper le papillon d’un air nouveau. 

« Un bon musicien, dit-il. C’est quelqu’un qui peut jouer n’importe quoi. » Bien sûr, Michel Donato a ses préférences, mais il est a priori ouvert à toutes les formes. Ainsi, il ne partage pas l’opinion de certains qui pensent que le Festival de jazz de Montréal a trahi sa mission en introduisant la musique du monde dans sa programmation. Lui, la légende vivante n’a-t-il pas joué avec Ginette Reno, Félix Leclerc et Gilles Vigneault?  

Mais Montréal est-elle une ville de jazz? Oui, affirme-t-il sans hésitation. Pourtant, les hauts lieux du jazz – L’Air du temps dans le Vieux-Montréal, le Rockhead Paradise, le Rising Sun de Doudou Boicel et avant eux Le Black Bottom – ont tous fermé leurs portes au fil des années. Il en reste dit-il donnant l’exemple du Upstairs ou du Dièse Onze. « C’est comme la marée, ça monte et ça descend, mais ça ne disparaît pas. Il y aura toujours la marée» ajoute-t-il.  

Michel Donato est plutôt optimiste quant au sort du jazz au Québec et à Montréal en particulier. Les écoles de musique produisent d’excellents jeunes musiciens chaque année constate-t-il. D’ailleurs, il en a lui-même formé plusieurs (il a enseigné à McGill et à l’université de Montréal) et ne tarit pas sur la qualité des trente-cinq ans et moins.  

L’avenir ne semble pas le préoccuper outre mesure.  Il continue de tourner avec son trio qui fonctionne comme une machine bien huilée. En ce qui le concerne personnellement, des ennuis de santé en 2000 (la vie de jazzman n’est pas toujours de tout repos) l’ont obligé à s’économiser sans toutefois l’obliger à renoncer à ce qu’il aime le plus au monde : créer de la musique.  

C’est dans cet état d’esprit de plaisir et de générosité que le 2 décembre dernier Michel Donato nous a offert, peut-être en guise de cadeau des Fêtes, un des plus agréables concerts de jazz auquel le signataire de ce papier ait assisté

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