C’est jeudi, jour de livraison des paniers santé du Café partage d’Argenteuil, des boîtes de fruits et légumes frais achetés à un grossiste. Ces nombreux paniers sont distribués par Yves à même le camion réfrigéré de l’organisme aux quatre coins de la MRC d’Argenteuil, jusqu’à Harrington. Parce que les plus vulnérables n’habitent pas tous au centre-ville.
Les 8 participants du Florès du CISSS des Laurentides et 5 jeunes du programme pré-employabilité de Service Québec (PAAS-Action) sont autour de la longue table de travail avec le sourire aux lèvres. Ils épluchent et coupent des légumes sous la supervision des cuisiniers, Ghislaine Demers, Gaston Ménard et Patricia Joly. Ils discutent librement. «Où est Michel?», que je demande. «Parti dîner!», répondent-ils en cœur.
À son retour, Michel Pilote répond à l’un et à l’autre. Il reçoit une tornade de questions, le téléphone sonne et il donne quelques tapes dans le dos. Il arbore aussi un large sourire. «Trop occupé, je peux revenir?», dis-je. «C’est toujours comme ça!», lance-t-il.
Mais Michel n’est pas amer de cette réponse. Au contraire. Il carbure aux défis, à donner de la valeur aux gens qui l’entourent et au travail d’équipe. La meilleure façon de tuer un homme, selon Félix Leclerc et selon M. Pilote, c’est de le payer à ne rien faire. Ici, les participants différents s’émancipent; c’est une famille qui développe des compétences et qui fabrique de la fierté au pied carré. Ici, on nourrit la communauté à toutes les sauces.
Michel Pilote ne veut pas des légumes flétris de Moisson Laurentides, bien qu’il comprenne sa mission de banque alimentaire. Moisson Laurentides obtient, entre autres, des fruits et légumes moins attrayants des grossistes et il les redistribue aux personnes dans le besoin. Mais la main-d’œuvre coûte cher, les installations telles que les locaux et les chambres froides aussi et on ne développe pas le concept d’une saine autonomie alimentaire, fait valoir le directeur de l’organisme. «Pourquoi les pauvres devraient prendre une bouffe de marde!», questionne l’homme dévoué, qui n’a pas une langue de bois.
Un discours choc. «Je n’ai pas la même vision que le reste du monde. C’est politique la pauvreté! On ne voit pas les forces des gens, on ne voit que leur vulnérabilité», dénote-t-il. Pour Michel Pilote, la pauvreté, c’est bien davantage qu’une affaire de portefeuille.
Café-partage d’Argenteuil, fruit de son pilote qui désirait sortir hors des sentiers battus, fonctionne à petits coups de subvention, mais surtout grâce au génie de celui qui en tient la barre depuis 2010. C’était tout d’abord une simple épicerie communautaire. À force de travail et d’implication, il a créé un univers et une ambiance qui font en sorte que les gens aiment y consacrer leur énergie, en acceptant tout le monde tel qu’ils sont. «On sort de la charité traditionnelle; on est dans une charité solidaire!» Centraides Laurentides croit tellement en son modèle qu’ils ont réitéré leur 45 000 $ annuel, ainsi qu’un bonus de 18 931 $ voilà quelques jours.
Établi au 2e étage de l’ancien Vide-Sac, il a dû déménager au rez-de-chaussée en moins de temps qu’il en faut. Une semaine pour déménager les installations durant le mois de juillet, mais il a signé un bail de 5 ans avec le propriétaire. Café partage d’Argenteuil a reçu 60 553 $ du Fonds de relance des services communautaires pour financer leur projet de nouvelle cuisine et de démarrage d’une activité de déjeuner. Durant l’entrevue, il y a des bruits de marteau au-dessus de nos têtes. D’ici 3 semaines, l’entrepreneur viendra leur construire cette fameuse cuisine. Pour le moment, on profite de l’ascenseur pour fabriquer des milliers de petits repas préparés avec celle du haut.
Pilote était aussi invité au lancement de la campagne de financement de Centraide Laurentides à Sainte-Adèle le mois dernier. Il s’est adressé directement à des responsables de campagnes de financement en milieu de travail. Son modèle d’économie sociale fonctionne: «Il y a un programme provincial, le plan de lutte à la pauvreté, qui nous a permis d’aider des groupes à s’implanter et à faire un peu comme nous autres», rappelle-t-il, un tantinet fier d’être un précurseur. L’organisme de Deux-Montagnes vole maintenant de leurs propres ailes et c’est au tour de Saint-Jérôme de profiter de l’expertise de M. Pilote et de son équipe, dont son adjointe Claudine Caron.
Quand il explique son modèle à la communauté d’affaires, tout le monde le comprend. «Le principe est simple, plus j’ai de clients, plus j’ai de sous. Plus j’ai de sous, plus j’augmente mon pouvoir d’achat et moins ça coûte cher. En offrant à tout le monde, ça aide les plus vulnérables. On n’est pas là pour faire de l’argent, on agit socialement. On est un Wal-Mart communautaire», récite celui qui connaît sa mission. C’est avec la vente des plats, à petits prix, qu’il réussit à s’approvisionner à nouveau la semaine suivante.
Ce modèle est différent, un modèle d’avenir, avance celui qui préconise une certaine responsabilité de chacun. Il évite aussi la stigmatisation. Michel Pilote raconte l’histoire d’un de ses clients de 92 ans qui ne veut pas appeler la popote roulante. «Il n’est pas rendu, là!», se remémore-t-il avec un sourire en coin. Les clients choisissent les plats qu’ils préfèrent, le nombre de portions qu’ils veulent, selon un prix très décent, grâce au travail méticuleux de certaines personnes, trop souvent mis en marge de la société. Et voilà une belle économie circulaire sociale. «Les personnes âgées ont moins l’énergie de faire à manger, mais ils ne veulent pas être stigmatisés, insiste M. Pilote. Et c’est bon! En tout cas, c’est ça que le monde nous dit. Les gens sont contents! Et il y a toujours de nouveaux clients!»